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Analyse des œuvres de Darius Milhaud

Les principaux ouvrages susceptibles d’avoir été influencés par les musiques africaines, et à ce titre pouvant être intégrés dans notre étude sont les suivants :

Printemps, vol. I et II (1915-1919 et 1919-1920), L’Homme et son désir (1918), Le Bœuf sur le toit (1919), Saudades do Brasil (1920-21), La Création du monde

(1923), Scaramouche (1937), La Libération des Antilles (1944) et les Chansons de

négresse (1935-36).

Néanmoins, nous avons choisi de ne traiter que la Création du monde, dans la mesure où certains de ses éléments ont été directement influencés par les arts plastiques africains, ces derniers ayant marqué la réflexion créatrice du compositeur et de son œuvre. Toutefois, signalons incidemment que Scaramouche et Le Bœuf sur

le toit (la samba carnavalesque), par exemple, comportent non seulement des

citations thématiques – tels les tangos Escovado et Brejeiro du compositeur brésilien Batista Siqueira69 –, mais aussi des extraits de samba, dont le thème est emprunté à une chanson populaire des Noirs brésiliens.

On y trouve aussi des passages de maxixes et de tangos traités à la Ernesto Nazareth (compositeur brésilien, 1863-1934) et des passages de ragtime à la Scott Joplin (1868-1917), avec une métrique très syncopée, ainsi le tout enveloppé dans une atmosphère générale caractéristique des musiques populaires brésiliennes et du jazz. Il en est de même de L’Homme et son désir qui comporte des accents et une atmosphère carnavalesques de musiques populaires brésiliennes. Les Trois Chansons

de négresse, extraites de la musique de scène de l’Opéra Bolivar, op. 148 (1935-36),

69 Lire aussi Detlev Gojowy, « Darius Milhaud et Ernesto Nazareth ou la découverte de la musique

brésilienne », in Manfred Kelkel, Honegger – Milhaud, musique et esthétique, Actes du Colloque International tenu à la Sorbonne en novembre 1992, Paris, J. Vrin, 1992, pp. 215-222, en particulier la p. 219.

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sur le texte de Jules Supervielle (1884-1960), traduisent, par une musique d’influence à la fois jazzistique et brésilienne, le désir de liberté de l’homme noir en particulier, mais aussi, d’une façon générale, la soif de liberté illustrée par les conditions de vie et le sort réservé à des hommes tels que Christophe Colomb (1450-1506), Ferdinand Joseph de Habsbourg Maximilien (1832-1867) et Simón Bolívar (1783-1830) : tous, bien qu'ayant connu la gloire, furent victimes de l’ingratitude en politique. La Libération des Antilles, au titre évocateur, aux lignes mélodiques simples, est construite à base de deux chansons sur des airs créoles martiniquais et sur un texte d’Alice Joyau-Dormoy.

La Création du monde*, opus 81a, pour 18 instruments solistes 1923 et 1929.

* Darius Milhaud explique la genèse de cet ouvrage en ces termes :

Tout en déambulant ainsi dans Paris, Léger, Cendrars et moi élaborions notre ballet. Léger voulait interpréter l’art primitif nègre et peindre sur le rideau et sur les décors des divinités africaines qui exprimeraient la puissance et les ténèbres. Il ne trouvait jamais ces réalisations assez terrifiantes ; il me donna une esquisse du rideau, noire sur brun foncé parce qu’il la trouvait trop claire et un peu « bergère ».

Quel charmant euphémisme !

Il aurait voulu utiliser des baudruches, représentant des fleurs, des arbres, des animaux de toutes sortes que l’on aurait gonflés au gaz et qui, au moment de création, se seraient envolés comme des ballons.

Mais ce projet fut irréalisable car il nécessitait dans chaque coin de la scène une installation compliquée de réserve de gaz et le bruit du gonflage aurait couvert la musique. Léger dut se contenter de s’inspirer des costumes d’animaux dans le style de ceux que portent les danseurs africains pendant leurs cérémonies religieuses.

70 Extrait de notes sur la réglementation de la mise en scène, de

CENDRARS, Blaise et de Fernand Léger, in

Esprit nouveau, n° 18, novembre 1923. Voir aussi Bengt Häger, Ballets Suédois, Turin, Vincenzo Bona,

1989, p. 190.

