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De l’influence des musiques subsahariennes dans les danses européen nes en Amérique

La musique subsaharienne dans l’histoire occidentale A Contextes d’affrontement

B. Contextes de rapprochement

2. De l’influence des musiques subsahariennes dans les danses européen nes en Amérique

C’est en rapport avec ce qui précède que nous évoquerons ici, suivant leurs origines, quelques danses qui, en Amérique latine du XVIe siècle, ont toutes plus ou moins subi des influences de musiques africaines – sarabande française, courante italienne ou française, fandango, villancico, jota, ensalada et passacaille espagnoles ;

chacone espagnole ou latino américaine ; gaillarde italienne ou française ; gigue

anglaise ou irlandaise, menuet français, contredanse anglaise (pour toute définition cf. le glossaire, volume 2, pp. 637-656) –, danses dont les versions acculturées sont à nouveau revenues en Europe.

Ces influences étaient avouées par les différents voyageurs ou chroniqueurs de l’époque, à travers leurs récits. Toutefois, ceux-ci ne manquaient pas non plus d’en déplorer l’infiltration dans les musiques européennes.

Les propos suivants en constituent un des témoignages probants :

Ces mêmes voyageurs déplorent presque toujours que l’on déforme les belles danses européennes. Partout, on cite ‘les nègres qui pervertissent notre beau quadrille français, … ces ‘zambas et zambos’ qui déforment notre musique’ … ‘Entre les mains de ces gens, nos mélodies sont comme saccagées’ … ‘ne savent pas jouer’ … ‘sauvages’ sont les expressions que l’on retrouve le plus

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fréquemment. L’aspect populaire, populachero, arrabalero, mestizo, cholo, est très souvent mentionné.35

L’auteur ajoute également que les lieux de rencontres entre les Noirs et leurs maîtres – « cabarets, bouges, cafés, maisons de plaisir » – de même que « la promiscuité sexuelle, le mélange des ‘races’ » furent toujours identifiés avec clarté, et signalés le plus souvent de façon manifeste et péjorative dans lesdits récits. Par ailleurs, les ports demeurèrent les lieux privilégiés de « cette fermentation culturelle » où s’exerça une intense activité musicale. Parmi les villes les abritant figurent : La Havane, Lima, Cartagena, Rio de Janerio, Montevideo, Buenos-Aires, sans parler, plus au nord, de la Nouvelle-Orléans. Le même auteur souligne enfin qu’à différentes périodes de l’histoire latino-américaine, chacune de ces villes joua un rôle majeur dans la constitution « des genres musico-chorégraphiques latino-américains. »*

Au sujet des danses qui ont bénéficié d’un apport africain au XVIe siècle, la

negrina ainsi que l’ensalada – dont celle de Mateo Flecha l’ancien (1481-1553),

pièce dans laquelle il utilisa des onomatopées humoristiques et autres distorsions linguistiques –, constituent, à plus d’un titre, des exemples significatifs. Faut-il encore mentionner que ce genre de traitement vocal est assez répandu en Afrique noire.

Il n’en est pas moins du tangoglossaire, apparu à la fin du XIXe siècle en Espagne. Cette danse que l’on crut jadis être d’origine andalouse, alors qu’elle était argentine, comporte aussi des éléments inspirés des musiques africaines des esclaves. En effet, il est le résultat de l’association des rythmes caractéristiques de la habanera (musique afro-cubaine) et de la milonga (dansée par les Blancs argentins, mais fortement imprégnée de rythmes des Noirs).

Le métissage des musiques africaines avec les musiques européennes s’est fait au sein des couches populaires. Il a d’ailleurs été facilité par les activités et les modes de vie de ces dernières, comme l’indique Michel Plisson :

C’est dans le foisonnement intense des cafés, bouges, quartier d’immigrés des ports que ce produira cette alchimie complexe qui se diffusera ensuite dans les campagnes. Dans ces brassages culturels intenses, les groupes de population noire jouèrent un rôle très important, jusque dans les pays et les villes où ils ne furent jamais réellement présents. Leur influence fut décisive y compris sur les musiques

35 Michel Plisson, « Les genres musicaux-chorégraphiques : syncrétismes originaux des musiques

traditionnelles d’Amérique latine », in Musiques d’Amérique latine. Actes de colloque des 19 et 20 octobre 1996 à Cordes (Tarn), Cordes, C.O.R.D.A.E/La Talvera, 1998, p. 236.

