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La matière sonore de Pour un rituel oublié, a été inspirée par les musiques

Analyse de l’œuvre de Charles Chaynes

2. La matière sonore de Pour un rituel oublié, a été inspirée par les musiques

initiatiques des Mitsogho211 et des Batéké212 du Gabon. Et le Chant du soir (voir

l’exemple musical n° 9), poème d’Antoine Roger Bolamba, qui lui est associé, constitue un rappel des rites oubliés et une allusion à la sourde angoisse des forces nocturnes et des mystères cultuels.

Le chant de la soprane, âprement violent, est alternativement rythmé, entre autres, par les battements de mains, de grosse caisse, maracas, vibraphone, sanza et tam- tams. Ceux-ci font place aux vents (flûte jouant des écahappées avec de grands sauts intervalliques, clarinettes et bassons exécutant librement des sons soufflés sur des figures rythmiques préétablies). Ils sont soutenus à l’aide des motifs percussifs du xylophone, de gongs, de T. chinois notamment, ainsi que des coulées du piano, un motif d’une seule note sur des cordes frappées de la harpe, marquant la pulsation métrique, et à l’aide de toutes sortes des sons issus de frottements de cordes, effectués sur des rythmes préfixés de violoncelles et de contrebasses.

Toutes ces sonorités évoquent les fameux rites oubliés et des thèmes essentiels des cultures africaines.

Tam-tam tam-tam tam-tam, la nuit est noire, épaisse de colle. Se colle à ma peau, me donne le froid du limaçon…

211 Les Mitsogho – singulier Mutsogho – est le peuple occupant la côte occidentale du massif central

gabonais. Leur territoire constitue une vraie oasis culturelle et cultuelle où est née la société initiatique de

bwiti ou bwété. Le culte familial des ancêtres célébré par tout le clan en est le fondement. Leurs différents

rites comportent de nombreuses expressions plastiques, chorégraphiques et musicales. L’orchestre cultuel de

bwiti, par exemple, comprend principalement un chanteur, jouant également du ngombi : harpe arquée à 8

cordes. Son accompagnement se fait souvent avec des percussions et, selon la nécessité rituelle, par les hochets, les petites cloches métalliques, l’arc musical et les tambours à peau clouée ou lacée. Sur les Bwiti ou Bweté, voir également volume 2, livre troisième, pp. 655, mais aussi 509 et 656.

212 Les Téké (pluriel, Batéké, singulier Mutéké) est un peuple organisé en chefferies très puissantes. L’un de

leurs chefs les plus réputés fut Mokoko, rival des rois des anciens Loango et Kongo. Actuellement on les retrouve en République Démocratique du Congo, au Congo Brazzaville et au Gabon. Leur musique est l’une de celles qui recherchent la plus grande complexité timbrale et rythmique de l’Afrique. Leurs polyphonies vocales sont singulièrement constituées de vagues de séquences très impulsives. Leur écoulement sonore interne est imitatif. Il comporte des onomatopées et des zézaiements, se superposant en de multiples formules mélodico-rythmiques, avec une dynamique croissante et décroissante très réglée.

Liv.2 Chap. 6 Charles Chaynes : sous l'envolée poétique et musicale de l'Afrique subsaharienne

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Le fond orchestral comporte des clusters linéaires de deux mesures alternant le ternaire et le binaire, repris cinq puis quatre fois. Ces clusters, “explosant”, sont joués par trois hautbois, trois bassons et trois trompettes avec sourdine.

Il importe de noter aussi que la partie réservée à la sanza est également jouée à la harpe. Cela peut avoir une double symbolique. Premièrement, le compositeur rechercherait ici la complexité timbrale illustrant les rites des anciens. Deuxièmement, remarquons que dans le rituel 3/4 du bwiti213, qui a notamment inspiré le compositeur,

la harpe renferme un langage « parlé » anthropomorphe que prolongent des mots articulés de la harpiste, et dont les accords ont une signification musicale et initiatique.

De même, dans cette page traitant des rites oubliés, le compositeur a voulu souligner l’expression de son langage musical évoquant le sacré ou le rituel à travers la sanza et la harpe. En quelque sorte, il associe à la sanza des Bwiti et la harpe de David.

C’est en fait une imitation des cris rythmés et des chants accompagnés, entendus par le compositeur sur un disque de musique des Mitsogho et des Batéké gabonais, qui a guidé le traitement, en particulier structurel, de cette page214 (cf. également page

précédente, la note 212 sur les Batéké).

Pour le reste, de même que dans la partie précédente, l’auteur intercale son texte imaginaire dans celui du poème concerné.

En outre, on trouve quelques interventions de la sanza plus ou moins mise en exergue. Elle exécute, en contretemps, des bribes de tierces mineures mib-do-mib-do, transposées en sol-mi-sol-mi (cf. la partition, pp. 20-21). Puis, de la page 24 à la page 28, suivent les trémolos de sifflets, de bracelets et de maracas africains. A la page 29, l’air de la soliste reprend les accents du motif du début de l’ouvrage, celui inspiré des Pygmées, mais avec ornement. La dynamique de cette page est multimétrique : à l’intervalle d’une ou de deux mesures, se succèdent notamment les mesures 3/4-4/4 ; 3/4-2/4-4/4 ; 2/4 –2/4 ; 4/2-3/2.

Elle s’achève sur une ligne mélodique poétique – “Et des fruits succulents, sur

l’arbre du sommeil ” – que soutiennent les clusters de cordes et les frémissements de

la grosse caisse, de la sanza, hochets et tambour d’aisselle africains en frénésie, allant

diminuendo jusqu’à s’éclipser complètement.

213 Cf. la note de bas de page 211sur la société initiatique bwiti ou bwete (page précédente).

214 Ecoute sonore : CD Gabon. Hommage à Pierre Sallée. Musiques des Pygmées Bibayak/chantre de

l’épopée, OCORA, C 559 053 ; plage 7 : Chant de l’épopée chant épique de la harpe cithare mvet, par Akwé Obiang Nkok Esi (Bitam) Woleu Nteum.

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