*Notes sur la réglementation de la mise en scène :

- « Rythme général grave et lent ; s’accentue à certains moments, mais reste plutôt solennel et cérémonieux.

- Couleur locale : blanc, noir, ocre.

- La lumière scénique toujours mobile sera intermittente (jeu de clair-obscur), éclairage partiel (éviter l’éclairage total).

- Mobilité continue de la scène par déplacements des décors mobiles et personnages fictifs ou réels. - Animation de la scène par naissance d’un arbre et de divers animaux. »70

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La Création du monde m’offrit enfin l’occasion de me servir des éléments de jazz que j’avais si sérieusement étudiés ; je composais mon orchestre comme ceux de Harlem, de dix-sept musiciens solistes et j’utilisais le style jazz sans réserve, le mêlant à un sentiment classique.71

La Création du monde constitue une somme d’idées et d’expériences picturales, chorégraphiques et musicales. Son influence africaine est plus directement sensible dans ses parties se rapportant à la poésie, à la danse et à la peinture.

Pour tous ces créateurs – Blaise Cendrars (1887-1961), Fernand Léger (1881- 1955), D. Milhaud et J. Börlin (1893-1930) – cette œuvre devait être un vrai « ballet nègre72 ». Aussi ces artistes devaient-ils s’efforcer de réunir tous les éléments

susceptibles d’assumer sa réussite. Et dans sa lettre* du 29 octobre 1921, adressée à F. Léger, B. Cendrars demanda au peintre de suggérer à Rolf de Maré (1888-1964) la création d’un ballet nègre qui serait un ouvrage de « longue haleine, très sérieux, très dur[e], très moderne, qui fasse date. »73

Par ailleurs, il importe de noter que cette interdisciplinarité de La Création du

monde est le produit d’une pensée avant-gardiste de l’après première guerre

mondiale. Il s’agit d’une pensée relevant de la quête, par les intellectuels et les artistes, d’une force de création et d’échange au sein même de la société, et d’une démarche visant, notamment, à la promotion de l’art moderne. La musique de Darius Milhaud fut, au départ, inspirée du jazz joué par le groupe du New Yorkais Billy Arnold. Il assista même à quelques-unes de ses représentations données à Londres en 1920.

Ci-dessous* l’extrait de la lettre de Fernand Léger adressée à Rolf de Maré, le 12 septembre 1922.

71 Darius Milhaud, Ma vie heureuse, Paris, Belfond, 1987, p. 125.

72 Nègre, adjectif dont le sens fut très péjoratif jusqu’au début de ce siècle – Nègre étant alors l’antithèse du

Bon sauvage – devait revêtir une nouvelle signification à travers cette œuvre. En effet, contrairement à la

tentative d’une mise en scène africaine de la pièce d’Apollinaire de juin 1917 – Les Mamelles de Tirésias, où ne fut représenté qu’un personnage de Zanzibar -, La Création du monde de B. Cendrars, D. Milhaud et F. Léger met en scène d’innombrables personnages aussi bien des humains que des divinités, des animaux, ainsi que des plantes d’Afrique noire. « Ballet nègre » fut d’abord le nom de la tournée qui révéla la future vedette américaine de Music-Hall, activiste antiraciste et philanthropique, Joséphine Baker (1906-1975).

73 Fischer Hartwing, « Un art plus complet : Léger et le ballet », in Fernand Léger, le rythme de la vie

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Au début du siècle75, particulièrement

pendant les années folles, l’art d’Afrique noire était déjà présenté comme une trame de

cosmogonies par la littérature

ethnographique occidentale sur certains mythes africains, même si ces dernières paraissaient cependant trop vagues et abusivement syncrétiques. C’est à cette approche cosmogonique que ces trois hommes voulurent associer leur Création du monde.

Dans le traitement de l’œuvre, ils privilégièrent des solutions archaïques non occidentales, solutions qui aboutirent à une réflexion philosophique et à une poésie pro- africaines. On ne s’étonnera guère que B. Cendrars, D. Milhaud et F. Léger aient réellement partagé un vif intérêt pour la sculpture de l’Afrique, sculpture qui alors était connue et appréciée par bon nombre d’artistes, dont les peintres Henri Matisse (1869-1954), Maurice de Vlaminck (1876- 1958), Pablo Ruiz Picasso (1881-1973), Georges Braque (1882-1963). En effet, cette sculpture était devenue une mode, dépassant le cercle fermé des amateurs, écrivains et artistes novateurs.

