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Magnifique discutent de la question de l’intégration

II.5 Le droit au vote contesté

Dans son ouvrage, Dominique Schnapper parle des dispositions prises par le gouvernement français quant à la scolarisation des enfants d’immigrés. C’est l’école qui doit apprendre aux personnes issues de l’immigration les règles

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Roselyne de Villanova, Marie-Antoinette Hilly et Gabrielle Varro, Construire l’Interculturel ? De la notion aux pratiques. L’Harmattan, 2001, p. 8.

339 Faiza Guène, Du rêve pour les oufs, op. cit., p. 23.

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sociales et les tâches qu’elles doivent accomplir pour être intégrées. Il est à souligner aussi que l’école est le moyen par lequel l’Etat communique avec les enfants issus de l’immigration. Ainsi, le roman de Faїza Guène soulève-t-il un point très important lié aux cours administrés en Education Civique, le vote. Notre personnage philosophe sur la question du vote. Son ami Nabil pense qu’un garçon de la cité, qui ne va plus à l’école, qui n’arrive pas à trouver de travail et qui a des parents chômeurs, doit s’occuper d’autre chose que d’aller voter. C’est une manière pour l’auteure de dire qu’il y a bien plus important pour le gouvernement à faire que d’obliger des gens à aller voter. En d’autres termes, elle se demande pourquoi aller voter pour des personnes qui ne se préoccupent jamais des problèmes dont souffrent certaines personnes, en l’occurrence les Beurs.

Nous terminerons par dire que, dans le roman Kiffe kiffe demain de Faїza Guène, nous découvrons une narratrice engagée dans la lutte contre l’inégalité des sexes. La maltraitance de son père vis-à-vis de sa mère et d’elle-même, les conditions dans lesquelles vivent les femmes maghrébines en banlieue, la maltraitance de la jeune fille Samra par les hommes de sa famille, l’injustice à l’égard des femmes maghrébines au travail, nous informent sur les conditions difficiles, dans lesquelles vivent les Beurettes. Ainsi, Faїza Guène essaie de venir en aide aux Beurettes qui subissent, sans nul doute, le même traitement que Doria dans le roman. Elle propose différentes stratégies, afin que ces jeunes Beurettes puissent échapper à la marginalisation, d’une part, de leur famille essentiellement faites d’hommes intolérants, et, d’autre part, de la société d’accueil qui n’arrive pas à comprendre leur culture.

L’intégration prend, par ailleurs, un sens large dans le deuxième roman de Guène :

Bref, ce stade se trouve au pied de ce qu'on appelle ici « la Colline », une sorte de grande butte qui surplombe tout le quartier. Je me poste à cet endroit stratégique et là, une vue extraordinaire m'est offerte. Des lumières me parviennent de tous les côtés et je trouve ça beau.

Je suis entourée par tous ces immeubles aux aspects loufoques qui renferment nos bruits et nos odeurs, notre vie d'ici. Je me tiens là, seule, au milieu de leur architecture excentrique, de leurs couleurs criardes, de leurs formes

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l'eau courante et l'électricité suffisaient à camoufler les injustices, ils sont loin maintenant les bidonvilles. Je suis digne et debout et je pense à tout un tas de choses. Les événements qu'il y a eu par chez nous ces dernières semaines ont agité la presse du monde entier et après quelques affrontements jeunespolice, tout s'est calmé à nouveau. Mais qu'est-ce que nos trois carcasses de caisses calcinées peuvent changer quand une armée de forcenés cherchent à nous faire taire ?

Le seul couvre-feu valable est celui que moi, citoyenne non française, j'impose ce soir à mon petit frère de quinze ans.341

La position de la narratrice, dans cette précédente citation, laisse entendre une certaine élévation sociale, qui lui permet de voir plus clair au sujet des conditions difficiles dans lesquelles vivent les Beurs en banlieue. Il s’agit pour notre narratrice de porter un regard plus au moins objectif sur la banlieue, tout en étant retirée. Autrement dit, la narratrice prend la peine de se retirer pour voir plus clair. Toutefois, elle ne s’empêche pas de faire allusion à notre premier roman, Le Gone du Chaâba, en évoquant les « bidonvilles ». Autrement dit, la narratrice dénonce l’inégalité sociale et l’injustice dans lesquelles les Beurs sont enfermés. L’accès au logement et aux commodités ne témoignent plus de l’égalité sociale. Ainsi, « l’architecture excentrique », pour reprendre les termes de la narratrice, vient dénoncer l’exclusion du Beur et sa marginalisation, ce qui fait que la narratrice ne se considère pas comme une citoyenne française.

