• Aucun résultat trouvé

Naissance des phénomènes socio-musicaux comme modèles de brassage culturel afro-européen en Amérique

La musique subsaharienne dans l’histoire occidentale A Contextes d’affrontement

B. Contextes de rapprochement

4. Naissance des phénomènes socio-musicaux comme modèles de brassage culturel afro-européen en Amérique

Dans le rapport Afrique – Occident, le XIXe siècle américain fournira un grand nombre de formes musicales métissées qui, par la suite, intéresseront et influenceront diversement de nombreux compositeurs occidentaux.

En effet, au début de ce XIXe siècle, l’Amérique du Nord a connu un second mouvement de réveil, le Second Awakening. Il en naîtra un nouveau style de chants : les Spirituals, chants folkloriques plus bruyants, exécutés de mémoire, dans des rassemblements religieux auxquels participait la classe populaire blanche et noire de toutes les obédiences protestantes, pour les activités religieuses. Ces chants jouaient le rôle d’hymnes.

Parallèlement, vers 1820, un nouveau genre de spectacle vit le jour : les Minstrels (ménestrels) noirs. Il s’agissait de colons se noircissant le visage avec du bouchon brûlé, afin d’imiter les chants et danses des esclaves. Ils s’inspiraient ainsi directement de la vie quotidienne de ces derniers, pour parodier notamment leurs chansons qualifiées de Chansons nègres ou chansons éthiopiennes.

42 Eileen Southern, avance également que ces chants étaient chantés « sur la scène et on en publiait dans les

recueils de chansons. » Plus loin, elle ajoute que « The Negro’s Humanity (également intitulée A Negro

Song) était un arrangement versifié d’une authentique chanson africaine notée par Mongo PARK au XVIIIe siècle. PARK avait envoyé les paroles originales à une de ses amies, la duchesse de DEVONSHIRE, qui en avait « versifié » le texte, c’est-à-dire qu’elle avait modifié les couplets pour les faire rimer et édulcoré certaines expressions trop crues à son goût. Elle fit ensuite mettre les vers en musique par un « compositeur éminent », Giacomo Gotifredo TERRARI. Par la suite, la chanson fut encore mise en musique par d’autres compositeurs, aussi bien dans sa version originale que dans celle de la duchesse, et fut extrêmement répandue des deux côtés de l’Atlantique. » Cf. Eileen Southern, Histoire de la musique noire américaine, op. cit., p. 85.

Liv. 1 chap. 2 La musique subsaharienne dans l’histoire occidentale

35

Ce sont, en particulier, les chants de travail des Noirs dans les plantations qui constituaient la source d’inspiration des spectacles de Minstrels. Par la suite, ils furent intégrés, entre autres, dans les folklores des colons écossais et irlandais44.

J. Kennard, collaborateur au Knickerbocker Magazine, en 1845, explique, en ces termes, la situation des Minstrels45 :

Qui sont nos vrais souverains ? Les poètes noirs, à coup sûr. Ne créent-ils pas la mode et n’imposent-ils pas des lois au goût du public ? Que l’un d’eux, dans les marais de Caroline, compose une nouvelle chanson ; à peine est-elle parvenue aux oreilles d’un amateur blanc, qu’elle est écrite, modifiée (c’est-à-dire presque gâchée), imprimée et lancée très vite dans toutes les directions ; elle ne s’arrête qu’aux frontières de l’univers anglo-saxon, sinon à celle du monde. Pendant ce temps, l’auteur continue de bêcher, totalement ignorant de son génie.

C’est aussi dans la seconde moitié de ce XIXe siècle qu’apparurent, toujours en Amérique, des phénomènes à la fois musicaux et sociaux, qui constituèrent des modèles de brassage réussi entre les cultures musicales noires africaines et occidentales.

Cette démarche produira les genres musicaux assimilés : works songs, gospels,

spirituals, ragtime, blues, jazz46, et s’étendra plus tard même aux genres apparentés à

44 Cf. également Ministrel Show, au sujet duquel Robert Kimbaull, 1976 : p. 1, cité par C. Pirenne, indique

ce qui suit : « Commençant par une absurde parodie blanche de l’art des Noirs, le Minstrel Show a évolué en un spectacle de variété complet comprenant toutes sortes de numéros nouveaux – chanteurs, danseurs, jongleurs, contorsionnistes, ventriloques et numéros d’animaux. Ses premiers quartiers généraux étaient les bars, mais, à la fin des années 1860, le minstrel show était devenu un divertissement familial « propre », qui s’était installé dans les « maisons d’opéra » et avait reçu un nom plus digne : le vaudeville. » Pirenne ajoute que « Si ces « Minstrel Shows » ont constitué une forme d’hommage indirect à la musique des Afro- Américains en familiarisant les auditeurs avec les spécificités – tronquées – de leur musique, ils véhiculaient une image simpliste des Noirs qui subsista jusque fort avant dans le XXe siècle. », in PIRENNE, Christophe,

Vocabulaire des musiques afro-américaines, Paris, Minerve, 1994, p. 98 ; Robert Kimbaull, Shuffle Along,

New World Records NW 260, 1976.

45 Cité par E. Southern, op. cit., pp. 84-87, pages dans lesquelles sont également mentionnées les activités

des Minstrels.

