• Aucun résultat trouvé

Les modèles de production écrite de mots 2.

2.3. Le modèle comparatif des processus impliqués en tâche de copie et de dictée de Pérez (2013)

Pérez (2013) a proposé une modélisation comparative des processus cognitifs impliqués en dictée et en copie dans une perspective d’acquisition de l’orthographe. Le modèle comparatif a deux objectifs principaux. Le premier est d’examiner la charge cognitive qui découle des caractéristiques orthographiques des mots à écrire, et le second est d’examiner les effets d’interaction entre représentations orthographiques et représentations phonologiques. C’est sur ce dernier point que nous insisterons le plus, car l’interaction entre les codes orthographiques et phonologiques est au cœur de notre étude.

En production écrite de mots isolés, que ce soit en copie ou en dictée3, interviennent

la mémoire à long terme, la mémoire de travail et la mémoire à court terme. Ces trois structures cognitives peuvent constituer soit une ressource, soit une contrainte. La mémoire à long terme, contenant les programmes moteurs et le lexique mental, est une ressource pour la production écrite de mots puisqu’elle est illimitée. Au contraire, la mémoire de travail4

est limitée (Baddeley, 1986) et représente alors une contrainte. Elle assure la récupération en mémoire à long terme des représentations phonologiques, orthographiques et sémantiques par la voie d’adressage, lorsque le mot est connu. Lorsque le mot n’est pas connu, c’est la voie d’assemblage qui intervient pour convertir les phonèmes en graphèmes, dans le cas de la dictée. Dans le cas de la copie, les graphèmes sont convertis en phonèmes lors de la lecture du mot, puis transposés en graphèmes. Enfin, la mémoire à court terme est la structure la plus limitée qui fait alors peser la contrainte la plus importante sur la production écrite.

3 Mais aussi en dénomination écrite ou en écriture spontanée (Bonin, Méot, Lagarrigue, & Roux, 2015; Hayes, 1996; Pérez,

Giraudo, & Tricot, 2012).

4 Rappelons à ce propos que la mémoire de travail n’était pas intégrée au modèle princeps d’Hayes et Flower (1980). Son rôle

Une caractéristique spécifique de la tâche de copie est que le mot à copier, c’est-à- dire l’input visuel, est fourni au scripteur. De ce fait, Pérez (2013) considère que l’input visuel du mot à copier constitue une mémoire externe, mémoire à laquelle le scripteur peut se référer à tout moment5. C’est cette spécificité de la tâche de copie qui fait dire à l’auteur

qu’elle possède un avantage sur la dictée, de par la présence de la mémoire externe du mot à copier. Nous adoptons également cette position. Dans la tâche de copie, le scripteur peut se référer à la mémoire externe, qui n’est pas soumise à variation et qui représente alors une ressource supplémentaire, en plus de la mémoire à long terme qui est impliquée dans n’importe quelle tâche de production écrite.

Pérez (2013) propose un descriptif détaillé des processus impliqués dans la production écrite de pseudo-mots réguliers et irréguliers en dictée et en copie. Nous ne les détaillerons pas ici, car nous avons fait le choix, dans notre étude, de travailler avec des mots et non des pseudo-mots. Ainsi, nous décrivons plutôt les processus impliqués lors de l’écriture d’un mot familier, mais irrégulier, lors d’une tâche de copie et de dictée. La modélisation de ces derniers est représentée dans la Figure 17 ci-dessous :

5 Sauf dans le cas d’une tâche de copie en différé. Dans ce cas, l’input visuel disparait lorsque le scripteur commence à copier

« Stylo » est un mot qui comporte une inconsistance orthographique : le phonème /i/ est transcrit par le graphème « y ». De ce fait, stylo est un mot irrégulier puisque le graphème « i » est une transcription bien plus fréquente du phonème /i/ que le graphème « y ».

