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Le paradigme d’apprentissage de mots, une nouvelle approche Cette nouvelle approche est basée sur les résultats d’études qui ont montré que des

Influence de l’orthographe sur la production de la parole en L1 3.

3.2. Le paradigme d’apprentissage de mots, une nouvelle approche Cette nouvelle approche est basée sur les résultats d’études qui ont montré que des

sujets adultes peuvent apprendre de nouveaux mots oralement et qu’après une période de consolidation d’une nuit (Dumay & Gaskell, 2007), ces nouveaux mots sont intégrés au lexique mental (Bowers, Davis, & Hanley, 2005; Gaskell & Dumay, 2003; Merkx, Rastle, & Davis, 2011).

Rastle et al. (2011) ont utilisé le paradigme d’apprentissage de mots pour examiner l’influence de l’orthographe en perception de la parole, mais également en production de la parole. Douze sujets monolingues anglais ont suivi des phases d’entrainement et de test

durant trois jours. Cinq tâches étaient proposées : dénomination orale d’images, décision lexicale auditive, répétition, dénomination écrite d’images et une tâche orthographique à choix forcé. Le premier jour, les sujets devaient apprendre les associations entre trente nouveaux noms d’objets et leurs images correspondantes. Ils avaient pour consigne d’écouter le stimulus auditif tout en regardant l’image, puis de le répéter. La mémorisation des associations entre les nouveaux noms d’objets et leurs images correspondantes était ensuite testée en tâche de dénomination d’images. Le deuxième jour, les formes orthographiques des noms d’objets ont été introduites. Le phonème initial des noms d’objet (e.g., /kɪsp/), avait soit une transcription orthographique régulière (e.g., kisp), soit une transcription orthographique irrégulière (e.g., chisp). Les sujets étaient alors exposés à l’image, au nom de l’objet présenté auditivement et à sa forme orthographique et devaient taper le nom de l’objet sur un clavier d’ordinateur après chaque présentation. La vérification de l’apprentissage a été effectuée avec une tâche dans laquelle les sujets devaient choisir parmi plusieurs images celle qui correspondait à la forme orthographique qu’on leur présentait. Une tâche de dénomination orale d’images a ensuite été réalisée par les sujets, suivie d’une tâche de dénomination écrite d’images. Le troisième jour, les sujets ont effectué les cinq tâches susmentionnées dans cet ordre : décision lexicale auditive, dénomination orale d’images, répétition, dénomination écrite d’images et tâche orthographique à choix forcé.

Les résultats ont montré un effet orthographique en tâche de dénomination d’images suite à l’exposition à la forme orthographique des noms d’objets le deuxième jour, cet effet étant toujours présent le troisième jour. Ainsi, les résultats de Rastle et al. (2011) démontrent clairement l’influence de l’orthographe sur la production de la parole6. Bürki et al. (2012) et

Chevrot et al. (2000) ont également examiné l’influence de l’orthographe sur la production de la parole à travers le même paradigme expérimental, mais en se focalisant sur la variation

6 Les résultats de cette étude montrent également l’influence de l’orthographe en perception de la parole. Bien que ce point ait

déjà été traité (Chapitre 2, IV), notons que les résultats de Rastle et al. (2011) en perception de la parole répliquent ceux de Pattamadilok et al. (2007) et Ziegler et al. (2004) en montrant un effet orthographique en tâche de décision lexicale auditive, mais pas en tâche de répétition.

phonologique.

Chevrot et al. (2000) ont examiné le rôle des formes orthographiques sur l’acquisition d’unités phonologiques variables (par exemple le « e » muet en français). Les auteurs font l’hypothèse que, premièrement, le contact avec la forme écrite d’un mot permettrait à des enfants de modifier leurs représentations phonologiques incomplètes et que, deuxièmement, les représentations phonologiques de mots rares appris à travers la lecture et l’écriture seraient déduites de représentations orthographiques stables (Chevrot et al., 2000, p. 91). Ainsi, la prononciation de ces mots devrait être plus stable et moins sujette à variation. Les auteurs ont étudié l’acquisition de pseudo-mots contenant un /ʁ/ post-consonantique final qui, en français, peut être supprimé à l’oral. 48 enfants âgés de 8 à 9 ans ont appris trois pseudo-mots correspondant à trois images d’animaux imaginaires : [kasɔ̃t(ʁ)] - quaçontre ; [bidɛ̃k(ʁ)] - bydeincre ; et [malɔp(ʁ)] - mallopre. Les enfants étaient répartis dans trois groupes. Le premier groupe a appris les pseudo-mots de manière uniquement auditive, le second groupe a d’abord appris les pseudo-mots de manière auditive, puis les formes orthographiques de ces mêmes pseudo-mots ont été introduites et enfin, le dernier groupe a appris les pseudo-mots uniquement à l’écrit.