46 Pour des besoins appropriés à leur vie et à ceux de l’expression de leur caractère, les Noirs affranchis

créèrent un style particulier de musique légère. De là, naquirent successivement, le rag, 1897, (découlant de la musique de danse noire, joué par les vagabonds anonymes du Mississippi et de la côte Est) et la musique

Hot (utilisant la trompette jouant sur les aigus soutenue par le rythme du tambour). Le terme hot music,

apparu entre la fin du XIXe siècle et le début XXe siècle, fut utilisé pour désigner la fusion du ragtime et du

blues, le vocable jazz n’existant pas encore. Le style hot fut adapté au piano – le piano rag – dont la main

gauche remplaçait les tapements de pieds et de mains, tandis que la main droite jouait des mélodies syncopées, à partir des souvenirs d’air de violon et de banjo de cette musique de danse noire. Ce style donnera naissance à la chanson ragtime dont la basse est simple et régulière, ainsi que la mélodie chantée, légèrement syncopée. Puis vinrent le blues (le cafard), chants tristes de débardeurs ; les holeurs des esclaves dans les champs, et les spirituals exprimant la douleur. Poétique, le blues tend vers des rythmes à deux temps et des mélodies syncopées. Son harmonie s’inspire de la tradition musicale européenne. Les airs de blues - entre autres, ceux de folk-blues - ont constitué la base de la création du jazz, dont l’essence est

36

la musique dite de variété, tels que le reggae et le rock. Dans ce dernier genre, ont aujourd’hui été accommodées les musiques issues de la country des Blancs américains, du boogie-woogie et du rhythm and blues des Noirs.

A leur tour, certains de ces genres verront leurs techniques largement exploitées par des compositeurs de musique savante occidentale apparemment enthousiastes. Ils utilisèrent de plus en plus les techniques de spontanéité et d’intuition de l’instant ainsi que le mélange de rythmes et de danses aux formes inédites, tout en accordant de l’importance à l’improvisation à l’intérieur du cadre précis d’une œuvre musicale.

Il en fut ainsi de l’apport du jazz, comme en témoigne, en 1927, Arthur Hoérée à travers ces propos :

Le jazz est toujours à l’ordre du jour. L’Amérique, qui fut son berceau, l’a déclaré mort, sinon moribond. En Europe, il a soulevé indignation chez les uns ; chez les autres l’enthousiasme. D’aucuns y voient les stigmates d’une décadence inéluctable, puisqu’il faut puiser chez les nègres pour raviver les formes caduques de nos arts plastiques ou sonores. D’autres, enfin, quelques jeunes musiciens et certains poètes, ont subi son charme, goûté sa forte saveur et glorifié le jazz envers et contre ses détracteurs. Peu importe, le jazz est bien vivant. Tous les jours, un million de jambes nerveuses questionnent avidement ses surprises rythmiques ; les compositeurs l’introduisent de plus en plus dans leurs œuvres.47

Parmi les compositeurs qui exploitèrent le savoir-faire musical des Noirs américains de cette époque, citons le Tchèque Antonín Dvorak (1841-1904), catalyseur de l’école de musique nationale à New York, et directeur du Conservatoire National de Musique, de 1892 à 1895. C’est dans les influences des musiques noires et indiennes d’Amérique que ce compositeur trouva ses formules typiques : les syncopes, le pentatonisme, le style pointé et les mélodies. Il adapta et développa ces éléments au service de ses propres thèmes.

Expliquant sa Symphonie du Nouveau monde, en mi mineur (1893), le compositeur souligna que ces emprunts furent traités « au moyen de toutes les ressources du

l’improvisation sur un thème donné. C’est la fusion du blues et du ragtime avec les fanfares et la musique de danse syncopée qui donnera naissance au jazz.

47 Arthur Hoérée, « Le Jazz », La Revue Musicale, op. cit., p. 213.

A ce sujet, Albert Jeanneret évoque le jazz comme un phénomène par le biais duquel « […] Le nègre apporte [… à la musique européenne], une restauration sur un principe d’économie et de rendement sonore maximal de l’orchestre symphonique actuel, [ainsi qu’] un rappel impératif au rythme. […] dont les musiciens de notre génération sauront tirer la leçon ». Cf. son article « Le Nègre et le Jazz », La Revue Musicale, n° 8, juin 1927, p. 24. Ainsi, Milhaud, par exemple, pratiquera-t-il à merveille l’art de la syncope et de l’accent de la musique brésilienne et du jazz, en exploitant le dynamisme et la rigueur rythmique du jazz, ainsi que le flou rythmique du balancement sensuel de la musique brésilienne.

Liv. 1 chap. 2 La musique subsaharienne dans l’histoire occidentale

37

rythme, de l’harmonie, du contrepoint, et des couleurs de l’orchestre moderne ». Pour son quatuor dit Américain, il s’inspira des Negro Spirituals.

Dans les domaines de la symphonie et de la technique pianistique, l’Américain Louis Moreau Gottschalk (1829-1869) combina diverses influences depuis les européennes, en passant par les mélodies et rythmes de l’Amérique centrale, les thèmes afro-cubains, jusqu’aux airs populaires de la Nouvelle-Orléans48. Sous ces influences, il composa Bamboula, La Savane (ou Ballade de Créole) et le Bananier, également nommé Chanson Nègre.

Quant à Henry F.B. Gilbert (1868-1928) et John Powel (1882-1963), ils écrivirent des rhapsodies noires et des symphonies sur des thèmes de Noirs.

C’est ainsi que, progressivement, les compositeurs de musique savante, d’Outre Atlantique surtout, recoururent, entre autres, à l’originalité des conceptions stylistiques et formelles découlant des musiques des Noirs : la complexité sonore, la répétitivité, les rythmes syncopés, et l’implication de l’interprète dans la composition.

5. De l’expansion du produit des fusions culturelles : les afro-américaines

Documents relatifs