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Chapitre I Le roman beur est-il un roman de formation et d’apprentissage ? d’apprentissage ?

I.2 Les caractéristiques du roman de formation

I.2.3 L’insécurité et l'école dans Kiffe kiffe demain

L’école ne réalise plus le brassage social que l'on attend d'elle, elle est le lieu d’une violence endémique, surtout dans les collèges et lycées de banlieue. Les élèves retrouvent à l’école les lois de la cité et beaucoup ont peur.63

La violence demeure omniprésente dans la banlieue, au point où on la retrouve même au sein de l’école. Ainsi, selon plusieurs enquêtes, notamment celle que nous venons de citer plus haut, la guerre des gangs et tous types de trafique demeurent des attributs de la banlieue. La sécurité devient donc, dans ces zones de violence, instable voire absente, et l’impuissance de l’école face à ce problème devient une réalité. C’est le constat amer que fait le sociologue, l’anthropologue et l’orientaliste français, Jacques Berque : « L'économie illicite se répand, la violence s’installe. Les enfants défavorisés s’ennuient à l’école et finissent par se réfugier dans les actes de délinquance. Les parents et les enseignants devenus impuissants, face au développement des conduites délinquantes et inciviles à l'école, préconisent l’intervention musclée des forces de l’ordre ». Ainsi, violence en banlieue et violence à l’école sont étroitement corrélées. Cependant, le personnage, Doria, accuse la presse, les médias d’exagérer quand il s’agit de parler des Beurs. L’opinion publique est,

63 Voir la situation désastreuse de la Seine-Saint-Denis et l’enquête de B. Charlot, Violences à l’école. Etat des savoirs, Colin, 1998.

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en effet, le principal passeur de bon nombre de stéréotypes sociaux liés au Beur. Ce qui est virulemment dénoncée par Doria, car la presse vise à tromper et à endoctriner aussi bien le Français de souche que le Beur des quartiers sensibles. Des mises en scène d’incidents violents apparaissent comme la trace et l’empreinte, d’une profonde dégradation de l’école :

M. Loiseau, le proviseur, s'est fait agresser dans les couloirs par un élève de l'extérieur. J'étais pas là, mais est ce qu'il parait le type, il a gazé M. Loiseau à coup de bombe lacrymogène dans la face 64 et encore. Et même avant qu'il se fasse gazer, c'était grave que M. Loiseau se sente en sécurité seulement dans son bureau.65

Le sentiment de violence et d'insécurité sont partout, dans tout le lycée : « Il y a même Mme Benbarchiche qui accroche partout les affiches avec marqué : « MARRE DE LA VIOLENCE !! », ou encore d'autres formules chocs dignes des compagnes de pub pour la sécurité routière »66. Le lycée, espace et lieu d’apprentissage et de savoir par excellence, devient le foyer de la peur de l’intolérance. Cette violence, aussi exacerbée soit elle, n’a pas d’impact sur le lecteur et l’envenimement des tensions au sein de l’institution scolaire ne surprend plus le lecteur, le stéréotype s’est incrusté dans les esprits :

Les phénomènes de stéréotypies sont à la fois activateurs de perception, indicateurs génériques, agents du vraisemblable, supports d'identification et d'émotion, traits argumentatifs et signaux de littérarité (dans le cadre d'une esthétique de la conformité). Les stéréotypes servent donc à représenter au lecteur un environnement familier sur le plan sémantique et référentiel. Ils participent à la bonne lisibilité du roman. Leur discours répond à des schémas figés que le lecteur reconnait instantanément.67

Si l’école s’effondre sous le poids de la violence intolérable de la banlieue, comment pourrait-elle assumer alors l’ascension sociale de l’individu ? La protagoniste est bien consciente à ce moment là qu’elle se retrouve face à un problème crucial, celui de faire face à une société en

64 Faїza Guène, Kiffe kiffe demain, op. cit., p. 65.

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Ibid., p.67.

66 Ibid., p.64.

67 Jean-Louis Dufays, « Le stéréotype, un concept-clé pour lire, penser et enseigner la littérature », 2001, p.6, www.margeslinguistiques.com, consulté le 21 juin 2011.

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banlieue, qui n’offre aucun espoir à l’intégration. L’opposition héros/environnement, dans le cas de Doria, est bien son échec à l’école qu’elle n’arrive plus à maitriser : « de toute façon, je veux arrêter. J’en ai marre de l’école. Je me fais chier et je parle avec personne ».68

L’école ne donne plus envie de s’intégrer dans le roman de Guène, car l’opposition entre notre personnage et cette espace institutionnel se fait fortement ressentir. De mauvaises notes s’annoncent à la fin du trimestre et notre principal personnage semble ne pas y faire cas. Elle est heureuse que sa mère ne sache pas lire, car le bulletin de notes de l’héroïne laisse à désirer. Nous comprenons par cela que Doria n’est pas intéressée par l’école. Elle voit l’école comme une perte de temps. Doria est perçue à l’école comme renfermée sur elle-même. Elle manque d’ouverture à l’autre ou refuse même de s’ouvrir à l’autre. Encore une fois, dans le récit de Guène le quartier est perçu à son tour par Mme Burleau comme synonyme de fermeture. Il est la cause principale de l’échec social de Doria. Afin de remédier à ce problème de commodité, Mme Burleau, la psychologue, propose à Doria un séjour aux sports d’hiver organisé par la municipalité. Ce séjour permettra, selon la psychologue, à Doria de rencontrer du monde et de se couper un peu du quartier où elle vit. Notre protagoniste refuse cette proposition sous prétexte qu’elle n’est pas prête pour ce genre d’aventures. Le sport pourrait être un espace de détente mais aussi de rencontre et d’ouverture. Mais Doria pense que le sport n’est pas fait pour une fille comme elle. Notre personnage ne manque pas de critiquer le système éducatif en banlieue. Elle souligne le fait que même si on remet une bonne rédaction, les professeurs ne corrigent jamais et donnent une note approximative.

Un autre personnage fait éruption tout d’un coup dans la vie de Doria, c’est Hamoudi, un Beur de la cité. Ce dernier, n’a également de bons rapports avec l’école à cause des problèmes qu’il a eus et aussi à cause de la prison. Le personnage d’Hamoudi est décrit comme un grand de la cité. Il doit avoir 28 ans et ne fait rien de ses journées à part roder dans la cité ou dans les halls du quartier. Hamoudi est décrit comme un délinquant. Il fume tout le temps des « pétards », si nous reprenons les mots de Doria, et il est tout le temps

68 Faїza Guène, op. cit., p. 27.

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déconnecté du monde qui l’entoure. Le personnage de Hamoudi reflète parfaitement le stéréotype du Beur de banlieue dont parle Paul Smaїl, dans son roman Ali le Magnifique. Il est là, à ne rien faire de son quotidien, s’adonne à la drogue et fait bien de la prison. Il est le parfait stéréotype du Beur de banlieue que les médias se font une joie de décrire.

D’autres formes d’oppositions submergent le roman de Guène, la discrimination à l’emploi en fait partie.