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2.4. peindre par terre

2.4.4 La contrainte de la commande

Dans le même registre, la commande de la ville de Nanterre pour la création et la réalisation d’une Peinture en forme de flaque de peinture sur le sol de l’entrée de l’ancienne mairie est l’occasion de mettre à l’épreuve mes acquis techniques. Il s’agissait d’un sol en mosaïque datant des années 1930. Une partie de la mosaïque ayant été abîmée, la mairie de Nanterre décide de la couvrir partiellement avec une moquette en attendant une solution définitive.

1. HUITOREL Jean-Marc, Les règles du jeu, le peintre et la contrainte, Alençon, Frac Basse-Normandie, 1999, p. 21.

2. N’oublions pas que la naissance du tableau comme objet indépendant de l’architecture est attachée à son caractère marchand et pourtant mobile ou mobilier.

3. MARCADé Bernard, « L’in situ comme lieu commun », art press n° 137, Paris, 1989.

en effet, en soulevant la moquette, nous avons pu constater l’absence d’une partie importante de pièces de mosaïque, concentrée sur 1 m2 environ en forme de haricot. Il a donc fallu nettoyer de la colle pour moquette l’ensemble de la mosaïque et consolider avec un vernis primaire d’accrochage la partie abîmée ainsi que le profil de la forme choisie pour la peinture.

état du sol en soulevant la moquette et dessin préparatoire.

Le cahier des charges demandait que l’œuvre soit définitive. Le hall d’entrée étant un lieu de passage très fréquenté, les solutions en peinture conventionnelle semblaient inappropriées. Cette contrainte technique m’a conduit à changer le matériau peinture contre une résine colorée1. Ici aussi, un nouveau pas a été franchi vers une sorte de spécialisation que l’on pourrait croire très loin de l’idée de création spontanée qu’on attache naturellement à la peinture.

Une commande publique exige de la part de l’artiste des compétences qui sont celles d’une entreprise. L’artiste en tant qu’auteur est soumis à des régimes particuliers sur le plan fiscal et social qu’il convient de connaître quand on lance ou développe une activité artistique. en effet, plusieurs aspects concernant les contrats avec les collectivités territoriales ou d’autres organismes de l’État se réfèrent à l’artiste et à son œuvre comme à une entreprise qui fournit des services, le tout dans un contexte légal qui engage tant le commanditaire que l’artiste auteur.

La commande publique en général témoigne d’une grande diversité dans ses lieux d’implantation. Cette diversité tient à une nouvelle vision de l’administration en ce qui concerne la notion d’espace public. Outre la ville, la commande publique investit désormais les monuments historiques, les édifices religieux, les parcs et jardins ou les paysages ruraux.

Le commanditaire, une fois sa décision prise, établit un protocole d’accord soit

1. EPILOX-T 19-38 est une résine époxyde, exempte de solvants, résistante à la cristallisation et de faible poids moléculaire. La résine est traitée à l’aide de durcisseurs Epilox, durcissables à froid. Le produit est particulièrement susceptible d’être appliqué comme résine de coulée, ce qui le rendait idéal pour le projet.

avec la Drac, soit avec les services centraux de la Dap-Cnap, selon le cas. Un contrat est signé d’après un projet présenté par l’artiste qui apporte les garanties nécessaires pour sa réalisation.

Nous sommes loin de l’image de l’artiste dans l’atelier face à lui-même dans la liberté de créer comme bon lui semble. Ici, il s’agit plus de l’artiste comme entrepreneur, fixé sur des dates et engagé sur un résultat final.

J’ignorais tout par rapport à l’utilisation de la résine. en revanche, j’avais gardé en tête les résultats obtenus par Gaetano Pesce lors de son exposition au Centre Pompidou en 1996 et je pensais que ce procédé pouvait servir à mon projet.

J’ai fait donc appel aux services d’un spécialiste de la résine époxy en lui expliquant les besoins du projet et ce que j’attendais de lui. Nous avons également parlé d’argent et convenu du prix de ses prestations.

Assistant spécialisé en résine époxy au travail.

J’ai préparé le support qui devait être traité et le spécialiste est venu sur place pour exécuter l’œuvre avec moi, en préparant les couleurs dans les tons dont nous avions convenu et en jouant sur leur opacité ou leur transparence.

Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, les Peintures en forme de flaque de peinture ne sont pas des peintures fondées sur l’aléatoire. Du moins, pas tout à fait. Jean-Marc Huitorel dans Les Règles du jeu s’intéresse à des artistes dont la démarche se caractérise par le refus d’un certain expressionnisme dans lequel on pourrait voir la manifestation d’un aléatoire expressif.

en voyant cette peinture s’étalant sur le sol comme une flaque, un spectateur pourrait imaginer, à juste titre, qu’il s’agit d’un déversement de peinture, sans plus.

Or, les travaux réalisés au sol consistent à dessiner préalablement de manière à ce que la peinture s’étale dans l’espace en fonction des lignes de circulation ou de passage.

Ainsi, une peinture au sol qui serait placée le long d’un mur ne serait pas perçue de la même manière que si elle était devant une porte, par exemple.

Ces aspects – la situation dans l’espace comme les couleurs qui seront employées – sont décrits et approuvés lors du contrat. Jean-Marc Huitorel rappelle les multiples contraintes auxquelles doit se plier le peintre et qui restreignent d’autant sa marge de manœuvre, comme le fait que « l’évolution récente du commerce de l’art constitue, en effet, un paramètre sinon nouveau au moins renouvelé de l’appréciation de contraintes qui pèsent sur l’élaboration des œuvres. L’objet d’art devient une pure marchandise de plus en plus soumise aux lois de l’offre et de la demande, des placements et de la spéculation1 ».

en ce sens, le statut d’artiste-auteur2 ne laisse aucun doute sur le type de relation qui s’établit entre le commanditaire et l’artiste, les droits moraux de l’artiste envers son œuvre, mais aussi son régime fiscal et social. Mais cet aspect de la création sous la contrainte ne fait que renforcer les théories de Sherbe sur les protocoles que l’artiste met en place au moment de la création.

Peinture en forme de flaque de peinture, résine époxy.

Commande publique, mairie de Nanterre, 2006.

1. HUITOREL Jean-Marc, Les règles du jeu, Alençon, Frac Basse Normandie, 1999, p. 9.

2. Les artistes-auteurs bénéficient d’un régime social et fiscal particulier. À ce sujet, voir http://www.se -cuartsgraphiquesetplastiques.org/

Les aspects techniques de la création, longtemps délaissés par les historiens, sont de plus en plus revendiqués non seulement par les artistes, mais également par les historiens et critiques d’art pour comprendre certains aspects de la création. en ce sens, les remarques qui concernent les processus de création de mes œuvres s’inscrivent dans les préoccupations évoquées par Ivan Toulouse où « la technique n’apparaît plus comme une nostalgie du “métier” perdu ou la recherche d’un outil ductile qui fonctionne et obéit, mais aussi (et surtout) comme un champ à explorer jusqu’à ses dysfonctionnements (l’accident, la panne, le bug, l’incident critique…) qui peuvent orienter sur une voie nouvelle1 ». Florence de Mèredieu revendique de ce que Viallat nommait des « refoulés picturaux » – maladresses techniques, défauts de métier, effets matériels de vieillissement ou dégorgement des couleurs, instabilité des matériaux, etc.2

Les séances de prises de vue qui ont accompagné la réalisation de l’œuvre ont été faites aussi dans le but de créer un document graphique pour le commanditaire, mais ces images constituent pour moi le souvenir précis d’une expérience nouvelle dans le cadre de la commande publique.