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D’UNE CIBLE

II.4. Phénomènes compensatoires face à la perturbation : Revue critique de la parole pathologique et de la Revue critique de la parole pathologique et de la

II.4.1. Articulations compensatoires chez le sujet pathologique

Une articulation compensatoire est une production réalisée par le locuteur en compensation d‟une consonne ou d‟une voyelle qu‟il ne parvient pas à produire. Il tentera alors de prononcer le son qui sera le plus proche possible de la cible recherchée, sur le plan phonétique.

Hutters & Brondsted (1991 ; 1993) ont constaté que les mères tendent à jouer un rôle de professeur lors de leurs interactions avec leur enfant, surtout lorsque celui-ci est atteint de fente palatine. Il semblerait que ce soient les mères qui amènent les enfants à préférer les productions compensatoires.

Selon la littérature, les caractéristiques associées à la parole des enfants atteints de fente palatine incluent quatre stigmates principaux : 1) l‟hypernasalité ; 2) les émissions d‟air nasal ; 3) la faible pression intra-orale des consonnes occlusives et 4) les articulations compensatoires.

L‟hypernasalité est la perturbation par la résonance nasale qui accompagne les voyelles et les consonnes orales, les glides et les liquides, et augmente la déviance de la qualité de la voix dans la production de la parole.

Les émissions d‟air nasal qui accompagnent la production des consonnes (les occlusives, les affriquées et les phonèmes fricatifs) sont le plus souvent caractérisées, dans la littérature, comme une déformation audible des sons de la parole. De nombreux auteurs ont commenté les qualités auditives perceptives variables associées aux émissions d‟air nasal, avec pour résultats de nombreuses étiquettes appliquées à ce phénomène. Celles-ci incluent le « nasal snort » (grognement nasal) (Backus et al., 1943), le « hissing noise » (le bruit de sifflement) (Van Riper & Irwin, 1961), la

« distorsion-nasale » et la « substitution-nasale » (déformation et substitution nasales) (Van Demark, 1964), ainsi que les émissions nasales comme variantes des « nasal turbulences » (turbulences nasales) (McWilliams & Philips, 1979). McWilliams (1958) avait commenté la déformation postérieure apparaissant lorsque le son est produit à travers un chenal, crée par la lame de la langue qui s‟articule avec le palais dur, largement derrière l‟arcade maxillaire, ou avec le palais mou.

La faible pression intra-orale des consonnes, ainsi que les émissions nasales, apparaissent de façon secondaire à l‟ouverture du port vélopharyngal. Cette ouverture a des conséquences directes sur la dimension des traits des valves articulatoires des occlusives continues. Ces deux

aspects de détérioration de la parole dérivent de la même insuffisance structurelle ou « valving », mais ont des impacts différents sur la parole.

De nombreuses études ont démontré que le mode articulatoire approprié est conservé, mais que le lieu d‟articulation correct est sacrifié (Counihan, 1956, 1960 ; Spriesterbach et al., 1961). Les substitutions des occlusives par l‟occlusive glottale, et des fricatives sibilantes par les fricatives pharyngales sont compatibles avec les résultats de Trost (1981) au niveau articulatoire.

Les résultats provenant d‟études cinéradiographiques et vidéofluoroscopiques ont révélé une tendance pour des locuteurs porteurs de fente palatine à déplacer la cible articulatoire de la langue vers l‟arrière de la cavité buccale (Powers, 1962 ; Brooks et al., 1965, 1966 ; Lawrence & Philips, 1975). Une tendance des contacts linguaux à être réalisés davantage vers l‟arrière, en général, est cliniquement évidente, comme l‟ont démontrée les enregistrements acoustiques de McWilliams et Philips (1979) et comme l‟ont identifiée Dalston et Trost (1979) à travers des analyses de transcription phonétique de jeunes locuteurs ayant une fente palatine.

