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1.1 Premier chapitre : La fatigue professionnelle, de quoi parle-t-on ?

1.1.3 L’évolution de l’approche de Burn out :

Le burn out n’est pas un syndrome nouveau cependant cet état n’a été conceptualisé que durant le XXe siècle. Certains auteurs estiment qu’il s’est développé au cours de la révolution industrielle ; d’autres le perçoivent en tant que phénomène contemporain des années 1980. Malgré l’incertitude, tous semblent enclins à dire que le burn-out a pris racine suite à des transformations sociales. L’historique du terme met en exergue les liens de ce phénomène avec des concepts voisins tels que stress et surmenage professionnels.

Dès le XVIIIe siècle, en 1770, la relation santé–travail intéresse un précurseur dans le domaine de la psychopathologie du travail, le Dr Samuel Auguste TISSOT. Il offre quelques portraits d’intellectuels dont la mort est directement liée à la tâche exercée. Il décrit les méfaits de l’acharnement au travail sur la santé en proposant une approche hygiéniste et préventive (Philippe Zawieja & Franck Guarnieri, 2013).

Le XIXe siècle est marqué par une préoccupation d’ordre scientifique10. Au temps de la révolution industrielle, l’activité musculaire et la fatigue des ouvriers occupent les chercheurs (Rabinbach Anson, 2004). En effet, le lien entre la fatigue chez les ouvriers et leur environnement de travail ont mis rapidement en exergue l’importance de la fatigue du corps humain au travail même si au premier abord les progrès technologiques étaient sensés soulager l’ouvrier. C’est au cours de ce siècle que d’autres notions aident à qualifier des états analogues à l’épuisement professionnel comme le surmenage overwork exposé dans l’ouvrage Manuel of Psychological Medicine de Daniel Hack Tuke en 1858. La fatigue représente un fait ordinaire, le repos existe pour y faire face et diminuer les conséquences sur l’organisme. Dans certains cas, il semble que l’équation effort-fatigue-repos n’est pas toujours axiomatique. Le repos ne soulage plus et la fatigue persiste. Elle devient permanente aboutissant éventuellement à un surmenage professionnel. Pour (Sartin, 1966) cité par (L. Kirouac 2012, p.53), il est «la conséquence d’une activité dont le rythme est exagéré et prolongé, sans moment de détente, sans possibilité de récupération réparatrice ».

En 1911, Siegbert Schneider publie un article sous le titre maladies des enseignants11. Il évoque une maladie typique la « neurasthénie ». Les symptômes caractérisent cette condition psychopathologique. Ils recouvrent : insomnie, troubles de l’appétit, hypersensibilité, maux de tête, fatigue, troubles de l’attention et de la concentration, affaiblissement des performances, accablement ou hyperexcitabilité, ainsi que d’autres états subjectif de dépréciation (P Zawieja, F Guarnieri,2013).

10Parmi les importantes études recensées, on retrouve l’article du médecin britannique POORE paru en 1875 dans The Lancet sous le titre On fatigue. Dans la thèse du Dr Carrieu, (1878) à l’époque chef de clinique médicale à Montpellier, intitulée De la fatigue et de son influence pathogénique. Nous pouvons lire : « la fatigue considérée en elle- même en tant que phénomène spécial et

indépendamment du rôle quelle peut jouer dans l’étiologie pathologique ».(Carrieu, 1878,p 01)

11 Le titre original en allemdand « Oberpfälzer Schulanzeiger » est (cité par P Zawieja, F Guarnieri,2013).

En Asie orientale, précisément, le Japon, trois médecins Hosokawa, Tajiri et Uehata1982, fournissent une description détaillée d’un nouveau syndrome qu’ils nomment le Kaloshi: « Kalo » (mort) « shi » (fatigue au travail). Cette description survient à la suite de la mort brutale de cadres et d’employés de bureau suite aux accidents cardio-vasculaires imputables à une charge de travail. Dans la société japonaise où l’incapacité professionnelle n’est pas tolérée, le karoshi est très répandu. Le culte du travail et de la performance poussent les salariés japonais à redoubler d’efforts sous peine d’être remplacés par des personnes à même de soutenir le rythme. Le karoshi est bien considéré comme une forme extrême de burn-out ; une forme mortelle du stress qui est reconnue comme une maladie professionnelle au Japon depuis les années 1970 (P.Jobin, 2008).

Claude VEIL, pionnier en psychiatrie sociale et psychopathologie du travail, introduit le concept de l’épuisement professionnel en France. En 1959, dans le Concours Médical : Les états d’épuisement au travail, on relève : « L’état d’épuisement est le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation. L’un et l’autre sont complexes, et l’on doit se garder des simplifications abusives. Ce n’est pas simplement la faute à telle ou telle condition de milieu, pas plus que ce n’est la faute du sujet ». (Veil C, 1959, p. 2675). Pour mieux illustrer ses idées, Veil opère une comparaison avec un compte en banque. Pour ce chercheur, tout individu dispose de provisions, mais dès qu’on se trouve à découvert, le tirage, si peu soit-il, devient impossible. Chaque personne possède un certain capital, une marge d’adaptation, plus ou moins large, et qui lui appartient en propre ; si une personne vient à utiliser ses « provisions »plus qu’elle en dispose, la fatigue (le relevé de compte) l’en avertit. Même le plus petit effort supplémentaire la conduira à la faillite (Veil C, 1959).

Comme le surmenage, le stress est encore un concept voisin de la fatigue professionnelle. Il apparaît pour la première fois en 1946, sa diffusion est au

niveau mondial. Dans The stress of life, Le Stress de la vie, Hans Selye(1962) y décrit le mécanisme du syndrome d’adaptation. Pour Stora Jean-Benjamin, « Le stress est un phénomène universel lié à l’existence et à la poursuite de la vie sur la planète Terre ; il est d’abord source d’excitation sensorielle et motrice permettant la croissance des organismes terrestres. On peut alors comprendre la citation du père du stress, Hans Selye, liant le stress et la vie ; trop de stress nuit aux organismes terrestres, absence de stress = mort.». (Stora Jean-Benjamin, 2010, p 02).

En consultant les écrits sur l’historique de la fatigue professionnelle, on constate une construction intellectuelle progressive et cumulative. Du fait de son utilisation courante dans le monde du travail, il semble important de le distinguer des autres troubles relatifs à la santé mentale. Ces mêmes concepts (stress, surmenage, neurasthénie) ont contribué peu ou prou à situer ce mal dans le domaine scientifique. Nonobstant, il reste à établir une conceptualisation claire de ce phénomène. Cette démarche s’est développée à la fin des années 1960 quand Harold B. Bradley (1969) dans son article « Community-based treatment for young adult offenders » utilise le terme burn out pour qualifier le stress lié au travail. Le mot anglais burn out12 est repris de la terminologie aérospatiale quand l’épuisement du carburant d’une fusée entraîne la surchauffe et l’explosion du réacteur. (Girault, 1989 ;cité dans Neveu, 1996, p 13) emploie l’expression une carbonisation psychologique13.Dès lors, diverses définitions témoignent de l’évolution sur le plan empirique et épistémologique de ce syndrome. Le burn out apparaît

12Il est utile de ne pas confondre burn out et burn in. Ce dernier est théorisé par le psychologue américain Cary Cooper en 1994. Le burn-in est la phase initiale de l’épuisement professionnel. Il annonce souvent le burn-out.

comme un concept mouvant aux nombreuses définitions. Il semble difficile d’en faire une synthèse.