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Le Concerto pour piano, 1985-88.

Analyse des œuvres de Liget

1. Le Concerto pour piano, 1985-88.

Le matériau sonore essentiel du Concerto pour piano est sa matière timbrale rappelant les couleurs de la géométrie picturale de Cézanne. Ici, les paramètres de hauteurs et de durées restent secondaires par rapport au timbre et à ses diverses couches sonores.

Hormis cette matière timbrale, l’œuvre renferme également une couleur harmonique fondée essentiellement sur des réminiscences tonales, dans lesquelles s’effectuent des intrusions de phrases atonales et chromatiques. Sur ce plan, l’ouvrage demeure en continuité avec les œuvres précédentes du compositeur.

Dans son organisation interne se profilent davantage de jeux harmoniques, de transformations graduelles en incises185 intervalliques, et de nappes sonores

chromatiques. Le premier mouvement, par exemple, est fondé sur des textures d’harmoniques de cordes. Au piano solo, des groupes de notes – qui, à l’aide des liaisons, sont réparties en diverses cellules rythmiques de deux, trois et quatre croches, puis de quatre, huit et douze doubles croches – s’enchaînent appuyées sur des octaves parallèles.

Au sein de l’œuvre entière, les combinaisons de quintes sont fréquentes, particulièrement au troisième mouvement. A ces intervalles typiques, caractérisant toutes les sonorités, György Ligeti ajoute d’autres intervalles tempérés et non tempérés, qui offrent la possibilité d’effets multiples. Ces effets sont produits grâce notamment à leurs harmoniques. Un tel traitement de la matière sonore correspond à la manière générale de l’auteur d’organiser les données timbrales et harmoniques de ses œuvres.

Signalons un autre aspect important de la matière sonore de ce morceau. Au quatrième mouvement, entre autres, certaines formes présentent des analogies avec des structures fractales, mais sont toutefois traitées artistiquement ou avec une inexactitude peu scientifique, autrement dit ce sont des structures élaborées sans calcul préalable.

Quant à l’orchestration, elle est organisée de façon multiple : les instruments sont soit regroupés par famille (vents, percussions, clavier et cordes), soit isolés, pour finir par se réunir. Ils sont ainsi répartis selon les caractères musicaux des textures et des

185 Le mot “Incise ” est utilisé ici au sens de la subdivision d’une phrase intermédiaire entre le rythme

Liv.2 Chap. 5 György Ligeti : la tradition musicale africaine au service d'une quête libre

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trames mélodico-rythmiques qu’ils peuvent rendre ou produire aisément (par exemple, la confrontation des batteries de cordes agitées aux tenues des vents).

Influant, ensemble ou individuellement, sur le développement du matériau sonore, tous ces instruments se rejoignent, s’unissent, se séparent ou s’opposent, provoquant des mélanges et des croisements timbraux assez évocateurs. On pourrait alors penser, notamment, à un tableau et à la perception de ses divers plans. Par conséquent, dans son déroulement, l’œuvre alterne ou superpose simultanément de multiples plans sonores (un profil mélodique ou rythmique particulier peut être précédé par une structure mélodico-rythmique au contour non identifiable, ou encore un groupe d’instruments peut surgir au milieu du moule instrumental d’ensemble, pour souligner des éléments d’un champ sonore atypique).

Rythmiquement, il existe un évident rapport son/silence et continuité/discontinuité. Celui-ci favorise l’emploi du jeu de hoquet – opéré entre les cordes et les percussions ou les vents – et celui de la répétitivité, bien que cette dernière ne soit pas tout à fait semblable à celle pratiquée par les compositeurs américains. György Ligeti utilise une répétition dont le champ sonore est beaucoup plus varié, avec des périodes fondées sur des intervalles de temps dont les attaques de sons répétés sont séparées.

En ce qui concerne l’influence proprement dite de la musique africaine, elle concerne, en particulier, la référence à la métrique périodique sur des pulsations asymétriques et accélérées, exploitée dans l’ensemble de cette pièce, ainsi que la structure rythmique aux multiples strates et tempos.

On trouve également des constructions en hoquet semblables à celles des musiques Banda Linda de Centrafrique. Il s’agit là de l’influence sur son inspiration des travaux de Simha Arom186. Ces hoquets sont traités dans une matière musicale renfermant des

processus et des objets, qui lui apportent une illusion temporelle et la déploient dans

un espace sonore d’une grande profondeur.

Dans cette œuvre, les processus sonores apportent eux aussi une dynamique temporelle et directionnelle produisant des objets musicaux (harmoniques, mélodiques et rythmiques) qui comportent une dissymétrie propre à la division interne de leurs formules et de leurs cellules. Il existe également une polymétrie et une polyrythmie inspirées de la musique africaine.

Comme dans cette dernière, le Concerto pour piano de György Ligeti, offre une pulsation rapide produite, notamment, par la simultanéité décalée des séquences

186 Cf. notamment Simha Arom, Polyphonies et polyrythmies instrumentales d’Afrique centrale. Structure et

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mélodico-rythmiques. En outre, on se rend compte que l’accumulation des voix isolées hachées et discontinues n’est pas apparente, comme il est de pratique courante dans certaines polyphonies africaines.

Dans cette pièce, le compositeur conserve la forme fermée, dans laquelle les idées musicales se déduisent les unes des autres, à la manière des ouvrages minimalistes. Comme dans la plupart de ses œuvres, György Ligeti y exploite une harmonie constituée de premiers renversements des accords majeurs ou mineurs. Il s’agit des accords de quintes arpégées – construites en champs sonores –, des combinaisons intervalliques de septièmes (diminuées, mineures, majeures) et de quintes, ainsi que quelques autres accords majeurs dont les quartes augmentées. Ces différentes harmonies se présentent en position fondamentale ou renversée. Ce créateur enrichit cette harmonie avec l’emploi de la micro-tonalité ainsi que certains accords exceptionnels, qui renferment des surgissements modaux et tonals, créant davantage d’expression et d’émotion.

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