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Kormos (2006) a proposé un modèle bilingue de production de la parole, qui prend comme point de départ le modèle de Levelt, mais dans sa version la plus récente (Levelt et al., 1999). Au contraire de De Bot, dont l’objectif était de modifier le moins possible le modèle de Levelt (1989), des modifications ont été effectuées par Kormos (2006) pour prendre en compte le résultat des études récentes qui montrent que l’activation se transmet en cascade

(Rapp & Goldrick, 2000). Ce modèle s’inscrit ainsi dans la conception actuelle de la production de la parole.

Alors que modèle de Levelt et al. (1999) contient trois composantes de stockage : la connaissance encyclopédique, le lexique mental et le syllabaire, le modèle de Kormos, représenté dans la Figure 9 ci-dessous n’en contient qu’une seule, c’est la mémoire à long terme.

La mémoire à long terme regroupe la mémoire épisodique, le lexique mental et le syllabaire qui sont des composantes communes, c’est-à-dire partagées par la L1 et la L2. Kormos a ajouté une structure de stockage spécifique à la L2 : la mémoire déclarative des

Figure 9 Représentation du modèle bilingue de production orale de Kormos (2006).

Les processus et composantes de stockage spécifiques à la L2 sont représentés en violet : élaboration du message et mémoire déclarative L2.

règles phonologiques et syntaxiques de la L2. En effet, l’auteur explique que si en L1 les processus syntaxiques et phonologiques sont automatisés, ce n’est pas le cas au début de l’apprentissage de la L2. Ces règles, spécifiques à la L2, sont stockées sous forme de connaissances déclaratives (connaissances, qui au fur et à mesure du développement de la compétence en L2, seront transformées en connaissances procédurales). L’auteur précise également que pour les bilingues certaines constructions syntaxiques ne sont pas automatisées et sont alors stockées dans la mémoire déclarative. Au vu de cette description, il apparait que peu de structures sont spécifiques à la L2. En effet, hormis la mémoire déclarative des règles de la L2, les autres structures sont les mêmes que celles du modèle de Levelt et al. (1999). La mémoire épisodique, sémantique et le syllabaire sont des structures communes à la L1 et à la L2.

La première étape du modèle concerne la conceptualisation du message à produire. Les concepts sont activés pour être encodés et c’est à cette étape que le choix de la langue est effectué. L’auteur précise que les concepts L1 et L2 sont stockés tous deux dans la mémoire sémantique. De ce fait, des concepts sémantiquement reliés sont activés en L1 mais également en L2 (Dell, 1986). Kormos donne l’exemple pour le concept « mère » qui va également activer « père » et « enfant ». Les mêmes concepts seront aussi activés en L2 (par exemple L2 anglais), « mother », « father » et « child ». Le message préverbal résultant de cette étape est transmis au formulateur pour être encodé au niveau lexical. Le concept sélectionné est alors apparié à l’entrée lexicale correspondante dans le lexique mental. De la même manière que pour les concepts, les lemmes et lexèmes de la L1 et de la L2 sont stockés dans le lexique mental. Le concept sélectionné va activer les lemmes de la L1 et de la L2 qui vont alors entrer en compétition lexicale pour la sélection. Intervient ensuite l’encodage syntaxique, au cours duquel les propriétés syntaxiques du lemme sont activées, en s’appuyant sur les connaissances déclaratives pour les apprenants de L2. Puis, lors de l’encodage phonologique, la forme phonologique du mot est activée. Les phonèmes L1 et L2 sont stockés dans un même réseau au sein du lexique mental. Encore une fois, les formes

phonologiques des lemmes non sélectionnés entrent en compétition, avant d’activer les phonèmes. Ce qui est particulièrement intéressant dans le cadre de notre étude, c’est que Kormos (2006, p. 173) précise qu’en début d’apprentissage les phonèmes L2 sont fréquemment assimilés aux phonèmes L1 qui sont similaires. Pour appuyer son propos, elle cite Flege (1987) et le mécanisme de classement par équivalence de son modèle de perception (décrit dans le Chapitre 2, II.3, p. 76). Pour rappel, Flege postule que les phonèmes L1 et L2, qui sont similaires, seront associés en une seule catégorie. Enfin, l’encodage phonétique va engendrer la récupération des gestes articulatoires des syllabes qui sont stockés dans le syllabaire avant d’être transmis au système articulatoire.

La description de ces deux modèles met en lumière que peu de processus en production de la parole sont spécifiques à la L2. En effet, la seule différence entre la production de la parole en L1 et en L2 est représentée (dans le modèle de Kormos) par l’ajout au modèle de Levelt et al. (1999) d’une mémoire déclarative des règles syntaxiques et phonologiques de la L2. Dans le cas des apprenants de L2, ces règles n’étant pas automatisées, elles sont stockées sous forme de connaissances déclaratives.