Beaucoup de chercheurs se sont interrogés sur le fait que les locuteurs ayant une insuffisance vélopharyngale utilisent souvent l‟arrière de la langue pour aider à la fermeture vélo-pharyngale, de façon à ce que le mouvement de la langue vers l‟arrière devienne systématique. De tels ajustements compensatoires peuvent sous-tendre les substitutions fricatives vélaires pour les fricatives sifflantes et les affriquées. D‟autres articulations compensatoires ont été cliniquement observées ; les occlusives pharyngales, les occlusives middorso-palatales et les fricatives postérieures nasales. Trost (1981) a tenté de donner une description de ces trois articulations compensatoires. Nous reviendrons infra (cf. section II.4.3) sur la description articulatoire de ces articulations compensatoires relativement complexes.

Witzel (1995) a cherché à voir la différence de fréquence des consonnes compensatoires chez des enfants ayant une fente palatine, entre deux groupes distincts ; le premier rassemble les enfants présentant un retard de langage, le second les enfants avec un développement normal du langage. Pour ce faire, il a noté chaque occurrence des douze articulations de consonnes compensatoires anormales qu‟il a identifiées. Ces articulations compensatoires comprennent les occlusives glottales, laryngales, les fricatives ou les affriquées, les occlusives pharyngales, fricatives ou affriquées, les fricatives et les affriquées post-nasales et les occlusives middorsales. Pour toutes les consonnes observées, l‟auteur constate un meilleur résultat chez les enfants avec une fente palatine qui présentent un développement normal du langage, comme nous pouvions nous y attendre. En effet, ce groupe d‟enfant montre un pourcentage de consonnes correctes (validant tous les critères attendus) de 67%, avec une meilleure production des glides (98%), des nasales (95%). La production des affriquées (40%), des groupes consonantiques (32%) et des semi-consonnes (38%) est cependant moins bonne. Ces résultats reflètent les tendances attendues par rapport à l‟acquisition plus tardive des phonèmes et des groupes consonantiques (Grunwell 1982). Le groupe ayant un retard de langage présente une moyenne de 41% de consonnes correctes, avec une meilleure production des glides (84%), des nasales (86%). En revanche, la production des groupes consonantiques, des affriquées et des liquides est plus mauvaise, avec moins de 10% de réussite.

Le tableau ci-dessus (Tableau 11) traduit clairement la différence existante entre les productions des deux groupes de locuteurs. Les difficultés apparaissent surtout pour la production des affriquées, des semi-consonnes et des groupes consonantique.

Tableau 11 : Récapitulatif du pourcentage de sons produit par chaque groupe de locuteur, avec et sans retard de langage, selon Witzel (1995). retard de langage) au niveau de la taille du répertoire phonétique. En effet, 15% des enfants sans retard de langage produisent en moyenne 15 consonnes. Tous les enfants de ce groupe produisent la majorité des occlusives [p b d t k] (seul un enfant ne produit pas le [g]) et les nasales [m n] (seul un enfant ne produit pas le []), la majorité des enfants produisent [g s z  w h], et plus de la moitié produisent [f l j], mais aucun ne produit les sons [ et ]. Tous les enfants du groupe présentant un retard de langage produisent en moyenne 12 consonnes ; les occlusives [p b d], les nasales [m n] et la majorité des enfants produisent [g  w h], et plus de la moitié produisent [t k j ]. Aucun ne produit [v    d ], mais deux tiers d‟entre eux utilisent la consonne glottale compensatoire ([]). Celle-ci est surtout employée en position finale de mot, ou, occasionnellement, en milieu de mot. Cela est illustré dans le tableau ci-dessous (Tableau 12).

Tableau 12 Tableau récapitulatif des sons produits par chaque groupe de locuteurs, avec et sans retard de langage, selon Witzel (1995).

Les enfants ayant un retard de langage sont plus nombreux à utiliser, comme processus de développement, des assimilations nasales, des suppressions de consonnes finales et des réductions de groupes consonantiques. Ils sont également plus nombreux à user des processus de compensation, des suppressions des consonnes médianes, des insertions glottales, et montrent des préférences pour les sons nasalisés. Les enfants sans retard de langage utilisent des processus

de développement primaire ; ils ont recours à la réduction consonantique, à la simplification des liquides, à la vocalisation et à la suppression de consonnes finales.

