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Caractéristiques de la parole chez des adultes opérés de fente palatine mais ayant une fonction vélo-pharyngale satisfaisante

D’UNE CIBLE

II.2. Les malformations palatines et leurs conséquences

II.2.3. Caractéristiques de la parole chez des adultes opérés de fente palatine mais ayant une fonction vélo-pharyngale satisfaisante

Donnons à présent une description des productions de la parole d‟adultes opérés d‟une fente palatine, description d‟abord aérodynamique, puis articulatoire.

II.2.3.1. Fonction vélo-pharyngale : au niveau aérodynamique

Dalston et al. (1990) ont comparé les mesures de pression nasale et intra-orale de 20 adultes sans fente palatine avec celles de 26 adultes opérés d‟un palais fendu. Tous les sujets ont une fonction vélopharyngale satisfaisante, vérifiée par un test aérodynamique préalable. Les locuteurs étaient considérés comme ayant une fermeture satisfaisante si l‟espace vélopharyngal n‟était pas supérieur à 0.049 cm² durant la production du [p] dans [hamper].

L‟étude a révélé que les locuteurs sans fente palatine se sont démarqués des locuteurs porteurs de fente, avec une parole contenant significativement moins de flux nasal et une courbe de pression intra-orale décalée temporellement vers l‟avant (cela est sans doute lié à la difficulté des locuteurs pathologiques à produire la pression nécessaire rapidement). Ces différences suggèrent que les locuteurs ayant une fente palatine avec une fonction vélopharyngale satisfaisante ont recours à certains ajustements compensatoires qui leur sont nécessaires en raison de leur capacité réduite à produire des mouvements vélopharyngaux correctement.

Il a en effet été démontré que, pour une même cible articulatoire, une grande variabilité de mouvements est possible, et chaque individu possède son propre système. Kuehn et al. (1982) remarquent que l‟activité du muscle levator palatini*, associée à une élévation vélaire, varie considérablement selon les productions, chez des locuteurs sans trouble de la parole, et dépend en grande partie du degré d‟activité réalisée en même temps par le muscle palatoglosse*.

Karnell et al. (1985), dans une étude cinéradiographique observant 4 femmes adultes opérées d‟une fente palatine postérieure, repèrent des mouvements articulatoires diversifiés chez les locuteurs présentant des distorsions de résonance similaires. En raison de la multitude de fermetures vélopharyngales pouvant être réalisée, ils suggèrent que l‟imitation du modèle

articulatoire d‟un sujet sans fente palatine n‟est pas l‟adaptation la plus appropriée pour un locuteur avec une fente palatine. Pour compenser l‟altération vélopharyngale, le meilleur moyen pour ces locuteurs est de réorganiser leur système moteur en l‟adaptant à leur propre structure, totalement unique.

Warren et al. (1989a) ont trouvé, dans une étude aérodynamique comparant les deux types de locuteurs (avec ou sans fermeture vélopharyngale satisfaisante), que le groupe contrôle (locuteurs ayant une fente palatine mais une fermeture satisfaisante, inférieure à 0.05 cm²) avait la pression intra-orale la plus grande, tandis que le groupe ayant une fermeture insuffisante (supérieure à 0.20 cm²) avait la pression intra-orale la plus basse, tel que nous pouvions le prévoir.

Le but de l‟étude de Dalston et al. (1990) était d‟étendre les résultats de Warren et al.

(1989a), en comparant les caractéristiques aérodynamiques de la parole chez des locuteurs ayant une fente palatine mais une fonction vélopharyngale jugée suffisante, et des locuteurs de contrôle.

Ces deux groupes parviennent tous deux à des fermetures satisfaisantes, mais par des moyens différents. Les paramètres aérodynamiques, tels que la pression d‟air intra-orale et le flux d‟air nasal, varient avec l‟âge (Bernthal & Beukelman, 1978 ; Stathopoulos & Weismer, 1985 ; Dalston et al., 1988 ; 1990). Les locuteurs de cette étude sont âgés d‟au moins 15 ans, âge correspondant à la limite la plus basse de l‟âge adulte, où la cavité nasale et les performances de la parole se stabilisent. Il se peut également que la pression intra-orale et le flux d‟air nasal varient selon le sexe du locuteur (Subtelny et al., 1966 ; Emanual & Counihan, 1970 ; Dalston et al., 1990).

Les premières analyses statistiques ont montré que le groupe de patients ayant une fente palatine ont une zone d‟ouverture vélopharyngale significativement plus grande que celle des sujets de contrôle, même si la différence reste minime (0.013 cm²). Aucun locuteur ne montre de trace d‟hypernasalité ou d‟émissions d‟air nasal perceptibles dans sa parole.

