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PLAN VeRTICAL CARTOGRAPHIe VISION PLAN HORIZONTAL TeRRITOIRe ACTION

2.4. peindre par terre

2.4.5 Des murs et des sols

en 2005, je participe à la Rencontre n° 25 que La Vigie organise, à l’invitation d’Isabelle Simonou-Viallat. Ces « Rencontres » ont comme propos de réunir, chaque fois, trois artistes de sensibilités proches. Pour cette exposition, je partage l’affiche avec Olivier Soulerin et Max Charvolen, avec qui je partage un intérêt pour le travail in situ.

L’espace de cette galerie de Nîmes à la particularité de garder sa structure de maison nîmoise sur trois étages. Le choix a été fait également de conserver les sols d’origine en carreaux de grès colorés teintés dans la masse, ce qui n’est pas très habituel dans les lieux d’exposition. Je connaissais ce type de carrelage qui est très répandu dans le sud, car il garde une fraîcheur appréciable lorsqu’on vit dans un pays chaud. Le motif géométrique en grille, propre au carrelage, me plaisait justement dans l’idée de le contredire avec une peinture aux formes organiques.

Je voulais cette fois-ci travailler en plus des sols, la verticale des murs avec l’idée de créer une continuité entre les deux. Cela voulait dire étirer davantage la peinture.

S’allonger dans le bâtiment, créer des rapports nouveaux avec les ouvertures, arrondir les angles et s’installer.

1. TOULOUSE Ivan, Technique et création, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 10.

2. Claude Viallat cité dans Histoire matérielle & immatérielle de l’art moderne, Florence de Mèredieu, Paris, Bordas, 1994, p. 13.

Mon travail pourrait être perçu par certains comme une peinture décorative, au même titre que des peintres comme le Japonais Michael Lin, ou l’Écossais Jim Lambie pour ce que des critiques appellent désormais la « peinture environnementale ». Ces deux peintres, chacun à leur manière, revendiquent aussi le sol comme un lieu possible pour la peinture. À ce propos, Judicaël Lavrador1 n’hésite à dire que « ce n’est plus le lieu qui s’adapte à la peinture ! L’œuvre et l’artiste, désormais, sortent du cadre et se fondent dans les formes du bâtiment, jusqu’à profiter de ses failles…2 ».

effectivement, un phénomène nouveau est en train de se constituer autour d’une peinture qui sort du tableau pour occuper l’espace. Mais cette nouveauté est toute relative si on tient compte du fait que, au départ, ce sont les murs et les plafonds des cavernes, des églises et des palais qui ont été le support de la peinture avant que le tableau ne devienne l’objet et le sujet de la peinture.

Michael Lin commence à utiliser des textiles imprimés pour extraire les motifs floraux issus des traditions japonaise et taïwanaise desquelles il fera la base de son travail. en 2002, Michael Lin réalise pour le palais de Tokyo un sol peint d’environ 250 m² qui se situe sur un espace dédié, à la cafétéria, en dehors des salles d’exposition.

Michael Lin, Peinture au sol, palais de Tokyo, Paris, 2002.

1. Judicaël Lavrador est critique d’art et commissaire d’exposition. Il a été entre autres, commissaire d’ex-position de la 11e édition du Prix de la Fondation d’entreprise Ricard en 2009 et de la Biennale de Belleville en 2010.

2. LAVRADOR Judicaël, « Peinture environnementale. Les artistes s’étalent », Beaux-Arts magazine n° 231, août 2003.

Lors d’un entretien avec Diana Freundl, Michael Lin explique comment il essaie d’induire une implication physique du spectateur. Pour lui aussi, il s’agit moins d’une peinture à contempler que d’un espace à occuper : « Quand on regarde un tableau, on est concentré et debout, alors que la relation qui s’établit avec mes œuvres est plus physique. elle relève plus de la relation qu’il y a entre vous et votre canapé que de celle qui peut exister entre vous et une peinture 1. »

Nous sommes face à une peinture qui se regarde tout autour. Cette caractéristique permet de la voir et de la percevoir de points de vue différents. D’abord une vue en surplomb, depuis le haut des escaliers et puis une vision rapprochée quand vous êtes dans la peinture. Certaines critiques évoquent une présence trop décorative dans cet espace de détente, de couleurs et de motifs d’ambiance chaleureux dans un Palais de Tokyo en friche industrielle.

De la même façon, les murs peints de Stephan Dafflon rappellent avec élégance des sources graphiques issues du pop. Le tableau en tant qu’objet n’est par exclu pour autant. Au contraire, sa présence est évoquée en permanence par des contours ouverts qui fonctionnent comme des lignes fuyantes. Au sujet de son exposition au Musée d’art moderne et contemporain (Mamco) de Genève, Lavrador rapporte une anecdote qui, pour moi, est tout à fait révélatrice de ce que pourrait être cette nouvelle peinture.

« Stéphane Dafflon était la première victime de ce Wall Walk et se désespérait de trouver le bon point de vue pour la photographier. Voilà, la peinture environnementale, c’est aussi, en quelque sorte, un angle mort, un courant d’air qui ne s’imprime pas, une œuvre de passage dans l’espace aussi bien que dans le temps2 ».

Cette difficulté à être photographiée est d’ailleurs une des caractéristiques de la sculpture, car son aspect varie en fonction de notre position. La peinture, elle, n’avait qu’à être regardée de loin ou de près. Ad Reinhardt disait que la sculpture, c’est ce contre quoi on se cogne quand on recule pour regarder une peinture. Aujourd’hui, la peinture est All around.

Dans cette même tendance, la « peinture » au sol de Jim Lambie part d’un principe géométrique de bandes colorées qui vont des bords du sol à la lisière des murs, vers le milieu de la pièce, dans un semblant de cohérence.

1. LIN Michael, lors d’un entretien avec Diana Freundl, « Michael Lin, un artiste taiwanais reconnu mondia-lement » http://taiwanauj.nat.gov.tw. Date de publication : 1/11/2004.

2. Op. cit.

Jim Lambie, Zobop, 2002.

Au travers de sculptures colorées, détournements d’objets du quotidien – musicaux, par exemple, comme disques et haut-parleurs –, il compose un univers construit autant par l’utilisation de couleurs que par des rythmes issus de répétitions. Son travail au sol est remarquable car il tient à une grande économie de moyens. Ses bandes de vinyle redessinent l’espace au sol par des vibrations inattendues.

Peinture en forme de flaque de peinture #13. Rencontres n°24, Galerie La Vigie, Nîmes 2005.

Rien que le fait de s’éloigner de l’espace de l’atelier pour venir « faire » de la peinture ailleurs est en soi un voyage. Mais il s’agit aussi d’un déplacement fondamental qui nous met face à un contexte localisé hors de notre quotidien. Quitter l’atelier avec des outils pour venir confronter son désir de peindre à une architecture. Cela est comparable à la prestation d’un musicien qui partirait pour donner un concert. Il y a le voyage et il y a aussi la concentration avant et pendant le travail. Une lenteur dans le faire qui est propre à la peinture. Un temps nécessaire pour s’imprégner, pour « infuser », pour expérimenter une sorte d’empathie nécessaire avec le lieu.

La photographie ensuite tient compte de cette manière de sentir l’espace et la peinture dans l’espace. Je prendrais cela comme un privilège que de la photographier.