Le déploiement de stratégies différentes de la part des enfants dans les deux groupes est donc visible. Ils ont des capacités de compréhension différentes et présentent également des différences au niveau syntaxique (différences de longueur des énoncés). Des études ont montré, comme l‟on pouvait s‟y attendre, que les enfants ayant un retard de langage ont un rendement verbal significativement réduit, par rapport aux enfants sans retard (Spriesterbach et al. 1958, Morris, 1962). En revanche, aucune différence n‟est notée au niveau lexical et sémantique.

Articulations compensatoires et étiologie

Morris et Ozanne (2003) tentent d‟éclaircir l‟étiologie des troubles du langage comme étant une contrainte structurelle articulatoire, un trouble phonologique organisationnel sous-jacent, ou encore une immaturité linguistique persistante. L‟étude propose une comparaison du développement phonétique et phonologique entre des enfants de trois ans ayant une fente palatine et des retards de langage et des enfants ayant une fente palatine mais manifestant un développement normal. Les retards de langage expressif primaire observés peuvent déterminer le développement phonologique futur. L‟expérience a été faite sur des enfants opérés, à l‟âge de un an, d‟une fente postérieure (du vélum), totale (du vélum et du palais dur), ou d‟une fente labio-palatine simple ou bilatérale. Ont été analysées les productions de parole spontanée, ainsi que les réponses données au Goldman-Fristoe Test of Articulation8. Les résultats de cette étude de Morris et Ozanne (2003) révèlent des différences significatives entre les deux groupes, avec une production plus pauvre de la part des enfants avec une fente palatine et des retards de productions des occlusives et fricatives à haute pression. Cela rejoint les résultats de Witzel (1995). Un répertoire phonétique réduit était toutefois attendu chez les enfants avec une étiologie structurelle significative, c‟est-à-dire chez lesquels les causes des problèmes seraient directement liées aux structures anatomiques. Cette réduction du répertoire était prévisible pour les voyelles, qui demandent une pression intra-orale plus importante (Grunwell, 1993 ; Grunwell et al. 1993 a et b). Cependant, ils ont également relevé une plus faible production des nasales et des liquides qui ne nécessitent pas d‟augmentation de la pression intra-orale. Par conséquent, l‟explication purement structurelle-anatomique ne suffirait pas.

Harding et Grunwell (1995) suggèrent que les enfants avec une étiologie structurelle significative développent des articulations compensatoires comme moyen de développement de contrastes significatifs à l‟intérieur de leur système phonologique. Si un grand nombre d‟enfants du groupe avec un retard de langage a des déficits structurels, les auteurs s‟attendaient donc à une

8 Le test articulatoire de Goldman Fistoes se focalise sur l‟articulation des sons individuels en ciblant chaque consonne en anglais dans des positions différentes à l‟intérieur du mot (au début, au milieu et à la fin). Il cible également quelques ensembles de mots en position initiale. Le test se fait en trois parties : 1) le test des sons dans des mots, qui extrait des mots de présentation d‟image ; 2) le test de sons dans des phrases, qui extrait des mots d‟une tâche de contage d‟une histoire et 3) le “Stimulability Test”, qui extrait les imitations de sons spécifiques et

apparition importante d‟articulations compensatoires. Cela n‟a pas été le cas dans leur étude, puisque seule une articulation compensatoire a été trouvée (Dyson, 1988).