En outre, voici un extrait où l’on constate la difficulté de la scolarisation en banlieue :

Quand je suis arrivée sur cette terre de froid et de mépris, j'étais une petite fille enthousiaste et polie, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je suis devenue une vraie teigne. J'ai vite laissé tomber mes bons vieux réflexes, le truc de se lever pour s'adresser au professeur par exemple. Les premières fois que je l'ai fait ici, les autres élèves ont éclaté de rire. Je suis devenue toute rouge et eux disaient tous en chœur : « Lèche-cul du prof ! »

J'ai très vite compris qu'il fallait que je m'impose et c'est ce que j'ai fait. Depuis, j'ai pas mal progressé. Comme dirait l'autre, je suis devenue un parfait modèle d'intégration.342

L’époque du Gone du Chaâba et de l’intégration par l’école républicaine semble être révolue. Ce passage du roman de Faiza Guène illustre la triste réalité de la décadence de l’école républicaine, qui ne sait plus intégrer les

341 Ibid., p. 29-30.

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Beurs et les immigrés. Sauf que notre narratrice ne se laisse pas influencer par les autres Beurs de sa classe et opte pour la progression. Toutefois, nous ressentons cela comme une ironie à l’égard de l’intégration azouzienne, devenue mythique.Autrement dit, l’instruction n’aide plus à s’intégrer et l’intégration par l’école tombe vite en désuétude.

L’intégration est aussi une affaire de régularisation de papiers pour notre narratrice :

Presque française. Il ne manque à la panoplie que ce stupide bout de papier bleu ciel plastifié et tamponné avec amour et bon goût, la fameuse french touch. Cette petite chose me donnerait droit à tout et me dispenserait de me lever à 3 heures du matin chaque trimestre pour aller faire la queue devant la préfecture, dans le froid, pour obtenir un énième renouvellement de séjour.

D'un autre côté, on peut rencontrer des gens intéressants dans ces longues files d'attente. La dernière fois, j'ai discuté avec un type de je ne sais plus quel pays de l'Est. Tonislav, il s'appelle. Il m'a proposé des jeans Diesel qu'il avait en bizness pour la moitié du prix en magasin. On a passé un peu le temps en faisant la queue ensemble, et plus je le regardais, plus je le trouvais mignon dans son vieux Perfecto ... Mais bon, ce serait con, tant qu'à fricoter avec un mec, autant qu'il ait ses papiers. J'en ai marre d'être une étrangère.343

La régularisation des papiers est un grand pas vers l’intégration. La narratrice dénonce les difficultés à obtenir la nationalité française, en même temps qu’elle annonce que cette procédure ne concerne pas seulement les Beurs, mais tous les immigrés en situation irrégulière vis-à-vis de la

nationalité. En revanche, Ahlem ne manque de dénoncer le traitement infligé à leur encontre :

J'ai fait quelques rencontres sympathiques, mais on ne peut pas dire que tous les jours c'est la grosse ambiance devant la préfecture. En général, des flics nous gèrent comme si nous étions des animaux. Les connasses, derrière cette putain de vitre qui les maintient loin de nos réalités, nous parlent comme à des demeurés, bien souvent sans même nous regarder dans les yeux.

Dernièrement, un vieil homme, un Malien je crois, a laissé passer son tour parce qu'il n'a pas reconnu son nom. La bonne femme l'a appelé, M. Wakeri, une fois, deux fois, puis trois fois avant qu'elle ne passe sans scrupule à la personne suivante. Lui était là depuis l'aube à attendre, et son nom, c'était M. Bakari, c'est pour ça qu'il ne s'était pas levé. Une personne lui a dit en

bambara qu'on l'avait certainement déjà appelé ; elle a essayé de négocier son

343 Ibid., p. 46-47.

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passage au guichet car lui-même parlait très peu le français.344

La narratrice ne dénonce pas seulement les conditions dans lesquelles vivent les sans papiers en France, mais aussi le comportement de supériorité qu’adoptent certains agents de la préfecture chargés de recevoir ces

personnes. Se dresse l’image négative du dominant/dominé. C’est donc du regard de l’autre dont il s’agit dans cet extrait. Comment l’autre, étranger, est-il perçu par la société française ? Mais comment aussi l’étranger/immigré regarde et perçoit la société d’accueil ?

