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3.2 Deuxième chapitre : L’immixtion du travail dans la vie familiale/personnelle

3.2.5 Penser aux patients durant la vie familiale

Les différents contextes émotionnels sont difficiles à gérer pour certaines soignantes car elles sont en interaction permanente avec la souffrance et la mort. La gestion des contextes émotionnels englobe des situations humaines difficiles avec les tensions impliquées (Phaneuf, 2012 ; Saskia Andrey & Mégane Heyd, 2015). Il est aisé d’associer le deuil avec le décès d’un proche qu’il s’agisse de la famille ou de l’entourage, or, il est également présent chez les professionnels dans un cadre de travail. Une relation professionnelle de soin exige une mise à distance psychologique de la part des soignants. Cependant, le soignant est souvent en contact avec la mort.

La proximité répétitive avec la fin de la vie des patients, leurs souffrances et celles de leurs familles se révèle souvent très difficile. Le décès d’un malade représente une rupture de lien avec autrui. En se produisant d’une manière répétitive, il entraîne un épuisement et une détresse profonde. Il en résulte une remise en question des compétences. En effet, la mort est assimilée à l’échec de la mission de soin : le prendre soin. « À l’hôpital, la mort est professionnalisée : en réanimation, alors que la logique est essentiellement curative, les soignants organisent et gèrent la fin de vie, l’inscrivent dans une journée de travail et l’intègrent dans leur mission. Elle y est définie et reste circonscrite à cette définition. » (Nancy Kentish-Barnes & Julien Valy , 2013, p.17)

L’écart entre les valeurs professionnelles, l’idéal des soins et la réalité du quotidien incitent l’infirmière à vivre cette crise avec « de la frustration, de l’anxiété, de la colère, de l’impuissance voire de la culpabilité de la dévalorisation et un sentiment de non-accomplissement», (Phaneuf, 2014, p. 5). Ce conflit de valeurs, causé notamment par des décès répétés des patients, engendre à long terme du burn-out et d’autres comportements handicapants tels que l’irritabilité, la difficulté de sortir de la routine quotidienne, une baisse d’énergie, une tendance à l’indifférence face à la douleur et du désengagement envers les autres.

Le passage suivant raconte la manière de faire face, pour une soignante, à la première mort d’un patient dans le service des urgences. Il met en évidence la peur de la déshumanisation qui menace les soignantes à long terme.

« La première mort d’un patient m’a beaucoup affecté. Je me sentais coupable. C’était un homme de 55 ans qui a eu un accident de voiture. On se souvient toujours du premier patient qui meurt surtout si on était de garde. L’équipe m’a aidé à affronter cette épreuve. Mais ma famille était également présente surtout ma mère. On a parlé pendant des heures. J’avais envie de tout arrêter. Je me questionnais sur mon avenir dans cette profession. Je me disais comment pouvoir vivre ces situations toute ma carrière jusqu’à la retraite. Prendre soin d’un patient, faire tout pour qu’il vive et un jour venir travailler et trouve un lit vide. Est-ce que tu peux imaginer cela ? Je détestais quand quelqu’un me disait tu vas t’habituer. Je ne voulais pas m’habituer à la mort. Je me disais que j’allais perdre mon humanité. J’entends souvent que les infirmières n’en ont pas » (Assia, 31ans, 9ans).

La burn-out touche de nombreux professionnels. Cependant, la déshumanisation du soin et des relations avec le patient semble être un aspect caractérisé dans les professions d’aide. Soignants et soignés sont engagés dans une relation et un processus de soin. « La déshumanisation

n’est pas un symptôme dont souffrirait le soignant, mais un problème central dans l’activité soignante. La déshumanisation figure, en premier lieu, comme l’un des principaux enjeux de l’activité et de la relation à l’autre. Face à une déshumanisation possible, l’activité de soin vise à préserver l’humanité des personnes » (Mathieu Raybois, 2014, para 33). Le déséquilibre dans la relation dʼaide entre les demandes du soigné et les réponses du soignant crée à long terme le burn-out. Il entraîne une déshumanisation des personnes déjà fragilisées. Le soignant épuisé se contente de faire les soins aux malades en occultant la personne malade. L’infirmière se focalise sur le travail technique. Cet état d’être accentue son identité de technicien de la santé. Le corps-sujet est rapidement remplacé par le corps-objet (Marie-Françoise Collière, 1995).

La souffrance et burn-out sont présents au delà de la sphère professionnelle pour se refléter dans celle privée. Ils se répercutent sur l’humeur des infirmières et dans leurs relations familiales. En outre, ces maux réclament le soutien des membres de la famille. Par ailleurs, le soignant projette la mort du patient aux membres de sa famille.

Les propos suivants exposent les sentiments des soignants lors du décès de patients qui ont particulièrement affecté les infirmières.

« Quand, on nous amène des patients jeunes et qu’ils meurent, cela nous touche beaucoup. Quand, on entend leur famille crier et pleurer. On se fige et on attend que cela se tasse. C’est dur. On reste en retrait caché. C’est vraiment difficile. Il y avait un jeune homme de 21 ans, on l’a perdu après 3 jours. C’était particulièrement dur pour moi (un long silence et pleurs). Il me rappelait mon petit frère. J’ai fait des cauchemars pendant deux jours. Je n’arrêtais pas de me dire que cela aurait pu être mon petit frère. C’est la même chose quand c’est une vieille dame ou une jeune fille. Parfois, on pense à sa famille et que finalement cela pouvait être un de notre famille. Là, c’est difficile. On n’est pas seulement soignant. On est des mères, des sœurs, des filles. Et

on ne peut pas ne pas penser à notre famille. C’est aussi une face difficile de notre métier. »( Dounia, 35 ans,12 ans EP)

Les infirmières vivent mal certaine mort de patients car elles opèrent une analogie avec leurs proches. Pour elles, certains décès sont plus bouleversants que d’autres. Dans ces cas, ce n’est pas l’implication de l’infirmière qui en est la cause mais le rapprochement des statuts sociaux, de l’âge et de la physionomie des patients avec un membre de la famille. Par conséquent, elles sont susceptibles de provoquer un travail de parallélisme avec leur famille. Les infirmières se réfugient au sein de leur famille pour limiter les effets des aspects négatifs de la pratique soignante. Or, les aspects négatifs de la vie de famille sont également sources de stress et d’angoisse. Dans ce cas, l’opposé se produit et la sphère professionnelle devient à son tour une échappatoire.