A cette époque, une véritable chasse aux objets d’art africains fut même entreprise par les artistes, au point que l’on parla de négrophilie.76

74 Lettre reproduite dans Fernand Léger, sa vie, son œuvre, son rêve, Milan, Edizioni Apollinaire, 1971,

citée par Francine N’diaye, « Léger scénographe et cinéaste », in Fernand Léger et le spectacle, Exposition sur Fernand Léger, 30 juin au 20 octobre 1995, organisée par la Réunion des musées nationaux et le Musée National Fernand Léger, avec le concours du Conseil Général des Alpes-Maritimes, Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, 1995, pp. 48-50.

75 C’est l’avènement du cubisme qui suscita les premiers enthousiasmes pour l’art de l’Afrique noire, à

l’époque qualifié d’Art nègre. Cet engouement connaîtra un nouveau regain dix ans plus tard, dont témoignent l’exposition de sculptures nègres, dans la salle Huyguens du Cercle Lyre et Palette à Montparnasse, en 1916, ainsi que la publication, à la Modern Gallery newyorkaise, de l’ouvrage de Marius de Zayas, Africain Negro Art : Its Influence on Modern Art.

76 Lire aussi Francine N’diaye, « La Création du monde et la rencontre de Léger avec l’Art africain », in Fernand Léger et le

spectacle, op. cit. pp. 21-29.

* … Où en est Börlin à propos du ballet nègre ?

Vous savez que nous pensons en faire une œuvre importante extrêmement étudiée. Il devra être le seul ballet nègre possible dans le monde entier et être celui qui restera comme type du genre. Cela nécessite de nombreuses entrevues très

minutieuses entre Cendrars, Börlin et moi. Pour le musicien (choix très important), il est difficile de s’adresser à un trop jeune artiste

inexpérimenté.

Finalement nous pensons que Milhaud est le seul des Français actuels à pouvoir réaliser cela. Nous avons pensé à Satie, mais il travaille pour Hébertot et je ne pense pas que cela puisse se faire […].

Pour quand pensez-vous réaliser ce ballet ? Pensez qu’il faut du temps (nécessité probable d’un voyage à Londres, British Museum, pour documentation des masques). C’est une œuvre importante et à laquelle Cendrars et moi devons donner tous nos soins.74

64 Jean Laude témoigne :

Les spectacles [habituaient] l’œil à d’autres couleurs, l’oreille à d’autres rythmes. Pêle-mêle, le jazz, les Ballets Nègres, Joséphine Baker, la Croisière Noire (de L. Poirier), Hallelujah ! (de K. Vidor), La Création du monde (de D. Milhaud et F. Léger) [étaient] de ces éléments disparates qui [alimentaient] rêveries et conversations mondaines mais qui [agissaient] en profondeur dans la conscience publique. Cette négrophilie, comme on disait alors, atteignit son apogée avec l’Exposition Coloniale de Vincennes (1931) […]77

Quant aux auteurs de La Création du monde, Fernand Léger emprunta à l’iconographie africaine des motifs naturalistes, pittoresques et anecdotiques. Ils servirent de thème à ses peintures, de l’œuvre pour le traitement de ses décors et de ses costumes. Le peintre s’inspira ainsi des sculptures et des masques africains, en n’étudiant que les planches des deux ouvrages les plus connus de l’époque : African

Negro Art : Its Influence on Modern Art de Marius de Zayas, et Negerplastik de Carl

Einstein78.

Comme pour la plastique africaine, les peintures produites par Fernand Léger constituèrent un nouvel art ornemental « doté d’une fonction psychologique et sociale »79. Il s’agissait notamment des masques, des statuettes, au visage très

expressif*80.

* Concernant le traitement de ses sujets d’emprunts, citons Francine N’diaye qui indique que Fernand Léger

commença par exécuter de nombreux croquis rapides au crayon en recopiant et simplifiant au maximum les structurations plastiques des statues et des masques. Il choisit d’abord dans le livre de Carl Einstein, les statues construites en un seul bloc

77 Jean Laude, Les Arts de l’Afrique noire, Paris, Librairie générale française, 1966, pp. 36-37.

78 Cf. id., La Peinture française et l’Art nègre, Paris, Klincksieck, 1979, mais également Marie-Thérèse

Genin-Audigé, Fernand Léger et le décor de théâtre, l’œuvre dessinée, mémoire inédit de l’Ecole du Louvre, Paris 1975, dans lequel il est signalé que F. Léger utilisa, pour ses dessins, les planches 6, 16, 18, 24, 26, 39, 40, 44, 53, 64, 67, 70, 86, 91 et 98 de l’ouvrage de C. Einstein, ainsi que sept planches de celui de Marius Zayas (voir ibid., p. 50).