En dictée, la production écrite du mot stylo est directement dépendante de la connaissance ou non du mot par le scripteur. Si le mot est connu du scripteur, c’est-à-dire si la représentation orthographique du mot est correctement codée et accessible en mémoire à long terme, alors la production écrite a toutes les chances d’être correcte. Au contraire, si le mot n’est pas connu du scripteur, ou bien si la représentation orthographique du mot n’est pas correctement codée, la représentation phonologique du mot stylo va interférer avec sa représentation orthographique, puisque deux graphèmes, « i » et « y » sont des transcriptions possibles du phonème /i/. Autrement dit, en production écrite sous dictée, deux possibilités existent. Soit la production est correcte, reflétant alors l’utilisation de la voie d’adressage. Dans ce cas, la représentation orthographique est stable et acquise. Soit la

Figure 17 Modélisation comparative des processus cognitifs concernés lors du traitement d’un mot irrégulier en copie et en dictée de Pérez (2013).

Les processus concernant la copie sont représentés en rouge, les processus concernant la dictée sont représentés en vert. D’après Pérez (2013, p. 299).

production est incorrecte, reflétant au contraire l’utilisation prédominante de la voie d’assemblage. Dans ce cas, la représentation orthographique est inexistante ou bien instable, elle n’est pas acquise.

En copie, même dans le cas où la représentation orthographique n’est pas correctement codée en mémoire à long terme, la présence de la mémoire externe, c’est-à- dire de l’input visuel du mot à copier, permet une production correcte du mot. En effet, le traitement du mot à copier, effectué par le scripteur, conduit à un conflit entre la représentation phonologique, la représentation orthographique et la mémoire externe. La résolution de ce conflit est opérée par la mémoire externe et non par la représentation orthographique, comme c’est le cas dans une tâche de dictée. En copie, la mémoire externe est la forme orthographique du mot à copier qui n’est pas soumise à variation, mais qui est au contraire stable et normée. Ainsi, la disponibilité du mot à copier renforce le processus de conversion graphème-phonème-graphème instancié par la mémoire de travail et dans le même temps, renforce également la représentation orthographique qui est stockée en mémoire à long terme.

Pour conclure, la modélisation comparative des processus impliqués en tâche de copie et de dictée, permet à l’auteur de tirer des conclusions quant à l’utilisation de ces deux tâches dans une perspective d’acquisition de l’orthographe. Selon les auteurs, la dictée ne peut être considérée comme une tâche d’acquisition de l’orthographe à proprement parler. Elle est plutôt envisagée comme une tâche de vérification des connaissances orthographiques du scripteur. En effet, une tâche de dictée pourrait permettre de vérifier si le scripteur a établi une représentation phonologique stable du mot en question, mais aussi, s’il maitrise les procédures de conversion phonèmes-graphèmes. La disponibilité de la mémoire externe en tâche de copie permettant de renforcer le processus de conversion graphèmes- phonèmes, lors de la lecture du mot, puis phonèmes-graphèmes, lors de l’écriture du même mot, mais également la représentation orthographique qui est stockée en mémoire à long

terme, fait de la copie une réelle tâche d’apprentissage de l’orthographe. D’autre part, à la différence de la tâche de dictée, Lambert et al. (2011) expliquent que les stratégies de lecture sont différentes suivant la nature de la tâche qui suit et que le processus requis pour la copie de mot implique une interaction entre les processus orthographiques et phonologiques. En copie, la lecture du mot à copier n’est pas seulement basée sur la conversion graphèmes-phonèmes (comme c’est le cas en dénomination écrite), mais aussi sur une analyse orthographique du mot à produire. Les sujets doivent ainsi traiter toutes les informations orthographiques contenues dans le mot (par exemple les lettres muettes ou les doubles consonnes) pour éviter les erreurs. L’information phonologique devient alors moins décisive qu’en production orale ou en dictée.

Nous venons d’analyser de quelle manière est produite et traitée la modalité écrite de la langue à travers les modèles de copie et de dictée. L’interaction entre les codes phonologiques et les codes orthographiques, mise en exergue par ces modèles de production écrite de mots, vont permettre d’expliquer l’influence de l’orthographe en production de la parole. Contrairement au grand nombre d’études qui a examiné l’influence de l’orthographe sur la perception de la parole, peu d’études se sont intéressées à l’influence de l’orthographe sur la production de la parole. Nous consacrons cette partie aux travaux qui ont examiné cette influence en L1 et en L2.

Influence de l’orthographe sur la production de la parole en L1