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3.1 Premier chapitre : Les Responsabilités hors travail et leur impact sur la fatigue du soignant

3.1.4 La deuxième journée de travail

Dans le contexte actuel, le travail au féminin est un objet d’étude attrayant pour les chercheurs en sciences humaines et sociales. En effet aujourd’hui, les femmes s’engagent de plus en plus, dans diverses activités : professionnelle, familiale, de loisirs ou d’intérêts publics. Cet investissement accru entraîne un partage entre différents temps notamment le temps au travail et le temps familial. Cela pose souvent la question de l’aspect conflictuel entre les deux domaines. Ainsi, il semble important de comprendre la manière dont les femmes gèrent au quotidien l’ensemble des exigences du travail domestique, éducatif et celles du travail salarié avec tous ce qu’il comporte comme stress et fatigue morale et physique. Ici, la double journée de travail est révélatrice de difficultés vécues au quotidien. Elle sous-entend les questions de la division sexuelle du travail et la question de la dévalorisation du travail invisible.

Le double travail des femmes est un thème déjà abordé par la sociologie du genre, de la famille et la sociologie du travail. Dans cette dernière discipline, un parallèle est analysé entre la double journée de travail domestique non rémunéré et celle du travail professionnel rémunéré. Ce parallèle correspond entre autres à la division industrielle du travail et la division sexuelle des tâches au sein de la famille.

Lors de l’évocation de leurs difficultés à concilier responsabilités familiales et professionnelles et les répercutions sur leurs santé, les infirmières ont mis en évidence l’épreuve du travail domestique. Concernant les infirmiers, ils évoquent leurs avantages à bénéficier de repos en sortant du travail.

« Je suppose que c’est plus difficile pour les infirmières que pour les infirmiers. Mais la place de la femme est à la maison à s’occuper de sa famille, de ses enfants et de son mari ; elle n’est pas ici, même si elles sont de très bonnes infirmières. Si la femme veut travailler, elle doit l’assumer et ne pas se plaindre et dire que j’ai aussi le ménage, la cuisine et les enfants dont je dois

m’occuper. Les temps sont durs et je comprends que les femmes doivent travailler mais leurs responsabilités est avant tout envers la famille. » (Adam, 51 ans, 25 ans).

Le discours des infirmiers sur les responsabilités et le travail domestique des femmes oseille entre compassion et détachement. À propos des pratiques de conciliation, ils reconnaissent la part importante effectuée par les femmes dans la gestion de la vie familiale et domestique. Cependant, il y a une constante référence à la place occupée traditionnellement par les femmes au sein de la famille. Cette place permet de caractériser assez finement le rôle de la femme dans l’espace domestique et l’organisation du travail dans la maison. « la manière dont les femmes racontent leurs pratiques de « conciliation travail-famille » constitue un indicateur empirique assez fiable de leur positionnement – objectif et subjectif – par rapport au système dominant du genre. », nous fait remarquer (Nathalie Lapeyre& Nicky Le Feuvre,2004, p 43)

Concernant la double journée de travail et la fatigue liée au travail, cette infirmière dit :

« Les femmes travaillent deux fois plus que les hommes. Quand, je rentre du travail, j’ai un deuxième travail qui m’attend. Parfois, je travaille à la maison d’une manière automatique, je ne vois pas le temps passer. Je n’ai pas conscience de ce que je fais. Je n’ai pas le temps d’analyser ma journée, si tu veux. Je n’ai pas le temps de réfléchir ou de m’occuper de moi. Mais, je dois tout prévoir à l’avance les repas, les tâches domestiques. Ce qui me touche ce n’est pas le stress au travail comme tu dis mais c’est d’avoir deux temps de travail, c’est d’être à la fois mère, épouse et d’être soignante dans un service comme celui-ci. On est d’abord fatiguée moralement. J’ai l’impression qu’on ne vit pas, on passe à côté de la vie. Les journées passent et se ressemblent. »(Aicha, 48ans, 17ans EP).

Que ce soit dans l’espace domestique ou professionnel, l’emploi du temps des femmes salariées au service des urgences est dominé par un rythme effréné. Les femmes, conjointes et mères, qui ont une vie professionnelle doivent satisfaire les exigences d’une pratique de soin dans un service qualifié de difficile et d’atypique, et les exigences du travail domestique au sein du foyer. Celles-ci contribuent à assurer le bien-être des membres de la famille (F. Boufenik, 1998). Ainsi, « La femme a été longtemps soumise aux horaires des autres membres de la famille, elle a la tâche de se conformer à l’idéal de la disponibilité féminine, elle a mené la difficile gestion des temps professionnels et domestiques… » (Pierre Moisset, 2001, p71)

Pour De singly, (1987), les femmes salariées opèrent la difficile « gestion ordinaire de la vie en deux ». Le résultat est une remise en cause et un chevauchement de leurs trois temps de vie : temps libre, temps familial et temps professionnel. (Anne Marie Devreux, 1983) partage également l’idée selon laquelle : en conséquence de l’intensité de leur rythme d’alternance et de l’énergie déployée dans les deux domaines, il subsiste peu de moments libres pour soi, pour les femmes. Ces dernières ont la charge d’époux ou d’enfants et sont reléguées au rôle de gestion des besoins d’autrui. D’ailleurs, dans son analyse, elle associe le temps libre aux hommes.

Ces doubles journées astreintes aux travailleuses sont à la longue une source de mal-être existentiel. Pour François De Singly, (1996), la « disponibilité familiale » de la femme est une source de souffrance se développant comme le résultat d'un stress chronique. Pour Amy S. Wharton, 2004, certains profils de femmes, particulièrement celles qui, travaillent dans le secteur des services, et par conséquent en constante relation avec les autres, appréhendent les demandes interpersonnelles issues de leur travail et de leur famille dans une optique de conflit plutôt que de continuité. La vie familiale s’avère autant stressante que la vie professionnelle. D’ailleurs, de

nombreuses études, notamment celle de Liliane Holstein (2014), évoquent le burn-out parental ou maternel45. Il est définit comme « un état psychologique, émotionnel et physiologique résultant de l’accumulation de stresseurs [facteurs de stress] variés, caractérisés par une intensité modérée et un aspect chronique et répétitif » ( Violaine Guéritault, 2004, p. 27). Les infirmières des services des urgences sont des victimes potentielles de ces maux. Lorsqu’elles sont soumises à un stress répété et à un excès de sollicitations physiques, émotionnelles et cognitives, au point d'être épuisées physiquement mais surtout psychologiquement, la souffrance devient une réalité. Cet état est d’autant plus difficile à gérer quand il est partagé dans les deux domaines professionnels et privés.