Une étiologie structurelle prédirait ainsi une augmentation de processus liés aux perturbations, telles que les assimilations nasales, les insertions glottales et les préférences nasales, dans lesquelles les sons à haute pression sont substitués par des sons à basse pression ou des articulations compensatoires (McWilliams et al., 1990 ; Chapman, 1993). Une augmentation de l‟utilisation de « backing », ou du déplacement de la langue vers l‟arrière, et d‟assimilations vélaires serait également attendue, puisque les enfants avec une étiologie structurelle tentent de créer une pression intra-orale par une élévation de l‟arrière de la langue (Chapman, 1993 ; Russell &

Grunwell, 1993). Certaines augmentations de l‟utilisation du processus de suppression (des consonnes finales, des réductions de groupe) sont aussi attendues, car les enfants suppriment les consonnes requérant une pression intra-orale importante (Powers et al., 1990).

Cela n‟explique cependant pas la différence trouvée entre les deux groupes d‟enfants (avec et sans retard de langage), en particulier les différences de production de langage à deux et trois ans. La production la plus pauvre des groupes consonantiques laisse supposer une simplification plus générale des énoncés de la part des enfants ayant un retard de langage. Ce groupe montre donc une capacité réduite, par rapport aux autres enfants, de développement des éléments du langage tels que les groupes consonantiques et les liquides. Le processus phonologique du groupe d‟enfants ayant un retard de langage se caractérise par une plus grande utilisation de processus non développementaux, c‟est-à-dire de processus compensatoires.

En résumé, certains éléments révélant un retard de langage ont été notés ; ce sont davantage d‟utilisations des processus développementaux d‟assimilations nasales, de suppressions de consonnes et de réduction de groupes consonantiques. Les résultats de l‟étude de Morris et Ozanne (2003) ne corroborent pas l‟hypothèse d‟une immaturité cognitive et linguistique, mais quelques traits de retard sont à retenir.

L‟occlusive glottale est une articulation compensatoire, mais on sait, grâce à Hodson et Paden (1981) et Combes et Martin (1987), que celle-ci est également utilisée par des enfants sans fentes palatines mais qui présentent un retard au niveau phonologique. Cette occlusive apparaît également lors du développement normal de jeunes enfants (Dyson, 1988), suggérant ainsi que l‟usage de cette articulation n‟est pas spécifique aux enfants atteints de fente palatine.

De nombreux auteurs postulent l‟existence d‟une relation entre l‟ouverture du port vélo-pharyngal durant le stade du babillage et ses conséquences sur le système phonologique de l‟enfant (Harding & Grunwell, 1995). Mais cette relation n‟aurait pas le même impact sur tous les enfants, étant donné que chacun a des capacités de langage et de parole différentes. Une évaluation objective de la fonction du port vélo-pharyngal à travers des mesures du flux de pression ou de nasomètre pourrait éclaircir l‟étendue de l‟étiologie structurelle opérant entre le groupe de enfants pathologiques et celui sans trouble du langage.

Quelle que soit l‟étiologie exacte de la détérioration de la communication, les résultats de l‟étude de Morris et Ozanne (2003) ont déterminé qu‟à deux ans, il est possible d‟identifier cliniquement

un sous-groupe d‟enfants avec fente palatine qui présente des risques de troubles du langage et de la parole.

Il est possible de déterminer des groupes, différents au niveau de l‟expression langagière, du pourcentage de consonnes réalisées correctement, du répertoire phonétique et de l‟usage des processus phonologiques (cf. tableau 6, Chapman, 1993). Le groupe qui présentait un retard des capacités d‟expression du langage à deux ans le présente encore à trois ans, et il a un trouble plus important du développement de la parole.

Dans cette première section, nous avons présenté des articulations compensatoires de différentes natures, ainsi que leur exploitation chez les locuteurs porteurs de fente palatine. Nous avons vu que tous n‟ont pas forcément recours à ces articulations, et que les locuteurs ont des degrés de compensation différents.

Une des articulations compensatoires les plus courantes est la double articulation, pour laquelle le locuteur réalisera deux contacts simultanés dans le conduit vocal pour une même consonne.

Celle-ci peut être de nature différente, selon les articulateurs mis en mouvement pour sa réalisation. Ce phénomène est examiné dans ce qui suit.

II.4.2. La « double articulation » ou faire deux choses à la fois chez le

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