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Le stress professionnel comme justificatif d’absentéisme

2.3 Troisième chapitre : L’aide, le soutien et la reconnaissance contre le Burn-out

2.3.5 Le stress professionnel comme justificatif d’absentéisme

En raison des nouvelles formes d’organisation du travail et des pressions constantes43 qu’elles exercent sur les salariés, ces derniers abordent des stratégies pour y faire face, notamment, par le biais de justificatifs d’absence. L'absentéisme comme thème sociologique connaît un engouement du fait de sa recrudescence dans les entreprises. Dans la littérature, il est abordé comme un concept global axé sur l’interprétation sociologique et psychosociologique. Par ailleurs, cette revue littéraire sur ce sujet a été largement développée par (Thébaud Annie& Lert France) en 1987 dans l’article à l’intitulé éloquent : Absentéisme et santé. Une revue critique de la littérature.

L’absentéisme renferme plusieurs interprétations et a besoin de diverses approches pour prendre sens. « L'absentéisme dans le cadre des conditions

d'adaptation de l'homme au mode de production industrielle, celui-ci étant considéré comme une institution sociale donnée comme telle. L'absentéisme est ici mis en relation avec des causes sociales » (Thébaud Annie& Lert France, 1987, p 11). Ces causes sociales sont d’ordre personnel ou professionnel (Jardillier & Bauduin, 1979). Concernant les premières raisons, ( J. L. Rigal, 1979) évoque la condition féminine et les responsabilités maternelles comme des facteurs importants d'absentéisme. Dans l’approche professionnelle ou organisationnelle, la rotation du personnel est décrite comme cause d’absence au travail répétitif (Weiss D. & Sartin P., 1976).

Psychosociologique, les causes concernant les motifs, les motivations, l'attitude envers le travail ou le sens du travail sont également mis en lumière (Thébaud Annie & Lert France, 1987). Dans la même perspective, on retrouve des thèmes sous-jacents comme le niveau de satisfaction dans le travail (H. Philipsen ,1970), ou le refus de travail, le contenu et la désaffection du travail industriel (D. Linhart, 1976, 1978). Les recherches en ergonomie ont également donné un sens à l’absentéisme. «La relation entre absentéisme et conditions de travail fait l'objet de monographies étudiant l'influence d'une condition de travail ou d'une dimension de l'organisation du travail sur l'absentéisme : les horaires, la responsabilité dans le travail, l'élargissement des tâches » (Thébaud Annie& Lert France, 1987, p 11). Ainsi, les chercheurs associent les causes individuelles et l'impact de l'organisation du travail sur l'absentéisme. Le lien, résultant de ces deux éléments, représente un des indicateurs des dysfonctionnements structurels d’une institution ou d’une organisation.

Dans le cas des services des urgences, les infirmières évoquent des absences de leurs collègues. Ces absences à répétition sont qualifiées d’injustifiées par certaines, de nécessaires par d’autres à cause de la souffrance en travail. Dans ce cas, le mal-être est présenté comme justificatif pour les absences ;

tandis que pour d’autres, les événements sociaux tels que les mariages, les baptêmes, les anniversaires et autres célébrations sont incriminés. Ces événements n’étant pas impératifs, une question de conscience professionnelle est soulignée par certaines soignantes.

« Tu sais, il ne faut pas croire toutes les infirmières. Certaines utilisent la souffrance des autres. Il y en a qui constate que certains souffrent et en profitent. Ces infirmières n’ont pas peur. Par exemple, elles vont chez un neuropsychiatre se font délivrer un certificat médical. Il leur donne deux semaines de congé maladie, mais un épuisement ou une dépression ne se dissipent pas en deux semaines ; ce sont des mois de traitements. J’en connais qui se servent de cette souffrance pour assister à des mariages, d’autres sont allées en vacances. Une personne en souffrance n’ira pas chez le médecin directement, n’oublions pas que c’est tabou (Silence). Elles se font passer pour des malades et avec cela, elles en ont pour deux ans de tranquillité. Elles sont suivies par un médecin. De temps en temps, elles s’arrêtent de travailler, quand elles ont un événement familial » ( Soumia, 35 ans, 11 ans).

