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Paul Smail poursuit ses jeux de mots :

III.5 Le Gone du Chaâba entre Ironie et autodérision

L’écriture azouzienne est connue pour exceller en matière d’ironie. Nous le constatons d’ailleurs dans le roman que nous étudions Le

Gone du Chaâba :

Après une investigation minutieuse, lorsque tous les cartons et les boîtes ont été violés, je décide de rentrer au campement. Afin de rapporter les trésors dans ma caverne, j'attache un bout de ficelle à une cagette, y enfouis pêle-mêle livres, assiettes, jouets et chiffons, et la traîne derrière moi sur le chemin caillouteux. Les autres m'imitent, et nous formons bientôt un véritable cortège de pâtis, provoquant sur nos

245 Ibid., p. 196. 246 Ibid., p. 196.

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pas un formidable nuage de poussière.247

Begag utilise un certain nombre de mots qui laisseraient entendre une certaine ironie de sa part. Nous avons comme l’impression qu’il se tourne en dérision. Il parle, tout d’abord, d’ « investigation », de « campement », des termes qui renverraient directement à un jargon bien particulier, comme celui qu’on utilise à l’armée par exemple. Mais le fait que ces termes soient utilisés en parlant de la fouille des amas de déchets ménagers, cela laisserait croire que l’auteur tourne en dérision son personnage, en l’occurrence lui-même, puisqu’il s’agit d’un roman autobiographique. En revanche, ces termes dénotent un certain ordre de la part des enfants du Chaâba, une équipe bien ordonnée et structurée, en somme un groupe soudé. Mais dans cet extrait, l’auteur utilise aussi une expression assez parlante « Afin de rapporter les trésors dans ma caverne », une expression très ironique, puisqu’il nomme ce qu’il a ramassé dans les déchets publics de « trésor ». Mais cela est aussi un renvoi au film « Ali Baba et les quarante voleurs », ce qui nous laisserait dire que l’ironie et l’autodérision de l’auteur se fait à travers le renvoi à ce célèbre film. Voilà une autre citation où Begag confirme ce que nous venons de dire : « Nous longeons les cages pour déboucher sur l'entrée de la maison. Alors, nous foulons la caverne de Louisa Baba ».248 L’auteur insiste sur son allusion au film en déclarant : « La Louise nous installe autour d'une table au milieu de la pièce, malheureusement trop petite pour accueillir la quarantaine de gones qui meurent d'envie de visiter le château ».249 Voilà que le nombre « quarante » apparait, « la quarantaine », un nombre qui vient brouiller le nombre exact des enfants présents lors de la fouille, et qui renvoie en même temps aux « quarante voleurs » du film. Mais la question que nous nous posons : pourquoi une telle accentuation sur cette allusion au film ? La logique veut que nous nous intéressions, non pas à ce qui a été dit ou évoqué comme vocables, à savoir les mots « trésor, caverne, quarantaine et Louisa Baba », mais à ce qui n’a pas été dit, c'est-à-dire sous-entendu, en l’occurrence le mot « voleur » du titre du film. L’insistance de l’auteur

247 Azouz Begag, op.cit., p. 38.

248 Ibid., p. 42.

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sur ce renvoi voudrait dire, à notre sens, que le personnage Azouz ressentirait, tout de même, une certaine culpabilité par rapport à ce qu’il fait, tout d’abord, et ce que font tous les enfants du Chaâba. Il ressent cela comme du « vol », puisque, dans l’une des citations précédentes, il déclare que « les cartons et les boites ont été violées »250, une expression qui montre que le petit Azouz est bien conscient de la gravité de la situation.

Mais le discours ironique begaguien ne s’arrête pas là. Il va même jusqu’à ironiser, cette fois-ci, sur les aides sociales octroyées par la France, insinuant ironiquement l’insuffisance de ces aides destinées aux familles démunies :

Son mari, c'est M. Gu. Lorsqu'il ne travaille pas, il s’occupe dans son jardin. Taciturne, chauve, effacé, toujours pâlot, les yeux globuleux, il est souvent Il perplexe devant les excentricités de sa femme. Il n'a jamais pu faire d'enfants à la louise, mais, au Chaâba, ils ont trouvé de quoi faire une famille milliardaire en allocations familiales.251

L’ironie se lit même sur le plan dialogique, comme c’est le cas de la discussion qui se tient entre les deux personnages du roman, à savoir La Louise et Rabah le frère d’Azouz :

Elle rejoint Rabah. Avec peine, il enfouit un moteur de Solex dans un cageot déjà débordant d'objets les plus hétéroclites. Frappant sa botte de sa baguette, elle le harcèle.

- Je suppose que tu as oublié de venir me chercher ? Je sais, je sais : quand un camion arrive, on est pressé, on n'a pas le temps d'aller prévenir la Louise.252

Cet extrait souligne l’importance de l’ironie dans l’écriture begaguienne, en ce sens qu’il montre que ce procédé n’est pas seulement propre au discours du personnage Azouz, mais aussi à tous les personnages du roman.

Ce passage, que nous avons déjà évoqué auparavant, recèle en lui un procédé ironique de la part du personnage Azouz :

250 Ibid., p. 38.

251 Ibid., p. 39.

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« Arrêtez de pleurer, monsieur Grand, ce n'est pas pour gagner ma vie que je vais vendre mes bouquets au marché, mais surtout pour fiche la paix à ma mère. Et puis je me marre bien quand je vois les Français dépenser leur argent pour acheter des fleurs que la nature leur offre à volonté. » Mais je me garde bien de changer l'image que le maître a désormais de moi : un garçon courageux, plein de bonne volonté. En somme, un enfant bien conforme à la morale.253

Le fait que son maître l’ait surpris en train de vendre des fleurs au marché, met mal à l’aise non pas Azouz, mais le petit élève exemplaire qui fait tout à fait le contraire de ce qu’il apprend à l’école, notamment chez son maître. « L’enfant bien conforme à la morale » est tout à fait le contraire de ce qu’Azouz pense, puisqu’il a failli à sa mission d’être à la hauteur de la morale du maître.