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Magnifique discutent de la question de l’intégration

I.4 L’habitat aide-t-il à l’intégration sociale ?

Les Bouchaouis déménagent et quittent le Chaâba devant les yeux de tous les chaâbis, ce qui suscite bien des interrogations chez le petit Azouz. Pourquoi ont-ils quitté le Chaâba ? :

Le départ des Bouchaoui a intrigué et laissé une sensation désagréable dans la bouche. Je questionne mon père :

- Abboué, pourquoi ils sont partis, les Bouchaoui ? - Eh bien parce que Allah l'a voulu ainsi. C'est tout. - Ils n'étaient pas contents d'être ici ?

- Faut croire que non, puisqu'ils sont partis.

- Et il y a longtemps qu'ils t'avaient prévenu de leur départ ?

- Non. Je l'ai appris ce matin. Mais arrête de me harceler avec tes questions stupides. Va donc t'occuper ailleurs !307

Bouzid, ne sachant quoi répondre à son fils, use de l’argument culturel « el Mektoub », « le destin » pour justifier le départ des Bouchaouis. Le père est bien conscient que son fils Azouz est loin d’être dupe. Azouz sait bien que si les Bouchaouis ont quitté le Chaâba, c’est qu’ils ont trouvé mieux ailleurs. Le père refuse de quitter le Chaâba, le seul espace qui lui rappelle le pays de son enfance, son pays d’origine, l’Algérie. L’identité du père est rattachée au Chaâba. Mais Azouz aspire à déménager un jour pour combler son processus d’intégration.

Le déménagement des Bouchaouis angoisse les habitants du Chaâba, en particulier Azouz, qui veut à tout prix déménager. Ce comportement traduit l’aspiration d’Azouz à vivre dans un appartement décent. Ceci jouera en sa faveur et lui permettra de mieux réussir. L’idée de déménager est survenue, non seulement après le départ des Bouchaouis, mais surtout parce que le

Chaâba ne demeure plus le même. Il se dégrade de jour en jour et se vide de ses

307 Ibid., p. 135.

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habitants, de son âme. Il faut dire aussi que pour Azouz vivre dans un appartement décent, comme tous les Français moyens de sa classe, l’aidera dans son ascension. Le Chaâba n’est plus qu’un corps abandonné qui devient squelette de jour en jour, comme le déclare notre héros : « Le Chaâba a laissé filer son âme entre les fissures de ses planches. La baraque des cousins, les derniers partis, est toujours accoudée à notre maison. Elle est la seule. Elle est vide ».308 Et il rajoute à cela : « Seuls. Nous sommes seuls désormais,

abandonnés dans les décombres du Chaâba »309. Azouz n’abandonne pas son idée de vouloir déménager et sa mère commence sérieusement à désespérer. Bouzid, le père, ne veut pas entendre parler de déménagement. Il s’accroche de toutes ses forces aux tôles du Chaâba, qui lui rappelle l’Ouricia, son village natal. Mais quel est le devenir des enfants, d’Azouz, de Zohra au milieu de nulle part ? Est-il possible pour Azouz, d’atteindre son but, tout en restant dans un lieu où plus rien ne subsiste ? :

Ah ! Emma, si tu n'étais pas là, à qui pourrais-je me plaindre ? À qui devrais-je chanter la complainte de la maison hantée ? Le père n'est pas amateur de musique moderne, et toi, Emma, tu es devenue mon ultime espoir de quitter ce cauchemar.310

Le narrateur crie et écrit son amertume, son désarroi dans ce lieu lugubre où s’agglomèrent les baraquements, désormais, vidés après le déménagement des chaâbis. La précédente citation rappelle la complainte de

La maison hantée d'Ardin-Tripod, écrite par un auteur anonyme, dont voici

quelques vers :

Les habitants d'Ardin Nom d'un chien,

S'éveillèrent dernièrement Dans un vrai chambardement Mais qu'y avait-il donc... Une maison

Recevait on n'sait d'où

308 Ibid., p. 139.

309 Ibid., p. 139.

176 Sur son toit des gros cailloux,

Et quand vint Monsieur le Maire, Bien des gens pleins d'émotion Disaient c'est une sale affaire, Si l'démon

Bombarde nos maisons.311

Ne trouvant aucune âme qui puisse lui prêter oreille et l’écouter, Azouz se tourne vers sa mère, en qui il trouve refuge, et à qui il narre ses malheurs et ses angoisses dans une plainte poignante. En faisant écho à « La maison

hantée » et au chant lyrique y afférant, Azouz attire notre attention sur le fait

qu’il assimile bien les multiples facettes de la littérature canonique, preuve incontestable de l’intégration culturelle.

