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Chapitre I Le roman beur est-il un roman de formation et d’apprentissage ? d’apprentissage ?

II.4 La famille arabe et les stéréotypes

L'assistant social exprime son étonnement vis-à-vis de la famille de Doria qui n'a qu'un seul enfant : « Une fois, il a dit à ma mère qu'en dix ans de

métier, c'était la première fois qu'il voyait des gens comme nous avec seulement un enfant par famille. Il ne l'a pas dit mais il devait penser “ Arabe ”»135

.La famille arabe est réputée pour être une famille nombreuse, un

stéréotype qui a circulé un peu partout dans le monde entier. Effectivement, les pays arabes sont des nations de jeunes. Cela peut avoir deux explications : d'une part, le monde arabe appartient au Tiers-Monde où la culture d'espacement entre les naissances n'est pas encore bien prise en charge. D'autre part, ce comportement s'explique par l'exhortation de la religion islamique des musulmans à avoir beaucoup d'enfants. Le constat que fait l’assistant social fait que nous décelons chez la famille de Doria une sorte de rapprochement de la culture française voire européenne. En d’autres termes, le postulat veut que la narratrice, à travers le constat de l’assistant social, pense que le modèle

133 Ibid., p. 69.

134 Ibid., p. 192.

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familial, dans lequel Doria vit, est tout proche du modèle familial des Français de souche, sachant que les familles d’origine française ne sont guère partisanes des familles dites nombreuses. Le stéréotype a donc influencé les représentations de l'assistant social et a agi sur sa réaction. L'étonnement ne coïncide pas entre ses représentations et la réalité rencontrée. Autrement dit, son univers d'attente n'a pas été comblé. Ces stéréotypes du comportement social masquent la réalité qui peut être toute autre. Dans ce contexte, le stéréotype est défini : « Comme ce qui permet de naturaliser le discours, de

masquer le culturel sous l'évident, c'est-à-dire le naturel »136. Hamoudi, quant

à lui, finit par être embauché en qualité d’agent de sécurité. Cela ne lui plait pas beaucoup, mais c’est déjà un pas pour une personne qui ne justifie d’aucune qualification. Le travail serait alors un moyen de s’autonomiser et de se libérer du joug de la tradition.

Notons, par ailleurs, que, dans les familles déstructurées par la migration ou le chômage, les adultes éprouvent plus de difficultés que d'autres à affirmer leur autorité à l'égard de leurs enfants, à leur proposer un avenir où ils puissent se projeter. La situation est plus compliquée quand il y a absence de l’autorité paternelle. Ainsi, dés les premières pages de son roman, notre héroïne déplore l’absence de son père. Elle raconte avec beaucoup de douleur la façon dont son père les a laissées, sa mère et elle :

Je crois que je suis comme ça depuis que mon père est parti. Il est parti loin. Il est retourné au Maroc épouser une autre femme surement plus jeune et plus féconde que ma mère. Apres moi, ma mère n’a plus réussi à avoir d’enfant.137

Le père a abandonné la mère et sa fille et toutes les deux sont aidées par l'assistante sociale. C’est ainsi que les thèmes de la mère abandonnée, du père qui démissionne de son rôle, son irresponsabilité à l’égard de ses enfants, sont d’autres clichés inhérents à la famille d’immigrés et au roman beur. Dans le roman beur, nous remarquons que le père joue un rôle très important dans l’équilibre de l’enfant. Son absence peut entraîner un déséquilibre énorme dans

136 Patrick Charaudeau et Dominique Maingueneau, Dictionnaire d'Analyse du discours, Paris, le Seuil, 2002, p. 547.

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le parcours du jeune enfant beur. D’ailleurs notre personnage le dit en justifiant pourquoi le lycée l’a envoyée consulter Mme Burleau, une psychologue. Tout simplement, parce que les professeurs pensent que Doria est très refermée sur elle-même : « Je crois que je suis comme ça depuis que mon père est parti.138 En essayant de justifier son attitude à la psychologue, la protagoniste ne fait qu’affirmer ce que l’on pense d’elle. Toutefois, en utilisant le verbe « croire », la narratrice montre aussi qu’elle n’est pas tout à fait sûre que ce soit le père qui est à l’origine de ses blocages, ce qui n’exclut pas bien entendu le fait qu’elle soit déséquilibrée par sa faute.

Dans la citation qui suit, un autre paramètre apparait, justifiant l’absence du père : «…papa, il voulait un fils. Pour sa fierté, son nom, l’honneur de la famille et je suppose encore plein d’autres raisons stupides ».139 Il faut savoir aussi que le fils est perçu dans les familles arabo-musulmanes comme sacré. Il est à la fois le gardien et le transmetteur de la culture arabo-musulmane et aussi l’héritier par excellence du nom du père.

Dans le roman de Faїza Guène, l’autorité du père est remplacée par celle de la mère. Mais pour Doria, Yasmina sa mère n’est présente que physiquement : « Elle est encore plus loin que mon père ».140Doria tient à marquer son roman par la souffrance de sa mère Yasmina. Une mère presque aliénée par la double perte, le pays d’origine et le mari parti ailleurs refaire sa vie. L’absence du père fait naître chez notre jeune narratrice l’esprit féministe : « Les femmes, parce qu’elles sont plus combatives et ont conscience de ce qu’elles vivent, sont plus lucides et à même de trouver des solutions ».141

La jeune narratrice, à travers cette citation, exalte son dévouement au combat féministe. Elle octroie une image positive à la femme en général, puisqu’elle emploie, cette fois-ci dans sa citation, le substantif « les femmes » et non pas « la femme », qui pourrait ne désigner que la narratrice elle-même ou sa mère. Consciente de son intransigeance à certain niveau envers l'homme, la femme prône pour la révolte. L’image de la femme en lutte perpétuelle submerge

138

Ibid., p. 9.

139 Ibid., p.10.

140 Ibid., p. 11.

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donc, le décor du roman de Faїza Guène. Ce qui peut être un hommage à la femme mais aussi, une sorte de quête d’autonomie et d’émancipation de la femme envers son oppresseur.

II.5 « Le déjà dit » sur les lieux problématiques : la jeunesse des «