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Paul Smaїl démystifie l’intégration par l’école républicaine

Magnifique discutent de la question de l’intégration

III.2 Paul Smaїl démystifie l’intégration par l’école républicaine

Et ce fut la rentrée scolaire. Et, au cours de français, je m’assis, évidemment, au premier rang, sous l’estrade, à la table qu’avait occupée, je l’aurais parié, Djamila, l’année d’avant. Et ce fut, Cécile – je veux dire Mme Rénal – et moi,

346 Paul Smaїl, op.cit., p. 18.

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immédiat, irrémédiable, définitif et fulgurant à la fois…Appelons cela de l’amour, oui. Les yeux dans les yeux.348

L’intertexte intervient en force, dans le récit de Paul Smaїl. Cet

intertexte renvoie alors à une double référence : au texte de Begag, Le Gone du

Chaâba, quand l’auteur fait allusion à l’école, et au cours de français. En plus,

au même titre que le petit Azouz, Sid Ali aime se mettre au premier rang en classe. Mais, Paul Smaїl fait aussi référence à l’héroïne de l’écrivain Stendhal « Madame de Rénal », dans Le Rouge et le Noir. Cela laisse penser que l’écrivain postule une forme d’intégration qui peut être culturelle, mais se moque, en quelque sorte, de l’intégration dont use Begag dans Le Gone du

Chaâba en déclarant :

Pourtant, j’avais une réputation à soutenir. J’étais le bouffon de la classe – bouffon non au sens citéen du mot, mais à son sens classique : amuseur. Ou, si vous me passez cet autre néologisme de ma débordante imagination :

divertisseur. Divertisseur en chef, et incontesté, de la classe. Et comme le bouffon du roi, dans une situation un peu fausse et d’autant plus délectable à occuper : comme le bouffon du roi, j’étais dans la nécessité de plaire à sa majesté – en l’occurrence, le professeur – tout en faisant rire populace et courtisant – les élèves – à ses dépens. Rôle périlleux à tenir, mais dont je m’étais jusqu’ici très bien acquitté, je le dis en toute modestie.349

Le protagoniste de Smaїl n’accorde aucune importance à l’école. Mais en même temps, il laisse paraître, dans la classe, son génie, exposant son érudition sur la culture française. Ainsi, se voit-il comme le bouffon du roi, faisant allusion à la France d’antan, la France royale. Mais, ce procédé est loin d’être aussi simple. Le narrateur actualise l’espace de la classe en une sorte de monarchie française, où Mme Rénal serait la reine et lui le bouffon, qui doit la distraire, autrement dit, lui plaire. En d’autres termes, ce passage du récit de Smaїl invite le Beur à plaire à la République française, à intégrer

culturellement ce pays, à connaitre sur le bout des doigts son histoire. Cependant, la dernière phrase de ce passage évoque une certaine ironie, pouvant, encore une fois, faire allusion au protagoniste d’Azouz Begag du Le

348 Ibid., p. 249. 349 Ibid., p. 249.

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Gone du Chaâba : « Rôle périlleux à tenir, mais dont je m’étais jusqu’ici très

bien acquitté, je le dis en toute modestie ».350 Paul Smaїl convie donc le petit Beur d’Azouz à faire preuve de simplicité, sachant que, dans le récit de Begag, le protagoniste crie partout, haut et fort, qu’il a réussit et mieux que les

Français.

Paul Smaїl s’attaque plus loin aux Beurs de banlieue, en se moquant d’eux, faisant allusion à leur culture :

Bouffon, j’étais. Le roi du houl ambiance soirée oranaise sur la plage, autour d’un feu de bois de vieux cageots : bière à gogo, pétards, forma bazooka, rai à donf le ghetto-blaster, Ya rayah ya rayah, vous voyez le genre…Non ! vous ne voyez pas, les bourges du XVIe qui n’avait jamais franchi le Périph pour autre chose que vous rendre dans votre résidence secondaire à Deauville, ou foncer sur Roissy – « Mon avion pour Los Angeles décolle dans moins d’une

heure… » Non non ! vous ne voyez pas, vous n’avez aucune idée de ce qui un bon houl, les contes et comtesses de la Rive gauche, les petits marquis de Neuilly, Auteuil, Passy ! (je suis démago, là ? je chauffe la salle avec de l’effet facile, du populopuliste, du Tati – je parle des magasin, pas du Tati du jour de fête - ? Je suis démago grave ? Ah ouais, je veux. C’est trop bon par où sa passe ! Plus tu leurs dégueules à la gueule, plus ils en redemandent, ces décadents vicieux, ces masos ! Je vais me gêner, tiens ! Au fouet ! enculés !)351

