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2.2 Deuxième chapitre : L’immixtion de la famille dans la pratique professionnelle au quotidien . 100

2.2.4 La famille passe avant tout

Dans l’explication de la fatigue professionnelle, les chercheurs font souvent référence à l’engagement professionnel et à l’implication dans l’emploi comme source potentielle de satisfaction au travail (Shirom, 2005). Dans un article de Marc Loriol (2003) intitulé : Donner un sens à la plainte de fatigue au travail, il est possible de lire : « L’expression de la fatigue doit donc se couler dans des représentations partagées de ce qui constituerait la pénibilité spécifique du travail. Ainsi, les métiers à fort engagement personnel (relationnel, à haute responsabilité ou artistique) sont réputés dangereux du fait d’un risque de surinvestissement et donc d’épuisement

dans la quête inaccessible d’un idéal» ( Marc Loriol, 2003, p 473). Il est important de distinguer l’engagement de l’implication au travail : le premier fait référence à la relation de l’individu à son métier, le deuxième concerne le rapport de l’individu à l’organisation36. Cette dernière prend deux formes : D’abord, Neveu (2002) évoque une dimension transactionnelle se focalisant sur l’aspect de calcul. Cette forme rationnelle d’implication met en jeu les potentielles conséquences calculées par l’individu dans le cadre d’un départ volontaire. Dans une étude récente sur la mobilité et l’implication T. Pittinsky & M. Shih (2004) font référence à l’implication en incorporant une dimension incitative et en s’interrogeant sur l’intention de demeurer membre de l’organisation.

Ensuite, la deuxième forme d’implication est d’ordre affectif et renferme une dimension relationnelle. Cette dernière implique l’attachement émotionnel à l’organisation, à ses buts et à ses valeurs. « Un individu impliqué s’identifie aux buts et aux valeurs de l’entité d’implication » (Alain Lacroux, 2008, p 26). Herrbach (2005), compare les deux formes d’implication (calculée et affective) ; la première est plus souvent accompagnée d’états affectifs négatifs, alors que la seconde forme d’implication s’accompagne le plus souvent d’états affectifs positifs.

Les propos suivants font état des représentations des infirmières concernant l’engagement familial et au travail.

« Pour moi, mon travail passe en deuxième position. Ma vie, c’est mon foyer. Tu penses que mon travail est plus important que ma famille ? Jamais de la vie. Pour moi être infirmière, c’est juste

36D’une manière générale, certains signes caractérisent une forte implication dans l’emploi. Ainsi, un salarié, réalisant régulièrement un travail additionnel ou des tâches supplémentaires en termes d’horaires, de quantité de travail ou même d’initiative, accorde vraisemblablement une place essentielle au domaine professionnel dans son existence. Ici, l’implication dans l’emploi est d’autant plus forte qu’elle se dessine autrement ou au-delà des exigences requises par la définition de sa fonction (Véniard, A. 2011).

un travail comme un autre. Je viens, je fais ce que j’ai à faire et j’ai mon salaire. Toute cette histoire de fatigue et de stress, ce n’est pas pour moi. L’important : se sont mes enfants et mon foyer. Si tu me parles de problèmes familiaux; Oui, je te dirai que j’angoisse pour mes enfants, s’ils tombent malades, s’ils sont dehors tous seuls. Ici, je vois des choses inimaginables, mais quand je suis à la maison, je suis à la maison. Bon ne va pas croire que je ne ressens rien, j’ai de la peine pour les patients et tout mais le boulot, c’est juste pour gagner notre pain. » (Aicha, 48ans, 17ans EP).

Pour une autre soignante, le métier d’infirmière est synonyme de « bouche-trou ». Le rapport au travail met en exergue la faible identification de certaines infirmières à leur métier.

« Moi, je ne suis pas infirmière, je travaille comme infirmière ce n’est pas la même chose. Quand, je me présente, je dis que je suis une femme d’affaires. Je travaille comme infirmière juste pour passer le temps. Un bouche-trou si tu veux. Moi, ce que j’aime faire, c’est monter des affaires de commerce. Je vais souvent à Dubaï, je rapporte des vêtements, des bijoux et je les revends. D’ailleurs, c’est pour cela que je travaille de nuit. Je fais les gardes et comme je travaille en réanimation, on se relaie pour surveiller les malades. Le matin, je sors des urgences et là je fais des recherches sur le net, je vais dans les boutiques pour voir les demandes. Tu me parles de stress. Le stress, c’est pour les infirmières qui ont du vide ; rien dans leur vie. Quand, elles sont célibataires, pas de loisirs ou pas d’objectifs, elles se focalisent trop sur le travail. Elles s’impliquent trop et là, elles ont mal. Si tu commences à t’impliquer beaucoup auprès des patients et de leur famille, tu es fichue. Moi, je plaisante avec eux mais je suis toujours entrain de gueuler aussi. Mon mari est aussi médecin donc il me dit qu’il faut mettre d’une distance entre le malade et moi…Toujours ». (Amel,33ans, 9 ans EP).

Loin d’adhérer à l’image ″traditionnelle″ de l’infirmière engagée et toujours compatissance auprès des malades et de leurs familles, certaines infirmières

envisagent leur métier d’une manière plus pragmatique. Cette conception du travail infirmier rend la relation de soin et l’écoute secondaires. On observe une mise à distance de l’infirmière vis-à-vis du patient. Il ne s’agit pas d’une indifférence, mais d’une manière de se représenter la pratique professionnelle comme technique. Dans ce cas, la mauvaise fatigue ( burn-out) est plus en lien avec les conditions de travail opérationnelles que relationnelles. Or, le relationnel apparaît comme central dans le travail infirmier car il forme le support de l’engagement du soignant envers et pour l’autre. Ainsi, la nature même du travail infirmier présume une forte implication personnelle. Le fort engagement infirmier pose la question des limites dans le cadre des soins et de la relation à autrui. Cette limite semble importante pour éviter d’être submergée par ses propres émotions et sentiments et ceux des autres. L’implication du soignant requiert une exigence très élevée envers lui-même. Cette exigence prend parfois une forme dangereuse. C’est particulièrement le cas quand il y a des sentiments de frustration ou d’échec. Pour de nombreux soignants, l’implication dans l’emploi est de type instrumental. Les infirmières sont impliquées dans la mesure où elles évaluent les conséquences d’une éventuelle reconversion ou d’un départ volontaire. En effet, l’investissement et l’engagement dans le travail infirmier n’ont pas un grand intérêt pour certaines infirmières. Celles-ci s’orientent plus vers la vie privée que professionnelle.

Ainsi, la famille ou une autre activité tendent à reléguer le métier soignant comme un accessoire. Le service d’urgence n’est pas toujours un lieu seulement professionnel. Il est, pour certaines, l’occasion de développer un réseau social. En effet, il représente une solution pour élargir les connaissances relationnelles. Dans ce sens, il est possible de constater l’influence des aspirations familiales dans la vie professionnelle. Autrement dit, le travail n’est plus envisagé comme un moyen de fournir un salaire ou un épanouissement personnel, il est au service des ambitions familiales. Cet

élément montre l’importance de l’interférence de la famille et de l’entourage dans la vie professionnelle et exerce d’une manière implicite une forme de pression sociale contribuant à accentuer les difficultés à faire face à la souffrance au travail.