Bien que les deux groupes semblent avoir des capacités similaires quant à la réalisation de la fermeture vélopharyngale, les analyses de variance ont révélé des différences significatives sur au moins une des variables incluse dans l‟analyse, au niveau du flux d‟air. Les mesures de pression ne montrent pas de différences, ce qui est étonnant dans la mesure où les locuteurs porteurs de fente ont plus de difficultés à produire la fermeture. En revanche, les différences sont significatives entre les groupes au niveau du flux d‟air, comme on pouvait s‟y attendre au regard des études précédentes (Warren et al., 1985 ; Warren et al., 1989a). Les valeurs de mesures du flux d‟air nasal augmentant selon les groupes, avec le degré d‟importance d‟insuffisance vélopharyngale (Warren et al, 1985 ; Warren et al., 1989a), les sujets ayant une fente palatine dans l‟étude de Dalston et al. (1990) diffèrent des sujets de contrôle. Des recherches ont montré que la durée différencie également les patients ayant une fermeture satisfaisante de ceux dont le degré de fermeture est insatisfaisant (Warren et al., 1989a).

Même si le groupe de locuteurs ayant une fente palatine présente une fermeture vélopharyngale satisfaisante, il apparait que ces locuteurs font certains ajustements qui sont décelables dans leur performance aérodynamique. Le flux d‟air nasal et la pression d‟air intra-orale reflétant l‟effort respiratoire, il semble qu‟ils réduisent leur effort respiratoire, peut-être dans le but de minimiser la perte à travers le port vélopharyngal et de concentrer l‟air au maximum dans la production de la parole. Cette conclusion se base sur le fait que, chez le groupe de locuteurs opérés d‟une fente

palatine, la moyenne de pression intra-orale est légèrement plus basse, et la moyenne de flux d‟air nasal significativement plus basse.

Dalston et al. (1990) ont également trouvé que la pression du pouls associée au [p] dans le mot [hamper] était décalée temporellement en avant, bien que l‟étendue fût moindre en comparaison avec des patients ayant des degrés variés d‟insuffisance (Warren et al., 1989a). Ce changement peut expliquer pourquoi le pic de pression de flux nasal était plus grand chez les sujets opérés d‟une fente palatine par rapport aux sujets de contrôle. L‟essence de l‟hypothèse de régulation du système est une tentative de maintien de la pression adéquate, pour que la production des consonnes soit faite, lorsqu‟il y a une baisse de la résistance à l‟intérieur du conduit vocal. Les stratégies déployées par les locuteurs en réponse à un défaut structurel tendent à assurer la stabilité de la pression. Le conduit vocal est perçu comme un tube contenant les composés oraux, nasaux, pharyngaux et glottaux, avec les poumons comme source d‟énergie. Chaque composant du système peut offrir une résistance au flux d‟air. Le programme du contrôle moteur de la parole coordonne les activités de ces structures, de façon à ce que les parties fonctionnelles et anatomiques du système de la parole soient contraintes d‟agir ensemble vers un but commun. A l‟intérieur de cette structure, l‟activité des systèmes respiratoire et articulatoire sont sensés être coordonnés dans le but de réguler la pression de la parole (Warren, 1986). Le problème de coordination des mouvements, chez les locuteurs porteurs de fente palatine, pourrait également entrainer des problèmes plus généraux dans la parole.

Des recherches antérieures indiquent qu‟une baisse de la résistance au niveau du port vélopharyngal est associée à une augmentation de l‟effort respiratoire, dans une tentative de garder la pression à un niveau adéquat pour la production de la parole (Warren, 1967 ; Warren et al., 1985 ; Warren, 1986 ; Minsley et al., 1987 ; 1988). Les résultats de Dalston et al. (1990) suggèrent que les individus ayant une fente palatine et une fonction vélopharyngale suffisante peuvent en fait réduire leur effort respiratoire durant la parole.

Le pic le plus bas de flux d‟air nasal observé chez les sujets ayant une fente palatine peut refléter simplement l‟existence d‟une résistance plus importante de la voie respiratoire nasale chez ces sujets. D‟autres recherches vont dans ce sens (Warren et al., 1987, Warren et al., 1989b). La moyenne de flux nasal est significativement plus petite chez les locuteurs ayant une fente palatine que chez les adultes sans fente. Cela peut être dû, en partie, à une différence de taille des cavités nasales, mais elle n‟est pas le seul facteur soulignant les différences de pic de flux d‟air nasal entre ces deux groupes. En effet, une autre hypothèse est possible ; la réduction du flux nasal durant la production du [m] par les sujets ayant une fente palatine peut être due aux effets combinés de la résistance passive dans la cavité supérieure, couplée avec une réponse anticipatoire pour assurer que la consonne suivante [p] soit produite sans émission d‟air nasal. Cette anticipation impliquerait une réduction de l‟effort respiratoire, qui causerait une baisse de flux d‟air nasal durant le [m], et une baisse de la pression intra-orale durant la consonne [p].

