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PLAN VeRTICAL CARTOGRAPHIe VISION PLAN HORIZONTAL TeRRITOIRe ACTION

2.4. peindre par terre

2.4.3 La peinture comme un parcours

Invité à exposer au Centre d’art le « 10neuf » de Montbéliard avec Gilguian Gelzer et Silvia Hestnes, je me suis confronté à un espace de dimensions plus importantes. Cette circonstance était déterminante pour que j’envisage l’occupation de l’espace comme des parcours en forme de rigoles de peinture. À l’entrée, nous devions voir les derniers méandres pour ensuite remonter le filon, le courant, le ruisseau à sa source.

Peinture en forme de flaque de peinture.

Centre d’art le 10neuf, Montbéliard, 2005.

Une salle aveugle, néons au plafond : la coulure vient de là, de flaques au pied de trois panneaux vierges de bois plein, épais, poncés, vernis, au champ mouluré, deux formats figure et un format marine. Les deux premiers prennent appui l’un sur un pilier, l’autre sur un mur, tous deux posés à même le sol. Le troisième, adossé au mur lui aussi, repose sur une table. Ici, la peinture s’étale, se répand – de la lave en fusion ;

1. D’après la description de l’activité artistique faite par Nicolas Bourriaud, dans Formes de vie, Paris, De-noël, 2003.

là elle ruisselle, dégouline – aucun chaos. Seulement la loi de la gravité. La peinture, pâte liquide brillante, suit les rythmes orthogonaux du mobilier, de l’architecture. elle épouse les surfaces horizontales ou verticales ; aucune indépendance, elle colle au plan, subit la pesanteur. Au mur, quelques planches photographiques de formats divers, dessins-commentaires du spectacle auquel nous assistons.

Peinture en forme de flaque de peinture.

Centre d’art le 10neuf, Montbéliard, 2005.

Dans cette salle de travail, il était question de montrer une exposition en cours de montage, ou de démontage. Il s’agissait de définir le champ de la peinture a contrario.

Un territoire entre, autour, à côté, partout où elle est et où nous ne la voyons pas, ne la regardons pas. Autrement dit, quand elle déborde, s’échappe, fuit, s’immisce.

La matière, que l’on dirait volontiers mésomorphe, ouvre la voie de l’incertitude. Ni liquide ni solide, ni fluide ni épaisse, elle coagule les sédiments boueux d’un imaginaire primitif. C’est elle qui prend nos pas, se laisse piétiner, traverser, fouler, enjamber. L’on pourrait évoquer alors le travail d’un sculpteur comme Carl Andre, occupé à « saisir » l’espace pour définir la sculpture comme un « lieu ».

Une certaine logique lie la sculpture à cette proximité physique par son occupation de l’espace réel, la peinture s’installant souvent dans l’espace fictif de la représentation.

Si la question de la peinture est posée, celle du tableau ne l’est pas moins. Le tableau prend ici la forme d’un objet, voire d’une sculpture au travers des panneaux

de bois nus. De la fonction première du tableau, il ne reste rien. Pourtant, ces tableaux vidés de toute image – ils en gardent étrangement une mémoire, notamment par leur format – servent le processus de la peinture, de cette peinture. Ils marquent l’espace, le construisent, en désignent les différents plans. Y compris celui de la flaque.

Travail au sol lors du montage de l’exposition.

Au fond, des tableaux et des dessins de Gilgian Gelzer.

Les photographies prises par l’équipe du 10neuf pendant le montage de l’exposition nous montrent l’œuvre en train de se faire. Nous pouvons observer ici comment le travail au sol convoque des attitudes et des positions physiques qui rappellent le labeur des agriculteurs dans les champs ou celles des enfants en train de jouer.

Ces images me servent également pour me rappeler l’état de tension que j’éprouvais et que j’éprouve à chaque fois que je dois réaliser une œuvre de ce genre. Car il s’agit d’une commande à réaliser sur place. La date du vernissage est fixée à l’avance, conforme à un calendrier. Cela veut dire que je n’ai pas droit à l’erreur ou alors assumer cette possibilité comme faisant partie de la prestation. Après tout, c’est l’artiste qui fixe les règles. Le commissaire de l’exposition et directeur du Centre d’art partage avec l’artiste ces risques de manière solidaire.

Normalement, je fais un voyage sur place pour faire un état des lieux et me rendre compte par moi-même du contexte dans lequel je vais travailler. Ces « repérages » sont fondamentaux car ils permettent d’amorcer le travail de création avec un sentiment de réalité. Il s’agit de voir l’espace, mais aussi de le sentir, de l’arpenter, d’imaginer sur place les différentes possibilités. Les photographies faites lors des repérages sont très importantes dans ce sens, car elles permettent d’imaginer une œuvre dans l’espace.

en complément, des plans d’architecte nous sont fournis par la régie afin d’assurer au maximum un travail en amont.

en comptant les jours de séchage, le travail de peinture sur place peut durer entre quatre et cinq jours. Le travail sur la peinture devient, dans ces circonstances, une pirouette, avec toujours le risque de chuter. Une parenté lointaine avec la performance des arts vivants : la fausse note, l’oubli de la réplique…, rien à voir avec les conditions de travail de l’atelier. D’abord, les conditions matérielles d’outillage et de commodité, la solitude, mais surtout l’absence de date butoir, avec ce que cela comporte comme possibilité de corriger et d’affiner le travail qui sera donc fini quand on le décidera.

Comme le rapporte Jean-Marc Huitorel, alors que les artistes avaient toujours travaillé sur commande et la plupart du temps in situ, « la production d’œuvres s’inverse : le plus souvent désormais, l’artiste produit l’objet avant de s’occuper de lui trouver preneur. À la loi de la commande va peu à peu se substituer celle du marché où le tableau témoigne du désir et de l’univers de l’artiste plus que des desiderata du mécène1 ».

Ce retour aux sources en quelque sorte implique un changement fondamental qui concerne le lieu de la production de la peinture et sa qualité mobilière ou immobilière2. Le lieu d’exposition de l’œuvre devient le lieu de sa production, mais il n’agit plus de l’in situ critique des années 1970. Marcadé appel ce nouveau in situ banalisé l’in situ comme lieu commun3 : ou la réduction de l’in situ à un genre artistique.