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PLAN VeRTICAL CARTOGRAPHIe VISION PLAN HORIZONTAL TeRRITOIRe ACTION

2.2.5 La peinture mode d’emploi

D’autres cas de figure de photographies qui prennent comme sujet les œuvres me semblent intéressants. Dans le catalogue, il y a des images qui montrent la peinture comme un objet qui aurait un usage et donc un mode d’emploi. La première se réfère à Leçon de géographie de 1999. Il s’agit d’une flaque de peinture acrylique sur un support en caoutchouc pointillé régulièrement de protubérances sur un schéma de grille. La flaque de peinture comme un élément organique rappelle une cartographie de mappemonde.

Trois images séquence montrent comment la peinture « ne tient pas » sur le support avec une main que la soulève.

1. En 2009, invité par Olivier Beaudet, j’expose à la galerie L’œil écoute avec Alix Delmas, une série de tirages photographiques dont des « vues », « sous la peinture », version carton d’invitation, et « sous la pein-ture », version photomontage. Gambit, « À l’envers du ciel », galerie La vitrine, « À l’endroit du sol », galerie L’œil écoute, Limoges, du 18 septembre au 24 octobre 2009.

2. Olivier Beaudet, entretien avec Marie Dany. Gambit, catalogue de l’exposition. Avec Alix Delmas, Sté-phane Thidet et MAM. La vitrine/L’œil écoute, Limoges, 2009.

Leçon de géographie, catalogue Still lifes, MAM, Galerie éof, Paris, 1999.

L’œuvre en question était présentée sur une table à l’horizontale, éclairée avec une lampe de bureau. Aujourd’hui, ce choix me semble trop théâtral, alors que la pièce elle-même me semble encore intéressante. La proposition de mise en page, qui extrait les trois tapis du contexte, est aussi malheureuse. elle rappelle des exercices bien antérieurs de reproduction de tableaux qui étaient littéralement découpés sur la feuille blanche.

Un autre exemple de ce catalogue est celui de Deux mètres égal… huit pieds et cinq doigts. Il s’agit de quatre pièces qui fonctionnent sur le même principe : une section d’aluminium en « u » de deux mètres de long est remplie de peinture selon un mode d’équivalence qui prend pour étalon des mesures de mon propre corps.

Deux mètres égal… huit pieds et cinq doigts, catalogue Still lifes, MAM, Galerie éof, Paris, 1999.

Ainsi, l’image montre un pied et cinq doigts sur des codes de couleur qui correspondent à ces dimensions. Nous ne voyons qu’une petite partie de l’œuvre.

Ce que j’avais privilégié, c’était le protocole qui consistait à mettre en relation les couleurs bleu et rose pour les pieds et noir et blanc pour les doigts. Les œuvres, elles, fonctionnaient comme des lignes très légères sur les murs. L’idée était d’utiliser le matériau peinture comme une masse qui allait remplir l’espace vide, en se logeant à l’intérieur de la section d’aluminium.

Il y a aussi Peinture lourde, une série de quatre balances de salle de bains qui servent de support à des masses importantes de peinture à l’huile. Le poids de la peinture s’affiche sur la petite fenêtre. Il s’agissait de montrer la peinture comme une masse physique qui dénonce son propre poids seulement quand les balances sont à l’horizontale. Pour ce faire, j’avais photographié une par une les balances au sol avec un bout de mes pieds comme pour dire « ceci est au sol » et c’est de cette manière qu’il faut les regarder.

Peinture lourde, 1998,

catalogue Still lifes, MAM, Galerie éof, Paris, 1999.

Pourquoi cette manière de photographier ? Avais-je déjà vu quelque chose de semblable ? Que perçoit le spectateur du catalogue qui ne connaît pas les œuvres ?

À la première question, je serais tenté de répondre par l’idée que la peinture qui était en train de se faire demandait un regard différent. Les terrains de jeux picturaux ont longtemps été bien séparés : grille abstraite, figure expressionniste, pop, minimalisme, etc. Chacun entendait détenir la vérité peinte. Aujourd’hui encore, la critique consiste souvent à compter les points en faveur d’un genre ou d’un autre, alors que nombre de peintres travaillent justement les interstices de ces « manières », tout en utilisant des protocoles autrefois réservés à d’autres médiums pour infiltrer poétiquement des domaines tels l’aléatoire, la maladresse, l’échec, et plus largement le quotidien. Les images photographiques issues de ces expériences ne pouvaient être que différentes de celles des tableaux.

Je pense rétrospectivement que des influences dans la manière de photographier le travail de l’atelier peuvent se trouver dans les images de Robert Smithson pour la façon de regarder les fluides et la terre1 ; Bruce Nauman pour la manière de photographier

1. Je vois aussi dans ses photographies de la série Glue Pour de 1969 qui sont comme les photogrammes d’une coulée de colle industrielle le long d’une colline boueuse, une idée de mouvement qui se retrouve dans les images de Leçon de photographie.

son propre corps, comme ses mains dans Finger touch. Fasciné également par les images du travail de Gordon Matta-Clark qui fait des collages photographiques dès les années 1970 et qui s’intéresse autant au détail qu’à l’ensemble d’un espace.

Il est clair qu’il ne s’agit pas uniquement de photographier une œuvre pour la montrer. Ces images fonctionnent aussi comme des didascalies. Dans le théâtre antique, les didascalies étaient des indications données à un acteur par l’auteur sur son manuscrit. Il s’agissait d’indications relatives à la mise en scène de l’œuvre que l’auteur intercalait dans le dialogue écrit, mais qui ne faisaient pas partie de ce dialogue.

Les images du catalogue de Still lifes sont souvent comme des didascalies ou des notes en bas de page. elles constituent une information complémentaire à ce que les œuvres disent, dans un champ autre que celui qui occupe les œuvres. Cette intuition a posteriori sur le statut des images de la peinture constitue une des clefs de voûte de ce texte.