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Exploitation et/ou rejet de la femme dans Kiffe kiffe demain Le deuxième roman retenu pour notre recherche est Kiffe kiffe demain de

Chapitre I Le roman beur est-il un roman de formation et d’apprentissage ? d’apprentissage ?

I.2 Les caractéristiques du roman de formation

I.2.1 L’écriture du déplacement et de l’errance dans Le Gone du

1.2.2 Exploitation et/ou rejet de la femme dans Kiffe kiffe demain Le deuxième roman retenu pour notre recherche est Kiffe kiffe demain de

Faїza Guène. Le choix de ce roman n’est pas anodin ; ayant comme protagoniste un sujet féminin, il permet d’extraire une spécificité féminine beure. Cette spécificité dont nous parlons est indissociable de la thématique de l’émancipation de la femme maghrébine, dans la société française. Nous posons la question suivante : comment Guène use-t-elle de l’écriture pour défendre la libération de la femme maghrébine des stéréotypes socioculturels dont elle est prisonnière, pour s’intégrer dans la société d’accueil ? Nous tenterons de savoir comment les écrivaines beures racontent la vie des jeunes beurettes en banlieue. Leurs vies sont-elles différentes de celles des

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hommes (Beurs) ? Comment les Beures appréhendent-elles la vie en banlieue ? Quelle évolution prend le roman de Faїza Guène par rapport au

Bildungsroman ?

Il faut savoir que les romans de Faiza Guène se situent dans la lignée des romans conçus par les horizons d’attentes. Ainsi, la narratrice, dans son deuxième roman dont nous relevons quelques passages intéressants pour notre travail dresse tout un portrait sur ce phénomène d’écriture/horizon d’attente. Ce texte de Faiza Guène que nous allons analyser illustre parfaitement notre hypothèse de départ, qui propose que le texte littéraire ou le roman beur est une question d’attentes du lecteur :

La serveuse sympathique, qui se fait appeler Josiane, m'a apporté mon café serré avec le genre de sourire qui donne envie de revenir même si le petit noir est dégueulasse. Curieuse, elle m'a demandé ce que je pouvais bien écrire avec cet air si concentré. Alors je me suis inventé toute une vie, je me suis imaginé être quelqu'un d'important, pour voir ce que ça faisait dans les yeux d'une personne que je ne connaissais pas. Je voulais simplement savoir ce que ça procurait comme sentiment d'intriguer les autres et j'ai décidé que Josiane serait mon cobaye dans cet exercice idiot.

« Tu fais tes devoirs ? - Ah non pas du tout ...

- Ah bon. Alors qu'est-ce que t'écris comme ça ?

- J'écris des nouvelles qui sont publiées chaque semaine dans un magazine. - Vraiment ? C'est bien, ça ... Et c'est quel genre de nouvelles ? Des nouvelles d'amour ? Des histoires de crimes passionnels ? Parce que moi, c'est ce que j'adore lire, je connais tous les bouquins de Pierre Bellemare quasiment par cœur ...58

Ce passage se lirait dans le contexte de notre travail comme une allusion au récit de Paul Smail, où l’auteur s’invente toute une vie, et parle à travers la voix d’un être de fiction. En effet, la narratrice pose d’emblée, à travers cette citation, la problématique de l’écriture et du lecteur considéré comme cobaye. L’attente du lecteur serait donc conditionnée par les récits tragiques surtout :

Et puis aussi, tous les mercredis, j'achète le Détective, je sais pas si tu connais, c'est plein d'histoires sordides, d'assassinats, de viols, de gosses enfermés dans des placards. Si tu veux y jeter un coup d’œil, il y a les dix derniers numéros

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posés sur le bar. Mon boss voudrait que je les enlève de là parce qu'il dit que ça pourrait donner de mauvaises idées à notre clientèle, mais les gens les demandent, ils aiment bien. Et comme je dis, ceux qu'on trouve accoudés au bar ici, bien souvent c'est ceux qu'ont pas grand-chose à dire, alors ça leur donne des sujets pour bavarder. T'es pas d'accord ?59

Le lecteur semble donc attiré par les thématiques stéréotypées, telles que les histoires d’amour, d’assassinat, des thématiques qui ont la particularité d’être, non seulement à la portée de tout le monde, mais surtout ce sont des histoires qui ont l’avantage d’être collectives, voire universelles. Le roman beur, par contre, s’attaque à des thématiques assez particulières, qui ne sont guère partagées par tout le monde :

- Si, si, vous avez sûrement raison ...

- Oh mais tu peux me tutoyer et m'appeler Josiane ! Je m'appelle Josiane Vittani et je travaille ici depuis au moins dix ans. Moi, tout le monde me connaît dans le coin !