Les impératifs familiaux sont la raison des stratégies d’absentéisme. Mises en pratique par de nombreuses infirmières, elles ne sont pas rares ou inhabituelles. Afin de faciliter leurs absences, certaines exagèreraient leur mal-être. La souffrance au travail, notamment le burn-out sert de justificatif à l’absentéisme. Ce comportement est qualifié d’attitude mensongère. Il perturbe le bon fonctionnement des soins. Sur ce constat, il est possible de de lire : « Le système productif beaucoup plus vulnérable à l'absence des travailleurs salariés puisque toute absence tend, en effet, à mettre en cause le fonctionnement global des unités de production» (Thébaud Annie & Lert France, 1987, p 09) . L’attitude mensongère concernant le phénomène de l’absentéisme est en quelque sorte une unité de mesure. Elle est le symptôme du dysfonctionnement du service des urgences et de son

organisation de travail. On recense d’autres éléments de ce dysfonctionnement comme la démotivation des salariés, une diminution des performances et, bien entendu, la souffrance au travail. Pour d’autres infirmières, l’organisation du service des urgences incite à adopter ces comportements désignés comme négatifs. En effet, le manque d’écoute et le manque de solidarité pousseraient à recourir à de telles pratiques. Autrement dit, ces absences fréquentes sont une réponse au manque d’écoute et de soutien. Sur le contournement des règles de travail se construisent les stratégies visant l’absence au travail.

Les infirmières dévoilent également la manière dont l’absentéisme et l’attitude du mensonge ont un impacte sur l’image sociale du métier.

« Parfois, quand je vois les agissements de certaines ici et même dans les autres services, je comprends pourquoi nous sommes rien dans notre société. J’ai vraiment honte. Quand, je vois des filles qui laissent les malades pour sortir acheter des choses pour leurs maisons, accuser des retards ou s’absenter pour partir à la plage alors que l’on a déjà du mal avec l’équipe au complet, je ne suis vraiment pas bien. Je me dis qu’elles n’ont aucune conscience. Il y a toujours deux groupes dans les services : celles qui se tuent au travail et celles qui s’enfichent, mais pour les patients et les visiteurs, il n’y a pas de différence. Tout le monde aimerait tout laisser tomber et partir.» (Houria, 28ans, 6 ans)

L’absentéisme est au cœur des préoccupations des infirmières. Il a un rapport direct avec leur image sociale et le professionnalisme du personnel soignant. Leurs inquiétudes sont d’ordre moral. Pour elles, ces comportements ne sont pas forcément une source de mal-être. Il s’agit d’une atteinte à la conscience professionnelle, qui se traduit par une « souffrance éthique »(D. Rolo ,2017). La généralisation de l’absentéisme au sein de l’hôpital prend de nombreuses formes : l’augmentation des arrêts maladie durant certaines périodes festives,

les réductions des délais entre deux arrêts de travail, leur répétition et les allongements des durées des absences. Loin de mettre en cause les absences occasionnellement pour se soigner de maux divers et coutumiers de la vie quotidienne, elles s’opposent aux absences sans justificatif sérieux. Contrairement à l’absence nécessaire pour ″ reprendre son souffle ″. « L'absence au travail qui vous libère de cette dépendance et de cette aliénation, et peut donc vous restituer cette dimension de santé que le travail vous avait reprise en vous obligeant à être autre chose que ce que vous êtes. » (S. Dassa ,1992, p70).

Ainsi, les infirmières opèrent une distinction clairement établie entre les absences pour de raisons de plaisir ou pour des impératifs de santé (fatigue professionnelle). Les absences à répétitions sont une réponse au manque de soutien et d’écoute qui traduit un manque de reconnaissance et de valorisation de la pratique soignante.