Il s’en prend aux jeunes Beurs et Beurettes de banlieue qui quittent la banlieue pour des fêtes, où la musique arabe, comme le rai, est au menu. L’écriture ironique voire même satirique et insultante de Smaїl laisse voir son mépris de la culture, de la musique arabe, en particulier, algérienne, puisqu’il évoque le rai352.

Son ironie va encore plus loin pour toucher, cette fois-ci, à l’intégration sociale du Beur :

Génial, j’étais, je le savais. Je le voyais à une fugitive lueur complice dans les regards cependant excédés que vous me jetiez, chers professeurs ! Je devinais ce découragement passager, ce brusque accès de détresse…Et puis, que vous vous ressaisissiez dare-dare : Allons ! fermons les yeux une fois encore ! faisons le pour la France, une France pluridimensionnelle ! une France multicolore ! tolérante ! moderne ! allègre et royale à la fois ! Une France ouverte à l’Autre –

350

Ibid., p. 249.

351 Ibid., p. 249-250.

352 Le Rai est une musique qui apparait dans la région de l’oranie en Algérien, et que nous pouvons traduire par « l’Opinion ».

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avec un grand A, l’Autre, ouoh, l’euh Autre ! Allons ! suivons les instructions ministérielles, aidons ces gens-là ! Assumons (un m), n’assommons pas (deux m) ! Pour une fois que nous tenons sous la main le parfait modèle d’intégration culturelle, celui qui peut vous réciter les Stances du Cid en entier, nous n’allons le briser, nous allons le placer sous vitrine, le chérubin, et l’épousseter au plumeau des compliments et des satisfécits : « Bien, Sid Ali ! On voit que tu ne perds pas ton temps collé devant la télé, toi, ou à zoner dans les galléries marchandes, ou à fumer du cannabis et à te saouler à la bière dans les caves de ta cité avec tes potes, toi ! tu lis, toi, Sid Ali ! »353

Le narrateur est, en quelque sorte, contre l’intégration du Beur. Toute cette écriture ironique, toute cette satire à l’encontre de la culture du Beur, n’est en fait qu’un argument anti-intégrationniste. Pour être exact, il refuse pertinemment à ce qu’on intègre des Beurs, qui restent rattachés à leur culture, à leur musique orientale et maghrébine, des Beurs qui ne reconnaissent

nullement les valeurs de la République, son histoire, ses principes, sa culture. Aussi, dans cet extrait ironique, Paul Smaїl refuse d’intégrer le Beur pour sa connaissance de la culture française, en l’occurrence, la littérature française. Il propose, cependant, une autre forme d’intégration. Il invite le Beur à faire preuve d’intégrité, à tenir un comportement décent devant sa société, à ne pas rester oisif à ne rien faire, à prendre vacance de la délinquance et, enfin, à ne plus constituer de groupes distincts de la majorité sociale. En d’autres termes, sortir du ghetto et prendre part à la société culturelle Française.

Dans d’autres passages, également ironiques, Paul Smaїl somme le Beur à ne plus se cacher derrière les clichés sociaux afin de justifier son échec d’intégration :

Ah ! et puis des biscuits achetés aux Franprix, là où Zidane adore nous faire gagner, ou à l’épicerie du père de Djamila, c’est un peu plus cher, mais ils sont très gentils, ces gens-là, très serviables, ouvert jusqu’à onze heures et demie, minuit, les deux filles, bien élevées, parfaites, j’ai eu l’ainée l’année dernière, un rêve ! elle ira loin, j’en suis sûre. Quand le racisme ambiant ne les brise pas, ces jeunes-là, ils vont plus loin et plus haut que leurs petits camarades nés « de

353 Paul Smaїl, op.cit., p. 250.