La mère du protagoniste finit par se convaincre de quitter le bidonville et ne souhaite plus rester seule au milieu de nulle part. Le héros a maintenant un allié de taille qui l’aidera à quitter le Chaâba pour un habitat meilleur :

- Excuse-moi, Emma. Je ne veux plus déménager. Je te jure que je ne pleurerai plus jamais de la vie. Arrête de pleurer, Emma. Arrête, je t'en prie.

Son flot de chagrin a coulé encore plus fort.

- J'en ai marre d'être dans ces baraques ! J'veux déménager ! J'en ai marre d'être dans ces baraques !

J'veux déménager !312

La mère d’Azouz est autant soucieuse que son fils de déménager. L’endroit dans lequel cohabitaient toutes ces familles, provenant d’un même village d’Algérie, n’est plus qu’un vieux souvenir. Ce Chaâba représentait, en quelque sorte, le pays d’origine, et c’est la raison pour laquelle ces primo-migrants ne voulaient point le quitter. Ils y retrouvaient une sorte d’intimité culturelle, un pays à l’intérieur d’un pays d’accueil. Cet espace était le seul

311 La maison hantée d'Ardin –TRIPOD (Deux Sèvres), un auteur anonyme publia une complainte intitulée : « La Maison hantée d'Ardin, ou les mystères dévoilés, sur l'air du Trompette en Bois ». Sur la toiture de cette maison, des cailloux étaient jetés dessus, et les gens de cette ville pensaient que c’était l’œuvre de forces maléfiques. Enfin de compte, tout cela n’était que des espiègleries de la part des enfants du quartier, qui s’amusaient à lancer des gros

cailloux sur le toit de cette maison.

demonmembers.tripod.com/~La_Mandragore/articles_maisonhant.htm, consulté le

20/02/2013.

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endroit où le père d’Azouz pouvait se retrouver, se ressourcer, et résister au supplice de l’écartèlement culturel. Ainsi, quitter le Chaâba, c’était pour la famille d’Azouz, comme si elle quittait de nouveau l’espace d’origine. Cela pourrait être ressenti comme une seconde immigration. Cela dit, l’élément, qui nous interpelle également dans le passage qui précède, c’est la façon dont Azouz appelle sa mère, « Emma ». Azouz aurait pu dire tout simplement « maman », mais il a préféré substituer le vocable « yemma », qui veut dire maman en dialecte algérien, par le terme « Emma », un prénom français qui phonétiquement est proche du mot « yemma ». Nous pouvons comprendre cela comme une volonté de la part de notre héros de vouloir que sa mère adopte, ne serait-ce que par le nom, la culture française. Le protagoniste souhaiterait-il également l’intégration de sa mère ?

Le déménagement a lieu, mais le protagoniste subira un énième traumatisme, celui de la perte du père, qui était son seul adjuvant depuis le début du récit :

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Je lui réponds que je ne fais rien de particulier. Parvenu dans la cour, il adosse la Mobylette contre le mur, retire des sacoches la gamelle dans laquelle il a mangé à midi, avant de s'engager d'un pas pesant dans la montée d'escalier. A cet instant seulement, je l'embrasse pour lui dire bonjour. Les os saillants de ses joues, qui se sont creusées depuis quelque temps de façon accélérée, me font mal. Le vieux Bouzid a beaucoup maigri. Il y a dans son visage une lourdeur, quelque chose qui m'éloigne de lui.313

Mais il faut dire que cette perte du père Bouzid a commencé au moment où il a quitté le Chaâba, le seul endroit qui lui servait de port d’attache, avec tout ce qu’il symbolisait pour lui :

Nous avons longtemps regardé la maison qui disparaissait progressivement du côté de la forêt. Installé à la place du mort, Bouzid ne parlait plus depuis longtemps. Emma pleurait en souriant, le revers de son binouar entre les doigts.314

L’expression « la maison qui disparaissait » est en fait un effacement symbolique de l’image du Chaâba, que toute la famille laisse derrière elle. L’absence de la parole chez le père indique bien sa perte morale, et sa position dans le véhicule qui leur serve de transport est bien la preuve qu’il s’agit là

313 Ibid., p. 171.

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d’une mort symbolique du père : « installé la place du mort ». Autrement dit, cette expression n’est pas à prendre au sens propre, c'est-à-dire « assis sur le siège coté passager », mais plutôt au sens implicite qui annonce une véritable mort psychique et même physique du père de famille.