* Michel Plisson, « Les genres musicaux-chorégraphiques : syncrétismes originaux des musiques

Liv. 1 chap. 2 La musique subsaharienne dans l’histoire occidentale

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appelées savantes. Cette influence s’accrut dès la fin de l’esclavage, lorsque les Noirs libérés commencèrent à quitter les plantations pour migrer vers les villes à la recherche de travail. Leur rôle fut essentiel dans l’américanisation des genres hispanisants à 3/4 6/8, mais également dans la création de cellules rythmiques originales, inconnues en Europe. […] Les syncrétismes religieux intégrèrent des éléments amérindiens, espagnols, français ou portugais. De là viennent les rituels afro-américains encore présents aujourd’hui : santeria, candomblé, vaudou, vivant de leur vie propre, détachés de l’ethnie qui les avait engendrés à l’origine, assimilant des éléments exogènes à la culture, pouvant intégrer des Métis, voire des Blancs dans leurs rites et leurs musiques.36

Il convient de mentionner également l’impact de certains virtuoses espagnols du luth et de la guitare vihuela, dont la musique, exportée en Amérique latine particulièrement, revenait marquée de l’empreinte de divers apports, africains et autres.

C’est ce que note Francisco Gonzalez :

Nombreuses [musiques et danses fandangos, zarabandas, chaconas, guigas, passe- pieds, menuets, contradanza, puntos, bertañas et jotas, exportées de l’Espagne en Amériques] étaient celles qui avaient déjà fait l’aller-retour [Espagne – Amérique – Espagne], revenant transformées et pleines de vigueur, enrichies d’éléments indiens et africains. Nous remarquons dans plusieurs textes de poètes du siècle d’or espagnol [XVIe siècle], comme Lope de Vega, la présence d’une quantité de

vocables d’origine africaine, pour désigner des danses en vogue. Par exemple : gayumbas, paracumbés, retambos, cachumbas, yéyés, zambapalos, zarambeques et garrumbés, que nous pourrions rapprocher des musiques et danses qui foisonnaient au Mexique, Cuba, Colombie, Venezuela, Brésil, Chili et Argentine et dans tous les pays où l’on pouvait constater la présence d’esclaves noirs.37

Plus loin, dans les archives – encore présentes –, de Mexico, Santa Fe de Bogota et Lima, l’auteur signale également la présence d’une grande quantité d’œuvres pour guitare baroque « issues de compositeurs latino-américains dont certains […] rappellent sans équivoque le style particulier d’un Domenico Scarlatti38 [1685- 1757]. » Par ailleurs, entre le XVIIe et le XVIIIe siècles, il y eut un va-et-vient

36 Op ; cit., pp. 148-149.

37 Francisco Gonzalez, « Cinq cents ans d’échanges musicaux entre le Vieux Continent et l’Amérique

latine », in Musiques d’Amérique latine, op. cit., pp. 84-85.

38 On reconnaît à Domenico Scarlatti (6e enfant d’Alessandro Scarlatti) le goût pour les rythmes et

mouvements de danses d’origine espagnoles et les imitations des instruments comme les castagnettes et la guitare, son goût pour les musiques populaires, ainsi que pour les effets répétitifs.

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ininterrompu de musiques populaires et savantes – aussi bien de cour que de salon, religieuses ou profanes, instrumentales ou vocales, écoutées ou dansées –, entre l’Espagne et l’Amérique latine, musiques qui favorisèrent l’éclosion de diverses formes (surtout dans la musique populaire).

Désormais, nous retrouvons partout des éléments africains (Carabali, Yoruba, Congo [Kongo], etc.), préhispaniques (malgré l’anéantissement presque total de ces cultures) et espagnols (avec l’influence de divers pays européens et celle des peu- ples juif, gitan et arabe), dosés de manières différentes selon le lieu et l’époque.39

A la lumière de ce qui précède, on ne s’étonnera guère que la musique de guitare, particulièrement espagnole, ait été grandement inspirée par des timbres ou des rythmes chorégraphiques d’origine africaine. Car, en Espagne, comme en Amérique latine, du XVIe et du XVIIe siècles, cet instrument fut partout présent, assumant un rôle décisif dans nombre des musiques populaires des régions concernées. En effet, dans ces dernières, la guitare y devait assurer, surtout mélodiquement et rythmiquement, un prolongement et une synthèse de divers langages et idéaux musicaux issus de l’association plus ou moins consciente de ces différentes cultures musicales. Toutefois, il convient d’indiquer que les intentions sous-jacentes de ces apports – africains, en l’occurrence – furent, naturellement, multiples.

3. Les facteurs de la synthèse des langages et idéaux musicaux autoch-

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