La différence entre la production de la parole en L1 et en L2 se matérialise en termes d’activation et d’implication de la L1. Lorsqu’un individu a deux langues à sa disposition pour communiquer, à chaque étape de la production de la parole s’activent les informations concernées (concepts, lemmes, lexèmes…) non seulement en L1, mais également en L2, quelle que soit la langue utilisée pour communiquer. L’activation des deux langues a pour conséquence d’accroitre la compétition entre les informations, par rapport à un individu monolingue. Le modèle de Kormos (2006) montre que les apprenants L2 s’appuient sur la L1 plus fortement que les bilingues. En effet, lorsque par exemple un apprenant ne maitrise pas encore suffisamment les règles syntaxiques de la L2, il va transférer celles de la L1 pour

pouvoir communiquer. Partant de ce constat, un point particulièrement important pour notre étude mérite d’être soulevé. Au vu de ce modèle de production de la parole et des modèles de perception L2 que nous avons présentés dans le chapitre précédant, il semble que les difficultés de perception des apprenants, se manifestant par un appariement des phonèmes L2 aux phonèmes L1 les plus proches, aient un impact sur la production de la parole. Selon le modèle, l’impact de la L1 sur la production de la parole en termes de transfert diminue au fur et à mesure de l’augmentation de l’expertise en L2.

Étant donné que d’une part, le modèle de Kormos (2006) postule un lien entre perception et production de la parole en L2 et que d’autre part, de nombreuses études ont montré que l’orthographe influence la perception de la parole, nous pouvons envisager que l’orthographe influence également la production de la parole. Dans les modèles de production de la parole évoqués ci-dessus, les représentations orthographiques se situent au même niveau que les représentations phonologiques (Caramazza, 1997). Bien que les processus orthographiques soient sous-spécifiés dans ces modèles (Biedermann & Nickels, 2008) et qu’ils ne prennent pas en compte l’influence de l’orthographe sur la production de la parole, de la même manière qu’elle n’est pas prise en compte dans les modèles de perception, un certain nombre d’études ont démontré que l’orthographe influence la production de la parole. Ainsi, dans la partie suivante nous examinons de quelle manière est produite et traitée la modalité écrite de la langue, avant de présenter les études qui ont montré une influence de l’orthographe en production de la parole en L1 et en L2.

P

RODUCTION ET ORTHOGRAPHE

III.

Au même moment où les notions de crible et de surdité phonologiques que nous avons abordées dans le Chapitre 2 (p. 69) sont étayées dans les années 1930, Vladimir Buben (1935) étudie l’influence de l’orthographe sur la prononciation. Depuis, de nombreuses études en L1 et en L2, montrent que les habiletés acquises à l’écrit peuvent contribuer à modifier les compétences linguistiques orales des sujets. Plus spécifiquement, ces études, auxquelles cette partie est consacrée, démontrent une influence de l’orthographe en production de la parole. Dans un premier temps, nous analysons la manière dont est produite et traitée la modalité écrite de la langue pour examiner l’interaction entre les codes phonologiques et orthographiques. Les modèles de l’activité rédactionnelle en L1 (1.1, p. 145) apportent un contexte théorique nécessaire dès lors que l’on aborde la production écrite puisqu’il n’existe pas, à notre connaissance, de modèle de production écrite de mots en L2. Ainsi, les modèles de l’activité rédactionnelle L2 (1.2, p. 150) peuvent apporter un éclairage théorique intéressant sur les processus impliqués dans cette activité. Nous présenterons ensuite les modèles de production écrite de mots (2, p. 158) nous permettant d’aborder les processus orthographiques et plus précisément l’interaction entre les représentations phonologiques et orthographiques. À cet effet, nous présentons un modèle de dictée (2.1, p. 159), un modèle de copie (2.2, p. 163) et un modèle comparatif des tâches de copie et de dictée (2.3, p. 166). Ces trois modèles mettent l’accent sur l’interaction entre la phonologie et l’orthographe en production écrite et permettent d’illustrer les processus en jeu dans ces deux tâches proposées aux sujets de notre étude. Enfin, nous introduirons l’effet Buben, dont l’auteur a été un des premiers à s’intéresser à la manière dont l’orthographe a influencé la prononciation dans l’évolution historique des langues romanes. Puis, nous présenterons les travaux psycholinguistiques et sociolinguistiques qui ont expliqué comment l’impact du système d’écriture sur la phonologie se manifeste chez le locuteur en L1 (3, p. 170), puis en L2 (4, p. 181).

L’activité rédactionnelle