Il est également possible que la réduction du flux d‟air nasal durant la consonne nasale soit le résultat de changements actifs dans la zone nasale (Warren, 1986a), ou d‟une réduction dans l‟ouverture du port vélopharyngal durant la production de la consonne nasale. Il semblerait, de

plus, que les mouvements de fermeture vélopharyngale soient plus lents chez les locuteurs ayant une fente palatine ; le vélum étant moins musclé, il est de fait moins dynamique.

Le pic de pression du flux d‟air nasal est significativement plus grand chez les locuteurs opérés de fente palatine. Cela rejoint les résultats des études plaçant l‟hypernasalité comme trait caractéristique de la parole des locuteurs atteints de fente palatine. Ce trait, même s‟il est compensé par les locuteurs adultes, reste sous-jacent dans leur production de la parole.

Si la fonction vélopharyngale est satisfaisante pour maintenir une pression adéquate pour la production de la parole, le locuteur est libre de faire des ajustements mineurs pour optimiser ses performances de langage (Laine et al., 1988). Dans le but de minimiser l‟hypernasalité et les émissions d‟air nasal dans la parole de certains patients, les cliniciens peuvent recommander l‟utilisation de contacts articulatoires légers et une réduction de toute la puissance vocale. C‟est ce qu‟ont fait ici naturellement les patients opérés d‟une fente palatine.

Ainsi, nous retiendrons que les différences aérodynamiques, observées entre le groupe de locuteurs ayant une fente palatine, mais un degré satisfaisant de fermeture du port vélopharyngal, et le groupe de locuteurs sans trouble de la parole, s‟expliquent surtout en termes de différentiel d‟efforts respiratoires.

Voyons à présents quelles différences s‟opèrent au niveau articulatoire.

II.2.3.2. Fonction vélo-pharyngale : au niveau articulatoire

Nous nous intéressons ici plus particulièrement à une étude réalisée par Yamashita et Michi (1991), car celle-ci apporte des informations sur la façon dont l‟air traverse le conduit vocal, et les conséquences articulatoires, chez des sujets opérés d‟une fente palatine, qui, nous le verrons, conservent certaines habitudes.

Yamashita et Michi (1991) ont mené une étude éléctropalatographique sur 3 patients opérés d‟une fente palatine, qui ont une voûte palatine normale et qui obtiennent une fonction vélopharyngale satisfaisante. Ainsi, les auteurs ont pu observer les caractéristiques communes du contact linguo-palatal, bien que celui-ci ait été réalisé à la frontière de la norme, ou plus postérieurement par rapport à la norme. Cette déviance articulatoire a trois sources possibles, selon la direction des émissions du souffle : les « erreurs » articulatoires de palatalisation (l‟air passe le long de la ligne médiane du palais), les « erreurs » articulatoires latérales (l‟air passe latéralement à travers l‟arcade dentaire) et les « erreurs » articulatoires nasopharyngales (l‟air sort par le nez). Ces trois déviances articulatoires sont considérées comme étant similaires au « modèle articulatoire postérieur » (posterior articulatory pattern), intraitable chez les patients atteints de fente palatine. Cette étude montre cependant que ces « erreurs » articulatoires peuvent être produites aussi par des locuteurs opérés d‟une fente palatine mais ayant atteint une fonction vélopharyngale satisfaisante et ayant une voûte palatine normale.

Nguyen et al. (1996) ont montré, grâce à une étude EPG, le fait que le modèle de contacts linguo-palatal peut être réduit à un petit nombre de paramètres indépendants, et les deux paramètres de contrôle les plus importants semblent être associés aux contacts linguo-palatal

dans la zone alvéolaire et la zone palatale, respectivement. Aussi, l‟apex et le dos de la langue sont deux articulateurs indépendement contrôlables (Hardcastle, 1976) ; cela donnerait une indication quant à la liberté de mouvements qu‟ont les locuteurs pathologiques pour effectuer ces différents contacts en fonction de leur perturbation. Nguyen et al. (1996) notent encore que certain contacts reflètent les articulations particulières qui peuvent être dues à un facteur anatomique, tel que la forme de la voûte palatine, par exemple. Ainsi, chaque locuteur aurait des stratégies articulatoires adaptées à son anatomie.