79 Pour de plus amples détails, nous invitons le lecteur à se référer notamment aux ouvrages suivants :

Fernand Léger, le rythme de la vie moderne, 1911-1914, Paris Flammarion, 1994, pp. 70-75 ; Serge

Fauchereau, Fernand Léger, un peintre dans la Cité. Les grands maîtres de l’Art contemporain, Paris, Albin Michel, 1994, pp. 16-24 ; 126-127 ; Jean Laude, « Léger, La Création du monde », in Le Primit-ivisme dans

l’art du XXe siècle, sous la direction de William

RUBIN, New-York, 1985, pp. 474-484, voir aussi l’édition française, Paris, Flammarion, 1987 ; id., La peinture française (1905-1914) et l’Art nègre, Paris, Klincksieck, 1968 ; Francine N’diaye, « La Création du monde et la rencontre de Léger avec l’Art africain »,

in Fernand Léger et le spectacle, op. cit., pp. 21-63 ; 99-103.

80 Cf. volume 2, annexes 4 : photographies, point I. : « La création du Monde et la rencontre de Léger avec

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solide, mais dont les formes étaient à la fois les plus massives et les plus dynamiques. Il recopia ainsi une statue agni du Ghana, une statue fang du Gabon et une statue baga de Guinée dont il fit ressortir avec plus de vigueur les formes. Il redessina sans modelé, avec quelques traits fermes et concis, une statue d’ancêtre

bidyogo des Îles Bissago de la Guinée portugaise. Il saisit la structuration d’une

statue bambara du Mali avant de la recomposer, dans un second dessin, en intensifiant les contrastes du relief. Il accentua les proportions des jambes d’une statuette baoulé de Côte d’Ivoire, il retint la coiffe imposante d’une statue

watschiwokwe [plutôt tshiokwe] de l’Angola oriental, il étudia les associations

géométriques et naturalistes d’un masque sénoufo de Côte d’Ivoire, d’une tête

pahouin du Gabon et d’une statuette teke du Congo.

Avec la même méthode, il s’appropria une partie de l’iconographie du livre de Zayas en amplifiant par exemple les volumes de statues bambara et tyi wara du Mali ou en accentuant les angles aigus d’un fétiche sénoufo et d’un masque dan de Côte d’Ivoire, d’une tête sculptée fang du Gabon et d’un masque baga de Guinée. Après ce premier travail d’exploration visant à appréhender le langage formel de l’art africain, Léger reprit ces dessins au crayon dans des études à la gouache et à l’encre de Chine. En donnant libre cours à son imagination, il a alors réintégré les éléments compositionnels de son cubo-futurisme dans ses esquisses les plus élaborées où il abolissait tout effet de relief et ne suggérait l’espace que par le jeu d’avance et de recul des couleurs posées en aplats. Traitées sur un même plan et par des formes en raccourci, les figures y apparaissent à la fois plus statiques, semblables à des pièces de décors, et plus abstraites, tel par exemple un être mi- homme mi-animal qui ne correspond à aucune mythologie africaine.81

Les motifs picturaux géométriques en mouvement de F. Léger proviennent des images cubistes des sculptures africaines. Il convient de relever que, dès le début de ce siècle, avec la découverte de la production picturale dite « nègre », le cubisme trouva matière pour le développement d’un nouveau mode d’expression artistique. L’intérêt des cubistes porta singulièrement sur l’aspect morphologique et esthétique des statues de Noirs.

