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Paul Smail poursuit ses jeux de mots :

III.6 La figure de l’ironie dans l’écriture smailienne

Le roman de Smail ne peut passer à coté de l’ironie qui est un grand trait de l’écriture beure, selon l’analyse que nous avons faite des autres romans du corpus :

[…] heureux de clamer dans le micro que leur tendait avec tant de condescendance le reporter, que, euh ouais ! ils étaient fiers de se montrer solidaires, fiers de prouver, en direct, live, qu'ils avaient bon cœur, qu'ils n'étaient pas ce qu'on disait d'eux ! nahan, pas des casseurs ! pas des caillasseurs ! pas de la racaille ! nahan, mais qu'ils savaient positiver, eux aussi !254

Paul Smail se moque bien du Beur dans la précédente citation. L’ironie mordante voire satirique ne passe pas inaperçue. La phrase, « nahan, pas des casseurs ! pas des caillasseurs ! pas de la racaille ! nahan, mais qu'ils savaient positiver, eux aussi », donne tout lieu de croire que l’auteur pense tout à fait le contraire de ce qu’il dit. Smail s’en prend également à l’identité du Beur :

Pour l'Etat, qui, lorsqu'ils sont revenus en train, le 31 décembre, dans

253 Ibid., p. 73.

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l'intention de réveillonner comme tout monde, et de célébrer dignement l'entrée dans le nouveau millénaire à Paris, leur a envoyé les keufs, gare Montparnasse ! Les encadrer étroitement, solidement : ils ont besoin d’un bon encadrement, ces ados des banlieues sensibles ! De fait, pour leur barrer l'accès au métro et vérifier leurs cartes d’identité à ces bons jeunes Français à l'esprit citoyen ! solidaires de la nation en ces heures difficiles ! dignes de comparaison avec les poilus qui, dans la boue fétide et froide des tranchées, s’étaient sacrifiés pour la France ! nouveaux soldats de l'an II ! si courageux ! si responsables ! sauvables, donc ! Rédimables ! et qui se voulaient, les potes, français comme tous les autres jeunes Français.255

Il s’agit dans cet extrait d’une ironie sur l’intégration des jeunes Beurs. Pour être plus exact, l’auteur mets le doigt sur les problèmes d’identités et les inégalités qui existent dans la société française. Cela dit, Smail se moque du comportement répressif, qu’il juge absurde, et dénonce le mépris de l’Etat français à l’égard de ces jeunes Beurs qu’il ne considère comme Français. L’auteur conforte ses pensées par la déclaration suivante :

Et à eux, les beurs des quartiers sensibles, on ne leur changeait même pas leurs combinaisons protectrices tous les jours, sur les plages en Bretagne. Souvent, le matin, ils devaient remettre celle de la veille, visqueuse, nauséabonde, toute souillée de fioul Total ! Et les gants en caoutchouc qu'on leur avait fournis étaient des gants de ménage ordinaires, pas de ces gants en néoprène épais obligatoires pour tous les ouvriers du pétrole et de ses dérivés, qui sont des cancérigènes : le beur à l'esprit citoyen, le beur intégré, le bon beur, peut bien crever du cancer !256

++

La négligence de l’Etat vis-à-vis de la sécurité et la protection du travailleur beur est d’une grande discrimination, car le droit à la protection et à la sécurité au travail est ce qu’il y a de plus juste et de plus légale/égale dans chaque société et chez tout citoyen. Or, si cela n’arrive pas à être appliqué de façon générale, c’est qu’il existe une forme de discrimination, et Smaïl ne manque pas de le souligner à travers cette citation.

255 Ibid., p. 128-129.

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Nous terminerons par dire que la langue vaut, dans l’écriture beure, un critère très important. Ainsi, avons-nous démontré que le roman beur ne peut exister sans l’écriture du sabir. Il s’invente un parler urbain nouveau, indépendant de la norme linguistique du parler dominant. C’est un parler spécifique à la banlieue, propre à un groupe minoritaire qui se trouve dans le souci de marquer son existence, et le seul moyen d’y arriver, c’est de s’inventer un code bien spécial, comme le nomme le chercheur, Dominique Fattier, un « we code », et de s’autonomiser du « they code ».

Finalement, le corpus, sur lequel nous avons choisi de travailler, nous a permis de mettre en place un archétype de roman beur et ce, en analysant les passages les plus parlants, y trouvant ainsi, des redondances thématiques qui nous ont aidé à formuler ce postulat relatif à une éventuelle existence d’un code d’écriture propre au roman beur. Ce qui a soutenu chez nous cette idée hypothétique est bien le roman de Paul Smaїl, Ali le Magnifique, car c’est bien grâce à sa démonstration de pastiche du roman beur que nous nous sommes dit qu’il doit y avoir une écriture bien propre au roman beur. Nous sommes donc parti du premier roman Le Gone du Chaâba, qui s’est avéré être un roman de formation, pour voir si les deux autres romans du corpus Kiffe kiffe demain et

Ali le Magnifique obéissent ou pas à cette forme d’écriture. Finalement, nous

sommes arrivés à dire que les deux autres récits présentent bel et bien des caractéristiques du parcours de formation à des degrés différents de ceux de Begag. Le point commun entre ces trois romans est cette mise en évidence d’une écriture de la formation, une écriture de la banlieue et de l’errance qui montrent que le sujet beur construit sa maturité, et, enfin, une écriture du sabir, qui démontre que l’écriture beure repose bien sur un code ou une langue bien spécifique à la banlieue et que, sans cette invention d’un nouveau langage, le sujet beur ne saurait répondre à ses besoins identitaires. Ce qu’il faut retenir, c’est que ces trois éléments de l’écriture beure se fédèrent tous dans la question de l’intégration sociale et la promotion sociale du Beur. Nous tenterons, donc, dans la partie qui va suivre, de voir comment nos trois romans abordent la question de l’intégration sociale du Beur et le dialogue des civilisations.

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II

DÉBAT SUR L’INTÉGRATION SOCIALE ET