La question du retour au pays d’origine est sans cesse acclamée par les immigrés dans le roman beur :

Quant au Slimane en question, l'ancien patron, il a succombé à un cancer il y a quelques mois à peine d'après les dires du vieux bonhomme, et ses enfants auraient décidé de l'enterrer au bled car cela avait toujours été la volonté de leur père. J'ai remué dans leur esprit quelque chose de très délicat parce que les deux vieux se sont lancés dans un grand dialogue nostalgique. « Slimane, que Dieu ait son âme, miskine. Tu vois, mon frère, ce qui nous attend nous aussi, nous finirons pareil ... Après avoir travaillé ici toute notre vie comme des chiens errants, on nous expédiera là-bas morts, entre les quatre planches de bois d'un cercueil.

- Ne parle pas de malheur, Dieu pourvoira et c'est tout, tu sais bien que nous ne décidons de rien.

- Je le sais, mon frère. Mon seul rêve était de retourner chez moi. Chaque année, je disais : l'année prochaine ; ensuite, je disais : quand je serai à la retraite ; et puis je retardais encore en disant : quand les enfants seront grands. Maintenant, ils sont grands, grâce à Dieu, mais ils ne veulent pas me suivre. Ils disent qu'ils sont français et que leur vie est ici.345

La nostalgie du pays d’origine est omniprésente chez les immigrés de la première génération. Ce texte les décrit comme perdus, ne sachant quoi faire de leur vie, et de celle de leurs enfants qui refusent de

retourner dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Si l’immigré éprouve de la nostalgie, ces enfants, eux, sont Français et ne connaissent ce pays, pas natal, qu’à travers leurs parents. L’image de l’immigré que donne ce texte est assez mélancolique. Le fait de ne plus pouvoir revenir au pays se vit comme un second écartèlement chez l’immigré. Il se retrouve dans une situation assez délicate, celle de renoncer au pays d’accueil et

retourner aux sources, mais cela stipule laisser ses enfants derrière lui,

344 Ibid., p. 47-48.

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puisqu’ils sont Français.

A travers notre lecture du roman, nous relevons que l’intégration, pour notre auteure féministe, est une affaire d’égalité. Cependant, nous constatons que l’écrivaine Faїza Guène évoque beaucoup la question du mariage. A défaut de se battre pour l’égalité des sexes et des chances, les Beurettes se réfugient dans le mariage. Le mariage est une solution pour la plupart des Beurettes qui n’arrivent pas à s’imposer socialement. Dans le roman sont soulignés le mariage d’Aziz l’épicier, le mariage de Samra, celui de Lila avec le breton. Le mariage est même invoqué, lorsque Doria se rend au Maroc avec sa mère. Ce qui nous laisse penser et affirmer que ce qui intéresse Faїza Guène

premièrement, en tant que femme issue de l’immigration et en tant qu’écrivaine Beure, ce n’est pas l’intégration, mais son épanouissement social par le

mariage. Elle est également intéressée par l’émancipation de la femme et la reconnaissance des droits de la femme dans la société musulmane (au foyer). Cela dit, le mariage et l’émancipation de la femme en France semblent être une excellente solution à l’intégration des femmes issue de l’immigration en

France. C’est ainsi que notre auteure voit la question de l’intégration. L’intégration chez la Beure ne saurait exister sans la liberté et sans émancipation.

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Chapitre III : L’écriture Smaїlienne, l’illusion d’une intégration

Notre troisième roman, Ali le Magnifique, nous confronte à un auteur hors du commun, qui se fait passer pour un Beur de banlieue, alors qu’il n’est ni arabe, ni d’origine arabe, mais Français d’origine. Comme nous l’avons déjà énoncé auparavant, l’écrivain a pastiché le roman beur dans le but d’orienter le lecteur sur d’autres possibilités d’intégration, différentes de celles de Begag et de Guène. Ce que nous avons pu remarquer, dans Ali le Magnifique, c’est que le narrateur est souvent révolté contre sa culture d’origine et son pays

d’accueil. A cet effet, avons-nous pensé à l’existence d’une éventuelle relation entre le fait de critiquer violemment la culture d’origine du Beur et

l’intégration. Voyons, de plus près, ce que Paul Smaїl nous propose comme modèle d’intégration.