Voilà comment, à travers l’école républicaine, le héros a su et pu s’intégrer. A l’école, Azouz apprend la culture de l’autre, ainsi que sa propre culture d’origine. En effet, ses instituteurs lui ont soigneusement enseigné certains points inhérents à la culture arabo-musulmane. L’école devient donc, dans le récit de Begag, le lieu par excellence de l’échange culturel et

civilisationnel. En d’autres termes, Azouz Begag souligne, dans son roman, la nécessité d’un dialogue interculturel. Ainsi, voit-il en la société dite d’accueil, de son époque, une société qui tolère la culture de l’autre. D’ailleurs, les diversités ethniques et culturelles des personnages du roman sont une preuve vivante de cette tolérance.

La logique du roman de Begag veut que ce soient ces étapes qui ont permis à Azouz d’atteindre son objectif. Sans cela, la réussite ne pouvait être atteinte, et le roman aurait abouti à un échec certain. Azouz s’intègre donc, grâce à l’école républicaine française. Le message qu’Azouz Begag veut transmettre, à travers Le Gone du Chaâba, est que l’école représente une issue possible, pour l’intégration des jeunes maghrébins issus de l’immigration. Il prône pour l’école républicaine et insiste, dans sa narration, sur l’importance de cette institution. Par ailleurs, il est important de dire que, dans Le Gone du

Chaâba, l’écrivain ne manque pas de souligner que beaucoup de Beurs ne

réussissent pas, même si leur échec est justifié par le manque de commodités ou par la pauvreté. Si pour Azouz, l’école est un passage obligé et que, sans elle, l’intégration serait difficile à atteindre, quel sens prend alors l’intégration chez nos deux autres auteurs : Faїza Guène et Paul Smaїl ?

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Chapitre II : Faїza Guène ou l’intégration de la femme beure

Après avoir étudié le roman Le Gone du Chaâba d’Azouz Begag, nous passons à la lecture et l’analyse du second roman Kiffe kiffe demain de l’auteure Faїza Guène. L’auteur est une femme issue d’une génération

différente de celle de Begag. Ces deux critères sont importants, dans la mesure où ils pourraient nous amener à découvrir une autre forme d’écriture

spécifique, une écriture féminine beure. Nous tenterons, dans ce chapitre, de savoir comment l’écrivaine beure ou la Beurette raconte sa vie. A-t-elle une vie différente de celle de Begag ? CommentFaїza Guène affronte-t-elle les

difficultés de la vie en banlieue ? Comment narre-t-elle l’intégration de la femme beure dans la société d’accueil ? Use-t-elle des mêmes stratégies intégratives que celles de Begag ?

Dés le début du roman, Doria, le personnage principal, semble marquée par l’absence de son père. Elle lui consacre des pages entières, en le décrivant comme étant démissionnaire de son rôle de père. Selon Doria, son père quitte la France en y abandonnant toute sa famille, mais surtout son unique fille, qui a tant besoin d’affection et d’une autorité paternelle, pour son épanouissement. Doria nous fait part des situations délicates dans lesquelles elle est entraînée involontairement :

Je crois que je suis comme ça depuis que mon père est parti. Il est parti loin. Il est retourné au Maroc épouser une autre femme surement plus jeune et plus féconde que ma mère. Après moi, ma mère n’a plus réussi à avoir d’enfants.315

Dans cette citation, Doria soulève un problème d’ordre socioculturel, lié à la polygamie dans le monde musulman. Le père entraine toute sa famille dans un déséquilibre social. Ainsi, il compromet, indirectement, l’insertion de la protagoniste, dans l’espace d’accueil. La narratrice a le sentiment d’être rejetée par son père. C’est sa féminité qui est remise en question, car elle sait que son père les a abandonnées, sa mère et elle, uniquement pour avoir un fils d’une autre femme : « …papa, il voulait un fils. Pour sa fierté, son nom, l’honneur de

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la famille et je suppose encore plein d’autres raisons stupides ».316

La narratrice perd toute confiance en soi, car, au lieu d’aider sa fille à mieux appréhender la société dans laquelle elle vit, son père ne fait que réduire ses chances

d’insertion, en limitant bien sûr sa valeur sociale et culturelle. En d’autres termes, d’un point de vue culturel, le père traditionnel préfère le garçon à la fille. Car le fils est le transmetteur non seulement de la culture, mais aussi du nom. C’est donc le sexe masculin qui assurera la descendance et la continuité. En mettant en lumière ces comportements culturels, la narratrice soulève un vrai problème lié aux rapports hommes et femmes, à l’inégalité des sexes au sein de la culture d’origine. Ce qui montre d’emblée que l’héroïne a acquis une valeur importante de la République française, l’égalité.