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1.1 Premier chapitre : La fatigue professionnelle, de quoi parle-t-on ?

1.1.6 Approche psychologique du Burn out :

Bien que nous proposons une étude sociologique sur la fatigue professionnelle ; les approches psychosociales prennent également tout leur sens. Elles présentent les interactions entre le mental et le social, entre le développement psychologique d’un individu et un environnement social donné. Il s’agit, ici, d’aborder les caractéristiques individuelles et/ou collectives au travail et à l’activité propre (Philippe Zawieja & Franck Guarnieri, 2013). De cette démarche à la fois psychologique et sociologique résultent de nombreux modèles sur la fatigue professionnelle. Nous proposons, brièvement, les principaux modèles sur la base de leur chronologie d’apparition et de leur influence dans la scène littéraire et scientifique.

Aux Etats-Unis, durant les années 1970, le burn out est appréhendé comme un problème social et non pas comme un problème intellectuel. Les

cliniciens, Herbert FREUDENBERGER (1974,1981) et Christina

1.1.6.1 Herbert Freudenberger : la maladie du battant

Herbert Freudenberger est communément reconnu comme l’auteur des premières recherches sur le syndrome d’épuisement professionnel. Il dirigeait un hôpital free clinic 17 accueillant des toxicomanes dans le Lower East Side de New York. L’article, Staff burn out publié en 1974, est le premier essai de description de ce trouble. Les jeunes bénévoles, très investis professionnellement et émotionnellement avec des patients toxicomanes sont les principaux protagonistes de cette recherche. Il écrit :« Je me suis rendu compte au cours de mon exercice quotidien que les gens sont parfois victimes d’incendie tout comme les immeubles ; sous l’effet de la tension produite par notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte » (Freudenberger 1974, cité par Canouï & Mauranges, 2001, p. 6). Il semble qu’une forte implication dans le travail aboutit au burn out. Après une période relativement courte d’activité, des symptômes physiques tels que l’épuisement, la fatigue, la persistance de rhumes, les maux de tête, les troubles gastro-intestinaux et les insomnies surviennent continuellement chez le personnel soignant. L’épuisement professionnel renvoie à un état de fatigue chronique, de dépression et de frustration : résultats d’une dévotion à une cause ou à une relation. Les récompenses souhaitées ne sont pas présentes ce qui conduit à une diminution progressive18 de l’implication et de l’accomplissement du travail (Herbert Freudenberger, 1974). La perte de

17 Traduction : Clinique gratuite

18De leur côté, Edelwich & Brodsky (1980) insistent aussi sur le caractère progressif de l’épuisement professionnel. Pour ces derniers, l’épuisement professionnel renvoie à une perte progressive d’idéalisme, d’énergie et de but. Cette perte est ressentie par des individus qui œuvrent dans des professions d’aide et elle est tributaire de leurs conditions de travail.

motivation découle directement de l’insuffisance des résultats escomptés et du manque de valorisation. Pour l’auteur, la fatigue concerne les personnes présentant une idéalisation de soi. Ils se perçoivent comme des personnes actives et compétentes mais également charismatiques et brillantes. La confrontation à la réalité et à leur soi véritable constitue un obstacle majeur à la réalisation des objectifs fixés qui sont impossibles à atteindre. Ainsi, les facteurs individuels ont une place considérable dans le développement du burn-out puisque ce sont les individus engagés et dévoués à une cause qui sont frappés par le burn out. Il est la maladie du battant.

1.1.6.2 Christina Maslach et les relations interpersonnelles

Christina Maslach est une chercheure en psychologie sociale et une autre pionnière qui a participé à valider la fatigue professionnelle comme concept. Elle décrit le burn-out initialement dans les années 1970, comme une fatigue mentale et physique des personnes dont le contact permanent avec autrui est au cœur de leur travail (Maslach, 1976). Pour ces scientifiques C. Maslach et Leiter (1997), la fatigue professionnelle n’est nullement une question de prédispositions héréditaires ou de personnalité à l’aspect négative (agressivité, dépression, neurasthénie…etc.). Il n’est pas non plus le résultat d’un manque d’ambition néanmoins il se situe particulièrement dans une question d’ordre professionnel.

Le burn out s’avère commun aux professionnels de la santé et aux avocats. Ces professions se caractérisent par la relation d’aide. Cette dernière semble au cœur du phénomène. Pour Christine Maslach (1978), travailler avec autrui et s’impliquer relationnellement augmenteraient le risque de développer un burn out. Il est important de prendre en compte six dimensions de la relation entre l’individu et son environnement de travail. Ces dimensions contribuent à saisir du dedans les causes de la fatigue professionnelle : la charge de

travail, l’autonomie au travail, un faible contrôle, un manque de reconnaissance, l’absence de soutien social, un sentiment d’injustice et inégalité et enfin les conflits de valeurs.

En outre, l’environnement et les conditions de travail non adéquats sont également à l’origine du burn out19. Les analyses de Christine Maslach convergent vers des manifestations récurrentes de la fatigue professionnelle : épuisement émotionnel, attitudes distantes, négatives envers les clients ou les patients. Ces manifestations sont communément répandues chez les professions relationnelles.

Pour cette auteure(1976), le burn out est lié au terme de « craquage ». Ce dernier déteint sur le travail quotidien. Il comprend une perte d’efficacité, de l’absentéisme et d’un turnover20 élevé, en particulier dans les services de santé et de l’action sociale. Il provoque aussi une détérioration du bien-être physique : « Les professionnels sont épuisés, fréquemment malades et peuvent souffrir d’insomnies, d’ulcères et de maux de tête […] Afin de surmonter ces problèmes physiques, le travailleur peut se tourner vers les tranquillisants, la drogue […] Le burn out est encore associé à des manifestations comme l’alcoolisme, la maladie mentale, les conflits conjugaux ou le suicide » (C. Maslash, 1974, Citée par Virginie Moisson-Duthoit, 2009, p53).

Un des moyens pour faire face à la fatigue professionnelle est la mise à distance ou le désengagement. Ces procédés se construisent comme des stratégies verbales catégorisant les clients sous des désignations abstraites :

19 Dans le même ordre d’idées dans les théories de l’équité et de la justice organisationnelle, Bakker et Demerouti , (2003, 2006) indiquent que burn out serait provoqué par les pressions vécues en milieu de travail. Ces mêmes pressions sont produites par le déséquilibre entre les demandes physiques et émotionnelles au travail et les ressources disponibles des employés, comme par exemple, un bon soutien social.

des dossiers, des numéros, caractéristiques négatives et stigmatisantes ou encore une maladie. D’autres acteurs ont tendance à élaborer d’autres stratégies comme la mise à distance physique. Cette dernière contribue à délimiter les implications personnelles. Christina Maslach utilise le terme de « dépersonnalisation» pour désigner ces attitudes.

Ainsi, ces deux approches psychologiques ont marqué les analyses et des générations de chercheurs. Elles ont pour trait commun l’exportation vers d’autres domaines telle que la sociologie.