- Moi c'est Stéphanie Jacquet, mais je signe tous mes articles Jacqueline Stéphanet, c'est pour garder l'anonymat.

- Ravie, Stéphanie, dit-elle en me tendant sa main pleine de bagues. - Enchantée, Josiane !

- Alors si c'est ni des nouvelles d'amour, ni des nouvelles de crimes, c'est quoi ? - C'est plutôt des nouvelles sociales, je dirais.

Des histoires de gens qui galèrent parfois parce que la société ne leur a pas donné le choix, qui essaient de s'en sortir et de connaître un peu le bonheur. - Et ça intéresse les gens, ça ? »

Bonne question, Josiane. Je l'espère, au fond, mais j'aurais quand même dû te raconter que j'écrivais des histoires d'amour, d'osmose et de trahisons.60

La narratrice s’invente un pseudonyme d’écriture afin de tromper sa première lectrice naïve, on va dire, qu’est la serveuse du bar. Et dans la question de la serveuse au sujet de l’objet d’écriture de la narratrice, se dégage tout une problématique, celle de savoir si le roman social, pour reprendre le terme de la narratrice, vaut la peine d’être écrit ou pas, sous peine de créer un désintéressement chez le lecteur. Autrement dit, la narratrice pose directement la question de l’écriture beure et de son impact sur la réception critique. Pour

59 Ibid., p. 84-85.

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qui écrit-on un roman beur ? Est-il nécessaire d’écrire un roman beur ? À ce moment-là, que doit-on écrire dans un roman beur ? Ce sont toutes des questions qui amènent à penser l’émergence d’un roman codifié, répondant préalablement au goût du lecteur, ses attentes, et par son caractère social peu commun. De par ce caractère social qui le réduit, le roman beur n’a de choix que de reposer sur une écriture stéréotypée, répétée, qui devient de plus en pus obsolète chez le lecteur.

Kiffe kiffe demain est l’histoire de Doria, une petite fille de banlieue,

abandonnée par son père, qui nous raconte avec beaucoup de douleur comment elle arrive à sortir des situations les plus délicates dans lesquelles elle se retrouve involontairement :

Lorsque le noyau familial éclate, il ne peut plus se reconstruire, l'équilibre est brisé. Bien souvent, on oublie que certains problèmes, comme la délinquance juvénile, à l'heure ou l'on prêche une « impunité zéro », proviennent d'abord du noyau familial qu'il n'est pas facile de préserver dans certains milieux, en particulier pour les mères isolées.61

Elle se lance dans une aventure de l’écriture de soi en rapport avec l’Autre. Notre écrivaine privilégie l’autofiction comme moyen d’expression pour nous représenter les modes de formation voire d’éducation de la minorité en général (issue de l’immigration) et de la femme beure en particulier. Dit autrement, ce genre d’écriture qu’est l’autofiction essaie de tracer le portrait et la figure de l’ « intranger »62

, terme de Driss Chraïbi. L’examen attentif de l’œuvre de Faїza Guène nous amène globalement à l’inscrire dans un espace autofictionnel. Cette autofiction beure nous raconte comment une jeune femme arrive à s’en sortir au milieu d’une banlieue où règnent violence et discrimination de la femme maghrébine. Comment notre jeune protagoniste appréhende-t-elle sa condition de femme dans ce roman de formation ? Il faut croire que les générations ont changé et que le Beur a changé, lui aussi. Faїza Guène n’appartient pas à la génération de Begag et, de ce fait, même les

61 http://revepourlesoufs.skyrock.com/, consulté en juin 2010.

62 Stéphanie Delayre, Driss Chraïbi, une écriture de traverse, Presses universitaires de Bordeaux, 2006, p. 237.

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stratégies d’intégration ont changé. Selon Begag, l’école républicaine française reste l’unique moyen de s’intégrer. Dans kiffe kiffe demain de Faїza Guène, l’école n’arrive plus à maintenir ce lien d’apprentissage qui existait au temps de Begag. L’insécurité, par exemple, y règne et les Beurs échouent de plus en plus dans leurs études. Mais pour Faїza Guène, il existe d’autres moyens de s’intégrer et de réussir. Notons que dans le premier roman, Le Gone du

Chaâba, la femme n’est présente, pratiquement, qu’à l’intérieur du foyer.

Même en classe, l’auteur se focalisait uniquement sur les garçons et les hommes. Dans Kiffe kiffe demain, l’auteure accorde la priorité aux femmes, même si les hommes font partie du décor romanesque. Nous assistons alors au récit de l’ascension sociale de la femme beure dans la société d’accueil.