Les résultats ont démontré que le dernier groupe, uniquement exposé aux formes orthographiques des pseudo-mots, obtient les meilleurs résultats au niveau de la prononciation du /ʁ/ post-consonantique. Cela confirme l’hypothèse des auteurs selon laquelle la prononciation déduite d’une représentation orthographique tend à une stabilité. L’influence de l’orthographe est aussi révélée par les résultats du deuxième groupe qui a été exposé aux stimuli auditifs et orthographiques. Après avoir été exposé aux formes orthographiques, les sujets ont tendance à moins supprimer le /ʁ/ post-consonantique. Ce résultat indique que l’apprentissage de la forme orthographique permet aux sujets d’ajouter un phonème à la représentation lexicale, phonème qui est fréquemment supprimé dans l’environnement oral. Ainsi, les résultats de cette étude montrent que l’orthographe exerce une influence sur la production de la parole, puisque le contact avec les formes

orthographiques permet aux sujets de modifier ou de compléter leurs représentations phonologiques. L’étude de Bürki et al. (2012), examinant l’influence de l’orthographe sur la production de la parole également à travers le phénomène de variation phonologique, explique cette influence par un mécanisme de restructuration offline. Nous avons présenté ce mécanisme, ou hypothèse de restructuration phonologique dans le Chapitre 2 (III.3.3, p. 111). Pour rappel, selon cette hypothèse, l’orthographe contaminerait en quelque sorte la phonologie lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture altérant alors la nature profonde des représentations phonologiques (Muneaux & Ziegler, 2004; Ziegler & Goswami, 2005). L’orthographe ne serait pas activée de manière directe, mais influencerait la qualité des représentations phonologiques à travers une modification des représentations préexistantes (Bürki et al., 2012; Harm & Seidenberg, 1999; Muneaux & Ziegler, 2004; Taft, 2006; Taft & Hambly, 1985).

L’objectif de Bürki et ses collègues (2012) était de comprendre de quelle manière l’input orthographique influence la production de la parole. Pour cela, les auteurs ont utilisé des mots dont la prononciation est affectée par la variation phonologique. Les mots affectés par ce phénomène possèdent deux variantes phonologiques : une variante correspond à la forme orthographique du mot (e.g., médecin prononcé [mɛdəsɛ̃]), l’autre variante ne correspond pas à la forme orthographique (e.g., médecin peut également être prononcé [mɛdsɛ̃]). Les sujets français devaient apprendre auditivement les associations entre de nouveaux mots et leurs images correspondantes d’objets inexistants sur une période de quatre jours. Tous les nouveaux mots étaient des variantes réduites de mots contenant un schwa (e.g., rvinche [ʁvɛ̃ʃ]). Puis, les formes orthographiques des nouveaux mots ont été présentées aux sujets une seule fois. La moitié des sujets a été exposée à la forme orthographique contenant la lettre « e » (e.g., revinche) et l’autre moitié à la forme orthographique sans la lettre « e » (e.g., rvinche). Notons que cette dernière forme orthographique correspond à la variante phonologique à laquelle les sujets ont été exposés pendant la phase d’apprentissage. Les sujets étaient ensuite testés dans différentes tâches

de dénomination d’images.

Les résultats ont montré qu’une seule présentation de l’orthographe d’un mot suffit à modifier les représentations phonologiques correspondantes. En effet, suite à la présentation de l’orthographe, le groupe exposé aux formes orthographiques contenant la lettre « e » produisait la variante phonologique avec schwa [ʁəvɛ̃ʃ] en dénomination d’images, alors que les sujets avaient toujours entendu la variante sans schwa [ʁvɛ̃ʃ]. Il apparait que l’exposition des sujets à la lettre « e » dans la forme orthographique les a conduits à ajouter le phonème correspondant dans la représentation phonologique déjà existante des nouveaux mots. Les auteurs ont expliqué ces résultats en suggérant que l’influence de l’orthographe sur la production de la parole s’effectue par une restructuration offline des représentations phonologiques.

Une étude récente corrobore les résultats de Bürki et ses collègues (2012). Saletta et al. (2015) ont également démontré que l’exposition à la forme orthographique d’un non mot améliore la performance de prononciation des sujets comparativement à d’autres sujets non exposés à la forme orthographique. Dans cette étude, des sujets anglais avaient pour consigne d’écouter et de répéter des non mots dans une phase de prétest. Puis, dans la phase d’apprentissage, un groupe de sujets devait répéter les non mots entendus, alors que l’autre groupe devait lire les mêmes non mots. Le posttest a révélé que la modalité de présentation des stimuli, auditive ou visuelle, influence les performances de prononciation. En effet, les performances de prononciation sont meilleures pour le groupe qui a été exposé à la forme orthographique des mots comparativement à celui qui a été exposé aux formes auditives uniquement. Les résultats de cette étude attestent de l’influence de l’orthographe sur la production de la parole via une restructuration offline des représentations phonologiques.

Pour conclure, les résultats de ces différentes études montrent clairement que l’orthographe exerce une influence sur la production de la parole. Bien que les premières études qui se sont intéressées à la question révèlent des résultats contrastés (Alario et al., 2007; Bi et al., 2009; Chen et al., 2002; Damian & Bowers, 2003; Roelofs, 2006; Zhang & Damian, 2012), l’adoption du paradigme d’apprentissage de mots (Bürki et al., 2012; Chevrot et al., 2000; Rastle et al., 2011) a permis de fournir de solides données, corroborées par de récentes études (Saletta et al., 2015) montrant l’influence de l’orthographe sur la production de la parole. D’autre part, les résultats de ces études montrent que cette influence opère par une restructuration offline des représentations phonologiques en production de la parole.

L’influence de l’orthographe sur la production de la parole a également été démontrée en L2, en adoptant le paradigme d’apprentissage de mots. Nous présentons les études qui se sont intéressées à cette question.

Influence de l’orthographe sur la production de la parole en L2