• Aucun résultat trouvé

D’UNE CIBLE

II.4. Phénomènes compensatoires face à la perturbation : Revue critique de la parole pathologique et de la Revue critique de la parole pathologique et de la

II.4.3. Pathologie et articulations compensatoires complexes

Nous disions supra (cf. Chapitre II., section 4.1.) que Trost (1981) avait décrit trois types d‟articulations compensatoires utilisées par les locuteurs ayant une fente palatine et une insuffisance vélopharyngale : 1) l‟occlusive middorso palatale ; 2) l‟occlusive pharyngale et 3) la fricative postérieure nasale. Chacune est définie radiographiquement pour représenter la déviance du lieu d‟articulation. Chacune est également décrite en termes de caractéristiques perceptivement distinctes.

Les traits de production de ces compensations articulatoires sont opposés et comparés à ceux des occlusives glottales, et aussi à ceux des fricatives pharyngales. L‟usage de ces articulations compensatoires, comme remplaçants des phonèmes cibles, est différent de leur occurrence comme coarticulations aberrantes par rapport aux phonèmes cibles. C‟est pour cette raison que nous avons voulu les traiter séparément ici.

Enfin, les symboles phonétiques utilisés pour la transcription phonétique étroite sont présentés, et les implications pour la rééducation de la parole sont discutées dans ce qui suit.

II.4.3.1. L’occlusive middorso-palatale chez le sujet pathologique

L‟occlusive middorso-palatale (cf. Figure 7) est produite au niveau du lieu d‟articulation de la semi-consonne [j].

Figure 7 : Croquis illustrant l‟articulation d‟une occlusive midorsopalatale (Trost, 1981).

Cette articulation remplace les productions de [t], [d], [k] et [g]. Perceptivement, les limites entre les phonèmes [t] et [k], et [d] et [g] sont perdues. Les valeurs phonétiques sont alors déterminées par le contexte grammatical et/ou sémantique.

Les gestes articulatoires sous-jacents à cette articulation sont variables, selon des données radiographiques de Trost (1981).

Dans certains cas, une friction apparaît comme étant générée par le port vélopharyngal. Il s‟agit d‟une constriction qui a lieu dans le couloir aérien, lorsque le vélum s‟approche de la paroi pharyngale, mais il n‟y a pas de véritable « joint » vélopharyngal, et l‟air est relâché par le nez. Un bruit de friction audible apparaît alors, accompagné d‟émissions d‟air nasal. Cette articulation vélaire peut être observée radiographiquement comme un mouvement flou ou un battement (une palpitation) vélaire. Ces gestes peuvent être qualifiés de « fricatives vélopharyngales ». Chez certains patients, une articulation linguo-vélaire simultanée est observée, lorsque la langue est utilisée comme assistance linguale pour compenser les mouvements vélaires détériorés.

Dans un article de 2001(a), Gibbon et Crampin relatent les résultats d‟une étude faite sur un adulte ayant été opéré d‟un palais fendu, grâce à la méthode éléctropalatographique. En comparant les points de contact de ce locuteur avec deux locuteurs de contrôle, elles ont remarqué l‟apparition d‟une occlusive dorso-palatale. En effet, le [t] est réalisé plus postérieur, passant d‟un lieu d‟articulation post-alvéolaire à palatal, tandis que le [k] passe d‟un lieu articulatoire vélaire à palatale. Cela rejoint le constat fait par Trost (1981) pour les occlusives [t] et [d], [k] et [g], chez des locuteurs atteints de fentes palatines. Ce phénomène articulatoire est également attesté dans d‟autres études (cf., par ex., Mc Williams et al., 1990 ; Albery, 1991, ; Chapman & Harding, 1992).

Santelmann et al. (1999) ont revu les transcriptions de la parole avec des fentes palatines, et concluent à des difficultés inhérentes amenant à des stratégies compensatoires, telles que les occlusives middorso-palatales. Celles-ci sont réalisées par le contact du dos de la langue avec le palais, qui diffère des autres compensations articulatoires, dans la mesure où elles conservent une articulation orale. L‟occlusive middorso-palatale serait une des articulations compensatoires les plus employées par les locuteurs ayant une fente palatine, avec l‟occlusive glottale (Peterson-Falzone, 1990 ; Chapman & Hardin, 1992).

Pour ce qui concerne les caractéristiques acoustiques de ces occlusives, Sussman et Chapman (1995) constatent qu‟elles ont un VOT plus long, une amplitude plus forte de l‟explosion et de l‟aspiration. En outre, la transition de leur F2 se situe à mi-chemin entre celle attendue pour le [t]

et le [k].

II.4.3.2. L’occlusive pharyngale chez le sujet pathologique

Les occlusives pharyngales sont produites par contact vélopharyngal (cf. Figure 8)

Figure 8 : Croquis illustrant l‟articulation d‟une occlusive pharyngale (Trost, 1981) (vue latérale, avec ligne en pointillée montrant la configuration et placement lingual).