Michi et al. (1986), dans un article rapportant une étude menée sur une patiente de 6 ans opérée d‟une fente labio-palatine, décrivent des déviances articulatoires de type palatal et latéral, perçues au moyen de l‟éléctropalatographie, de la radiographie latérale et de l‟examen du flux d‟air. Les constrictions ou occlusions sont réalisées chez cette patiente à la limite de la partie postérieure du palais dur, et antérieure du vélum. Yamashita et Michi (1991) considèrent que les erreurs articulatoires de palatalisation et les occlusives middorso-palatales sont toutes deux produites par le même mouvement articulatoire ; la pointe de la langue est rétractée, et l‟arrière, ainsi que le milieu du dos de la langue, s‟élèvent de façon à créer un contact palatal postérieur.

Yamashita et al. (1981), Michi (1986) et Michi et al. (1986) concluent que le flux d‟air passe latéralement, en dehors d‟une arcade dentaire occluse à travers des espaces antérieurs aux molaires, et la langue maintient un contact linguo-palatal continue complet durant l‟énoncé de l‟erreur articulatoire latérale (considérée comme étant produite entre la muqueuse buccale et l‟arcade dentaire). Hardcastle et al. (1989) établissent le fait que le modèle éléctropalatographique pour les fricatives [s z H] mal articulées ne montre aucune évidence dans la zone alvéolaire. La langue établit un contact complet avec le palais dans cette zone, et l‟air est présumé forcer latéralement entre les dents et la paroi de la joue.

Michi (1986) conclut que l‟air ne passe pas par la surface du palais dur mais à travers le nez. La langue maintient son contact lingo-palatal tout au long de l‟articulation naso-pharyngal.

Celle-ci serait similaire au zézaiement nasal défini par Power (1971).

Les résultats de l‟étude de Yamashita et Michi (1991) ont révélé un VOT plus long que la normale pour le [t], avec une transition de F2 décroissante et une transition de F3 croissante lors de la production du [t] avec la voyelle adjacente [a]. Ces caractéristiques acoustiques, correspondant davantage à la vélaire [g], peuvent être considérées au niveau articulatoire.

L‟examen du flux d‟air du premier sujet confirme que le souffle circule suivant la ligne médiane de la langue. Les données spectrographiques révèlent que les caractéristiques acoustiques des consonnes produites avec une déviation articulatoire palatale se rapprochent davantage des caractéristiques des sons vélaires « normaux » que de celles des sons dentaux ou alvéolaires

« normaux ». Cela concorde avec les résultats de Wakumoto (1989). Chez le deuxième sujet, l‟air circule latéralement à l‟extérieur de la bouche. Les résultats spectrographiques sont en accord avec les conclusions antérieures de Daniloff et al. (1980) et Takahashi (1986) ; tous les sons déformés sont des déviances latérales. Chez le troisième locuteur, c‟est la définition de la nasalisation de Fant (1970) qui est illustrée ; l‟air passe par le nez. La cavité nasale et le conduit vocal forment un seul résonateur lorsque le dos de la langue est en contact avec le palais dur. Ces

résultats concordent avec ceux de Abe (1987). Le troisième locuteur est donc sujet à des

« erreurs » articulatoires nasopharyngales.

Trois facteurs sont considérés comme étant responsables de la position anormalement rétractée de la langue durant la production des sons dentaux ou alvéolaires : l‟insuffisance vélopharyngale (Lawrence & Philips, 1975), l‟existence d‟une fistule oronasale ou d‟une fente palatine (Morley, 1970), ou une déformation du palais dur (Edwards, 1980).

Bien qu‟il soit totalement admis que les patients ayant une insuffisance vélaire tendent à porter leur langue vers l‟arrière de la cavité buccale pour améliorer la pression intra-orale, ce fait est ici étonnant dans la mesure où tous les locuteurs avaient déjà une fonction vélopharyngale satisfaisante. Il s‟agirait alors d‟une habitude articulatoire, qui justement leur permet d‟atteindre cette fonction. De nombreuses recherches (Trost, 1981, Gibbon & Hardcastle, 1989, Hardcastle et al., 1989, Suzuki, 1989, Peterson-Falzone & Graham, 1990, Yamashita et al., 1981, Michi, 1986, Michi et al., 1986) décrivent que les patients ayant une fente labiale, palatale ou alvéolaire uni- ou bilatérale montrent davantage de déplacements postérieurs de la langue que les patients ayant une fente palatine isolée.

Le velum étant un articulateur qui a une grande responsabilité dans la production de la parole, les locuteurs touchés par des défauts d‟insuffisance vélaire se voient contraints de compenser les perturbations induites par ce manque. Ainsi, nous avons pu remarquer que ces locuteurs, pour pallier ce problème, vont avoir tendance à mettre leur souffle à disposition de la parole, au détriment de la respiration. Aussi, au niveau articulatoire, ils placeront la langue vers l‟arrière, afin d‟améliorer encore la pression intra orale.

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