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Marc LORIOL : de la mauvaise fatigue à l’épuisement professionnel

1.1 Premier chapitre : La fatigue professionnelle, de quoi parle-t-on ?

1.1.7 Approche sociologique du burn out:

1.1.7.1 Marc LORIOL : de la mauvaise fatigue à l’épuisement professionnel

Sur le plan sociologique, dans le temps de la fatigue, 2000, Marc LORIOL, différencie la mauvaise fatigue de la bonne fatigue21. Contrairement à la bonne fatigue, la mauvaise fatigue est difficile à surmonter. Elle ne se résout pas par un temps de repos réparateur. La mauvaise fatigue n’est pas le résultat d’efforts physiques déployés dans le cadre d’une activité

professionnelle ou sociale, mais comprend l’idée de contraintes extérieures à l’individu et difficiles à admettre psychologiquement. Il est difficile de qualifier de banale la fatigue professionnelle. La souffrance au travail est une souffrance physique résultat d’obligations et de charges liées au travail sur le corps de la personne. Cette souffrance corporelle ou physique se mue en une souffrance psychologique et sociale. Marc Loriol montre le lien entre ces souffrances et la reconnaissance sociale. Cette dernière est la première condition de la satisfaction au travail. « De ce point de vue, elle n’est pas une fatigue objective que l’on pourrait qualifier de « normale », mais elle apparaît subjective» (LORIOL Marc 2000,p. 48).

La fatigue est souvent reliée à la civilisation moderne. Elle est devenue un fait de développement de la société industrielle. Comme l’explique Marc Loriol (2002) le temps incorporé dans une activité humaine est devenu important. Il s’inscrit dans l’idée de rendement. Il est également sujet à la gestion : programmer son temps, avoir un délai de réalisation, perdre son temps. Cette gestion objective du temps est conforme à une organisation de travail et de l’activité qui vise le rendement et la réalisation de plusieurs tâches par un nombre moindre de personnes et le plus rapidement possible. La gestion du temps, ainsi formulée, est productrice de stress puisque l’activité au travail est conditionnée par des contraintes physiques mais également temporelles. Elle est une source de la fatigue professionnelle qui représente l’extension de la mauvaise fatigue.

Pour ce qui est de la fatigue professionnelle des infirmières, celle-ci est centrée sur un phénomène socialement construit. Le sociologue appréhende la fatigue professionnelle en se référant au cadre social. Marc LORIOL dit :« Parmi les différentes mises en formes de la fatigue nerveuse ou morale au travail, le cas du burn out des soignants semble particulièrement intéressant dans la mesure où cette entité illustre bien les rapports entre l’élaboration et l’utilisation d’une théorie scientifique, d’une part, et les

enjeux propres à un milieu professionnel particulier d’autre part » (Marc LORIOL, 2003, p. 65). Ainsi, il analyse le burn out des infirmières comme une construction sociale d’une catégorie basée et schématisée sur différentes approches.

La première approche est vue comme une « production sociale d’une situation ». Une situation nouvelle apparaît quand se combine des évolutions, des stratégies et des mécanismes sociaux (Marc Loriol,2005). Le recours au concept de construction sociale a pour objectif d’appuyer l’analyse sur le caractère contingent des phénomènes résultat, non voulu, de l’agrégation des stratégies des acteurs. Ainsi, « la réduction des durées de séjour, la complexification des technologies médicales et paramédicales, les problèmes d’effectifs, les moindres possibilités de reconversion, la montée en puissance des incivilités et des agressions se conjuguent dans beaucoup de services hospitaliers et favorisent l’apparition d’un malaise et de plaintes parmi le personnel. » (Marc Loriol, 2005, p. 52). Cette approche à caractère global rejoint la démarche de certains ergonomes qui envisagent la situation de travail dans son ensemble et dans son contexte.

La deuxième approche consiste à montrer le mécanisme permettant de ″construire socialement des catégories de perception de la réalité″. Il est, ici, question de présenter « les processus à l’œuvre dans l’émergence d’une nouvelle étiquette permettant de catégoriser et caractériser un phénomène particulier : maladie, risque social, problème politique, catégorie d’action ou d’analyse : âge, sexe, PCS, etc. ». (M LORIOL , 2003, p64). Dans cette perspective, il est possible d’expliquer la manière dont est édifiée une catégorie, puis, établie et institutionnalisée dans les représentations et la réalité sociale. De ce point de vue, Marc Loriol s’intéresse au développement et à la construction sociale de la fatigue professionnelle des infirmières. L’approche historique est au cœur de cette deuxième approche. A ce propos, « il serait possible d’étudier l’apparition, la diffusion et l’usage qui est fait

de la catégorie de burn out (ou épuisement professionnel) dans le travail soignant. Le malaise ressenti par certaines infirmières est mis en forme et étiqueté à travers la référence à cette nouvelle catégorie de la psychologie du travail. » ( Marc Loriol, 2005, p66). Il est néanmoins important, pour M. LORIOL, de préciser que le phénomène existait bien avant l’utilisation du terme Burn out. Ce dernier sert à conceptualiser et à octroyer une signification aux maux éprouvés.

Dans le cas de la construction sociale de la fatigue professionnelle des infirmières, la troisième approche rend compte « d’une coproduction d’un diagnostic ». Elle désigne un travail commun entre la personne en souffrance et des professionnelles de santé. La coproduction d’un diagnostic sous-entend un travail de lucidité au préalable. Le lien entre le mal-être ou souffrance vécue et des situations de travail sont perçus par la personne. Cette dernière recherche une aide professionnelle. Ce travail commun participe à l’élaboration d’un diagnostic ce qui pour Marc Loriol (2005,p 66)« se traduit concrètement par l’actualisation d’un « rôle » de malade particulier ».

Ces trois approches surviennent à des niveaux différents. Elles ne sont pas en contradiction. La première correspond aux conclusions ou les résultats coordonnés des différents phénomènes à l’origine d’une situation socialement produite se situant en particulier au niveau de l’organisation. C’est au niveau meso que s’observe la première approche. Contrairement à la première approche, la seconde s’étend à l’espace publique. On y retrouve les différentes logiques d’action en interaction. La troisième approche se distingue par l’implication et le travail des acteurs dans une coproduction d’un diagnostic. Elle se situe au niveau microsociologique. Ces éléments se joignent au niveau macrosociologique pour aboutir à posteriori à une construction sociale.