Souvent utilisées comme substitution pour les sons [g] et [k], elles sont réalisées avec un contact (radico-pharyngal) situé ainsi plus bas et plus postérieur dans le conduit vocal, en comparaison avec l‟articulation « normale ». Cependant, sur le plan perceptif, les sons produits sont reconnus, surtout lorsqu‟il n‟y a pas d‟oppositions phonologiques dans la langue. L‟auditeur semble rapprocher le son perçu à son correspondant le plus proche dans une gamme de réalisations connues dans le système phonologique, le contexte d‟apparition aidant aussi à la reconnaissance du son. Les données radiographiques montrent que cette articulation peut être produite à différents niveaux de la cavité pharyngale, à un endroit plus ou moins près de la glotte.

Le plus souvent, la configuration de la base de la langue est convexe, la pointe de la langue se dirigeant vers le bas. Une rétractation de la masse linguale est également observée. Cette posture est caractéristique de l‟occlusive pharyngale « canonique ».

Les productions pharyngales réalisées plus proche du haut-pharynx ou plus près du bas-pharynx se distinguent perceptivement. Globalement, les occlusives pharyngales diffèrent perceptivement et clairement des occlusives glottales. Les locuteurs sans trouble de la parole peuvent simuler une occlusive pharyngale en produisant un [k], puis en abaissant et en déplaçant le lieu d‟articulation vers l‟arrière, pour assumer successivement des points de fermeture basse à l‟intérieur de la cavité pharyngale.

Au moyen de la cinéradiographie et de la spectrographie, Honjow et Isshiki (1971) ont remarqué ce type d‟articulation chez un patient adulte ayant une insuffisance vélaire. Leur

description radiographique du contexte vélopharyngal est compatible avec celle décrite précédemment par Trost (1981). En revanche, Honjow et Isshiki (1971) considèrent cette articulation comme une forme d‟occlusive vélaire [k] acceptable, sans besoin de rééducation.

II.4.3.3. La fricative postérieure nasale chez le sujet pathologique

Une « assistance linguale », produite de façon simultanée, est observée lors de la réalisation de la fricative postérieure nasale chez certaines personnes ayant des fentes sous-muqueuses.

Il s‟agit d‟une position de réajustement que prend la langue afin de contribuer à la production de la fricative qui serait, sans cette aide, sévèrement déformée (cf. Figure 9).

Figure 9 : Croquis illustrant l‟articulation d‟une fricative postérieure nasale (Trost, 1981).

Cette production apparaît souvent chez les patients ayant une insuffisance vélo-pharyngale, associée ou non à une fente. Une position postérieure de la langue, une « assistance linguale », ou les deux phénomènes apparaissent souvent en remplacement du [s], [z], [H] et [j], lors d‟insuffisances vélo-pharyngales. En outre, des affriquées ou des occlusives peuvent être coproduites avec ces fricatives, comme articulations anormales. Ces productions sont également observées chez des patients ayant une fente palatine, suite à une opération de la valve pharyngale.

Les locuteurs placent les articulateurs de façon à produire simultanément une consonne à pression orale, et une fricative postérieure nasale.

Un degré minimal d‟émission nasale est obligatoire dans la production de fricatives nasales postérieures, mais, perceptivement, ces fricatives postérieures sont distinguables des émissions nasales seules ; les deux phénomènes ont des lieux de turbulence ou de résistance au flux d‟air différents. En effet, l‟émission nasale seule est la conséquence d‟une résistance audible au flux d‟air qui doit être intra-nasale, tandis que la fricative postérieure nasale dépend du locus du port

vélo-pharyngal. Lorsque le passage de l‟air par les fosses nasales est totalement obstrué ou que le sujet a recours à des battements pharyngaux, l‟émission nasale est minime, voire absente, et seule la fricative postérieure nasale reste audible.

Trost (1981) propose une nouvelle transcription phonétique pour les articulations compensatoires, ainsi qu‟une nouvelle distribution des utilisations des symboles (cf. Tableau 13, ci-dessous). Notons que le symbole du son postérieur nasal a été proposé par Dalston en 1979, sous le terme de « flap fricative» ou une fricative à battements.

Ces articulations compensatoires, présentées dans le tableau de Trost (1981) (cf. Tableau 14, ci-dessous), peuvent apparaitre en tant que substitutions ou comme des sons co-articulés. Ainsi, dans le cas de sons co-articulés, le locuteur déploiera des manœuvres articulatoires atypiques et simultanées ; un mode de production, comportant deux lieux d‟articulations simultanés. Les observations de McWilliams et Philips (1979) confirment celles de multiples cliniciens, par rapport à l‟apparition de ces types de sons co-articulés « anormales ».

Selon les observations rapportées ici, l‟occlusive middorso-palatale, l‟occlusive pharyngale, et la fricative vélaire apparaissent plus généralement comme remplacement de phonèmes, alors que l‟occlusive glottale, la fricative pharyngale et la fricative nasale postérieure apparaissent autant comme remplacement de phonème que comme sons co-articulés.

