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Pour un pays perdu, commence sur un fond sonore, un bruissement lointain de

Analyse de l’œuvre de Charles Chaynes

1. Pour un pays perdu, commence sur un fond sonore, un bruissement lointain de

l’orchestre. Celui-ci illustre la nuit dans la forêt africaine. Ce fond sonore est animé par des glissandos de trilles des quartes (diminuées et juste) et de quinte diminuée –

fa#-sib ; sib-mi-sib – des premiers violons ; les trilles au « 6/2 ton », en sourdine, de

seconds violons, ceux de la cymbale, du hochet et du bracelet africain, ainsi que par les traits rapides et irréguliers des clarinettes.

Ce prélude, au ton mystérieux, exploite des cellules mélodiques de Pygmées, pour évoquer à la fois la nuit tropicale et le pays lointain. Ici, l’atmosphère est lourde de tension latente et de frémissement extatique.

209 Nous pensons que ces syllabes proviennent des musiques burundaises dont il s’inspira également. Cf.

l’enregistrement de Michel Vuylsteke, Burundi, OCORA 559003, plage 1, Chant à voix chuchotée, avec

accompagnement de cithare « inanga », enregistré le 25 mai 1967 près de Bujumbura, ainsi que l’exemple

musical : Du chant yodelé.

* Voici la grille des syllabes imaginées par le compositeur, grille trouvée dans l’ébauche de l’œuvre que ce dernier nous a donnée.209

Texte :

EBENIN ELÉ EBOLO MO BA Quelqu’un appelle

Ya Ko To Va La Tsia - Mo Ki ra - Kira Ouan Ba Na Va Ya A – Li Ya – li I – O – I – A Ke Bo I Ka

Ka – I – Te An Da Kom Bo Ba Ka Ni Oin – Ba A – Vi A – Li – A Da – Kou – Tsou Ien Gue Ne Na – Koum – Bou Koum – Boum – Ye Na – Tsi – A No Va Ia I – A – Lo – A Na – I – Tse A I Va Da – I – Dzo Ve – O – Ve – O A Ma Ya Ma Ya Si Yan Da Ya No Va La I – A – Lo – A I – A – Lo – A Na – I – Tse A – Si – Yi Si Va Na Si Vo A I Va Da – I – Dzo Ve – O – Ve – O A – Si – Ya Si Va Na SI Vo A Ma Ya Ma Ya SI Van Da Ya

Leur croisement a notamment donné les syllabes ci-après utilisées par le compositeur :

A E (Koum Bou Rou) Be Na Ta MO To No Vo Ke O Ze Ki Ze Ki Kom Bo Ro Wam Bo te Na Vo

Na E – I – E Na Bo Te A Ma Na Ka Lé

Liv.2 Chap. 6 Charles Chaynes : sous l'envolée poétique et musicale de l'Afrique subsaharienne

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C’est à la page 4 (voir la partition autographe d’orchestre) qu’intervient le solo de flûte, emprunt à la musique des Pygmées Bibayak gabonais210. C’est un thème dont les

traits jaillissent en une sorte de brisure volcanique de sons purifiés. Il est soutenu par un cluster, renfermant la série dodécaphonique, des violons répartis en groupe de cinq. Les cinq premiers violons jouent des tierces mineures parallèles, tandis que les cinq seconds font une seule note, à l’exception d’un des leurs qui exécute aussi une tierce mineure parallèle.

Pendant ce temps, la soprane récite, en Palzando (sans timbre), un proverbe bantu « Tu détruis la belle ombre de ton village et tu cherches l’ombre des nuages qui passent… ». Elle enchaîne (partition, page 5) avec le poème d’A. M. Wade, sur une tonalité très lyrique d’un motif semi-chromatique lent et très libre : « Donnes-moi [4 fois] mon cœur les sanglots sonores de mes nuits tropicales ». Celui-ci renferme des quarts de tons avec glissandos, qui sont appoggiaturés avec des : septième et tierce mineures ; seconde majeure et quarte diminuée (mib-réb et mib-solb ; réb-mib et la-

réb). Ce sont les percussions, dont le tambour d’aisselle africain, suivis des clusters de

cordes, qui en font l’accompagne-ment. Pendant ce temps, la soliste transpose et varie ce motif, sous un rythme alternant les mesures binaire-ternaires : C - 9/8 et 6/6.

Sous les frémissements des cordes (partition, page 6), la soprane intercale la suite de ce poème par un second thème doux et en même temps lyrique. Ce thème comporte des quarts de tons, et demeure également appoggiaturé. Il est conçu sur le fameux texte imaginé par le compositeur, et inspiré du chant chuchoté burundais : « Da I A Koumbou Da I A Dai Da I A I A Koumbou… ». Pour soutenir cette mélodie de la soprane, le piccolo reprend un bout très répétitif du thème des musiques pygmées du départ, la flûte joue des bribes en fioritures, la harpe fait des arpèges aboutissant sur le cluster, et le marimba exécute des bribes saccadées.

Le rythme est très alternatif : binaire-ternaire de 2/4 et 3/4.

Pour la suite, le poème de M. Wade est toujours entrecoupé par les extraits du texte imaginaire de Charles Chaynes. L’accompagnement, linéaire, garde toujours la couleur atonale, chère à ce compositeur.

Les lignes mélodiques, bien que répétitives, sont souvent variées, soit par transposition intervallique, tonale et ornementale, soit par changement rythmique et instrumental.

210 Dans cette première sous-partie, le compositeur s’est référé à la musique des Pygmées non sans raisons.

En effet, leurs polyphonies, vocales en particulier, sont considérées comme un parfait moyen de communiquer avec la forêt. Cette dernière - espace diffuseur de bruits et de silences - crée un lien entre eux et le monde animalier-végétal qui les entourent. Dans la présente pièce, le motif ainsi emprunté évoque la vie nocturne des forêts africaines.

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Cette partie s'achève sur un ad libitum d’un bref solo d’une vingtaine de secondes du tambour d’aisselle africain, qu’accompagnent atonalement les courts motifs répétés du piano et de la contrebasse, ainsi que des frémissements de la grosse caisse, de la tumba et du hochet africain.

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