Dans La Création du monde, c’est ce que traduit l’ensemble d’images du décor pictural82 et des costumes de Fernand Léger. On y trouve des sculptures

anthropomorphes colorées – avec des personnages négroïdes : hommes, femmes et divinités – ainsi que des sculptures de différents animaux, qui constituent également des figures expressionnistes. A l’image des masques africains, ces sculptures sont

81 Francine N’diaye, « Léger scénographe et cinéaste », in Fernand Léger et le spectacle, op. cit., pp. 50-51. 82 On y trouve ainsi des volumes géométriques épurés, des assemblages à angle droit, ainsi que des

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portées par les danseurs, afin de leur procurer mouvement83 et vitalité. Ainsi, sur la

scène, les acteurs sont-ils transformés en peintures vivantes dont ils deviennent les réacteurs ou les moteurs, comme dans Parade (1917) d’Erik Satie (1866-1925) et Pablo Picasso (1881-1973). Naturellement, la silhouette des interprètes se modifiant, ces derniers servent alors d’éléments picturaux du décor. Ils font ainsi vivre et se manifester les éléments de la nature végétale et animale, afin de mieux figurer la réalité matérielle84 de la création à travers cette Création du monde artistique.

Sculptés en volume gonflé, les modèles plastiques des personnages de La Création

du monde ont des similitudes morphologiques avec les sculptures africaines. Celles-ci

produisent non seulement des déformations pertinentes de la vision normale, mais sont riches en même temps d’une grande symbolique, et sont porteuses, pour leurs concepteurs, d’un profond sens mythologico-religieux aux interprétations multiples.

Tenant compte de cette symbolique africaine des sculptures, F. Léger respecta l’usage des trois couleurs métaphoriques des rituels africains : « le noir, le blanc et l’ocre », tout en créant un espace agençant extraordinairement des figures abstraites très colorées. On retiendra aussi qu’avec l’ornement chorégraphique et les costumes « spatio-plastiques » – déguisant les danseurs en sculptures africaines mobiles – la scène entière participe réellement à l’action et à l’anecdote du spectacle. Il en est d’ailleurs ainsi dans certaines cérémonies rituelles de grands masques africains. Sur scène, les danseurs masqués (personnages voilés) évoluent, quelquefois enchâssés, dans un espace quasi-fermé. En contraste avec ces éléments plastiques mobiles, la partie musicale de cette Création du monde, est plutôt caractérisée par l’immobilisme ou le statisme, impression communiquée par l’usage fréquent des structures récurrentes. Ce statisme musical souligne, symboliquement, le hiératisme produit par les signes que sont les métaphores de la perpétuité et le lieu de développement des représentations de la force vitale. Pour les auteurs de l’œuvre, cette force est censée être une manifestation soit des génies et des esprits des ancêtres, soit des dieux85.

83 A ce sujet, il importe de souligner l’aspect ou les accents précurseurs du concrétisme, mais surtout de

l’invention de « l’art en mouvement » ou du « mouvement dans l’art » ainsi que de « la peinture cinétique », ce, sept ans avant que F. Léger n’ait rencontré Calder, et qu’il n’ait commencé ses Mobiles.

84 En Afrique centrale, particulièrement, il existe de nombreuses représentations des formes humaines

réalistes ou naturalistes, et des statuaires cubistes, avec un décor varié, et notamment un décor géométrique. Chez certains peuples, les matériaux, formes et couleurs utilisés font du masque une construction complexe de portée mythologique.

85 Les trois déités de cet ouvrage ont été figurées dans la Mine de plomb (1922), de F. Léger, mine

appartenant au Musée d’Art moderne de New-York. Longues de huit mètres de hauteur, ces déités sont composées de divers dispositifs de la statutaire africaine, avec une accommodation proche d’une machine. Les statues laconstituant évoquent la grandeur et le sacré de l’Afrique primitive d’antan.

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Quant au sujet de La Création du monde, il vient d’un argument de Blaise Cendrars*).

Cet argument ne porte pas totalement sur la réelle pensée originelle africaine de la création, du fait, entre autres, de l’inexactitude lit- téraire des textes récoltés. C’est ce que déplore d’ail- leurs l’auteur lui-même dans l’introduction de son livre, à cause duquel il fut accusé d’altérer la pensée africaine initiale sur la création.

Néanmoins, il s’agit bien

là d’une transposition

d’événements poétiques,

plus exactement d’une cos- mogonie d’inspiration afri- caine.

Comme l’indique le texte en marge, l’action scénique de ce ballet est découpée en cinq tableaux.

Sur scène, une masse informe ouvre l’action, puis, peu à peu, la vie se manifeste par l’apparition de formes végétales et d’animaux entourant une ronde, avant que ne naisse l’être humain. L’action se

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