Ces modes d‟articulatoire observés mettent au jour simplement certains mécanismes moteurs de la parole dans lesquels la langue est « libre » de réaliser des contacts plus postérieurs, ou des approximations de contacts simultanées. Nous constatons ainsi les articulations suivantes : [] [∆]

et [] []. Il est clair que des données provenant d‟investigations systématiques sont nécessaires afin de dresser des conclusions plus fiables et plus valides, par rapport aux modes articulatoires compensatoires adoptés par les locuteurs qui ont des fentes palatines et des insuffisances vélopharyngales. Les « erreurs » dérivant des positions de fermetures linguales inattendues, ou de mauvaises positions sont probablement le type d‟ « erreur » le plus commun chez les locuteurs porteurs de fente palatine. Ainsi, à l‟exception de la fricative vélaire pour substitution des occlusives vélaires et de certaines occurrences de [∆], la plupart des compensations articulatoires observées dans cette population impliquent des déviations du lieu d‟articulation habituel.

Tableau 13 : Récapitulatif des phonèmes substitués ou co-articulés avec les articulations compensatoires, relevés par Trost, (1981), Adapté de Trost (1981).

Articulations compensatoires Symboles phonétiques

Voisés Non voisés

Occlusive glottale //

Fricative pharyngale // //

Fricative vélaire // //

Occlusive middorso-palatale / /

/ / Fricative postérieure nasale /∆/

Occlusive pharyngale / /

Tableau 14 : Récapitulatif des 6 types d‟articulations compensatoires relevés par Trost, (1981), avec les symboles phonétiques correspondant pour les productions voisées et sourdes. Adapté de Trost (1981).

Articulations compensatoires Classes des phonèmes cibles

Substitués/remplacés Coarticulés

// Occlusives, occasionnellement affriquées Occlusives, affriquées

/,/ Fricatives, sibilantes prédominantes Fricatives (sibilantes) Occlusives vélaires postérieurs

/∆/ Fricatives sibilantes Toutes consonnes à pression

Occlusives vélaires postérieurs Occlusives apico-alvéolaires

Nous avons pu voir dans cette section que les consonnes compensatoires sont très utilisées par les locuteurs ayant des problèmes, ici plus particulièrement liés à la présence d‟une fente palatine, au niveau de l‟acquisition et de l‟expression du langage. En effet, la possibilité d‟avoir recours à de telles productions leur permet de réajuster leur parole de façon à être intelligible par leur interlocuteur, même si les sons alors produits sont souvent « déviés », du point de vue du mode articulatoire, ou du lieu d‟articulation.

Chaque locuteur pourra utiliser le son qui sera pour lui le plus simple à prononcer ; on a pu constater la multitude d‟articulations compensatoires existantes. Tant qu‟il n‟y a pas de confusion possible entre deux phonèmes dans une même langue, l‟auditeur peut rapprocher aisément le son entendu du son désiré par le locuteur, car il conserve au maximum les propriétés phonétiques caractéristiques de ce son, même si parfois il s‟en éloigne énormément. En effet, il semble bien que l‟objectif principal de ces enfants est d‟atteindre une parole intelligible dans le but de faire passer un message. Leur priorité serait donc le rendu perceptif, et ils auraient recours, pour y parvenir, aux stratégies qui pour eux seraient les plus « faciles ». Les enfants atteints de fente palatine vivent avec cette gêne dès leur premier âge. De ce fait, la mise en place de compensations persiste malgré les opérations chirurgicales. Pour cela, quelques fois, ces locuteurs ont recours à des gestes inattendus pour produire certains sons.

Les recherches mettent en évidence les différents articulateurs mis en mouvement par les locuteurs comme stratégie de « remplacement » des sons qu‟ils ne parviennent pas à réaliser.

Pour conclure

Ce chapitre a permis de mettre en avant l‟importance des différents composants du palais pour la production de la parole. En effet, nous avons pu voir que chacun (éléments muqueux, éléments osseux et muscles) incarne une fonction qui lui est propre, et que chaque perturbation entraine donc des déviations importantes.

Selon la zone impliquée dans la pathologie, la fente est donc très différente. Cela est mis en évidence par la difficulté à classifier ces différents types de fentes. La sévérité du type de fente entraine diverses perturbations face à l‟acquisition de la parole, puis dans la production. Les enfants porteurs de fentes doivent être pris en charge dès leur plus jeune âge, pour un traitement spécifique à leur type de fente, tant au niveau chirurgical que pour le suivi orthophonique.

Chacune engendrant un impact bien particulier, nous avons tenté de recenser les différentes articulations compensatoires relevées au fil des recherches par de nombreux auteurs.

Il ressort de ces études, surtout, la grande variabilité de ces articulations. En effet, chaque locuteur doit composer avec sa propre difficulté, rendant des stratégies individuelles pratiquement uniques.

Nous observerons dans le chapitre suivant certains paramètres plus particulièrement. En effet, la durée, le degré de coarticulation ou encore les structures formantiques, que nous avons choisis d‟analyser dans notre étude, apportent de précieux indices relatant les stratégies adoptées par les locuteurs porteurs de fente (labio)-palatine.

Documents relatifs