Passer d’un site amateur à un site commercial

Malgré la passion et la bonne volonté des créateurs de sites-hébergeurs amateurs envers leurs projets, ceux-ci abandonnent leur création à la suite des problèmes économiques. L’appel du pied de Gigandet pour voir des entreprises investir le blogue aura marqué le début de la fin pour son site et pour les autres. Avec l’échec des sites-hébergeurs amateurs, de nouveaux acteurs prennent le relais afin de commercialiser les blogues. La transition est marquée par le rachat des sites amateurs suivi par des investissem ents pour améliorer le service et la mise en place de plans d’affaires avec la vente de licences d’exploitation à des acteurs ciblés, dont les médias d’information, et d’éventuels partenariats avec d’autres sociétés.

BARBEAU Jean-Sébastien| Thèse de doctorat | juin 2018

U-Blog est vendu à l’homme d’affaires Loïc Le Meur. À la fin de l’année 2003, ce dernier transforme la raison sociale du site en créant la société anonyme UBlog SA. Il se trouve, alors, seul maître à bord après le départ de Le Solliec. Pourtant, Le Meur dirige une société dans laquelle il ne détient aucune expertise. En effet, il n’a aucune connaissance dans les blogues et n’en a jamais animé un. Cependant, Le Meur est connu dans le numérique. Depuis la fin des années 1990, il a développé des affaires en lien avec le web et il profite de la bulle numérique pour parfaire ses connaissances de ce secteur en émergence. Quant au blogue, il fait ses classes en l’espace de quelques mois : il lance une page dans laquelle il se présente comme chef d’entreprise et observateur de la transformation du monde des technologies de l’information et de la communication. Sa communication affûtée lui permet de séduire un nombre élargi d’internautes. Avec cette stratégie, dès l’été 2004, il devient un personnage incontournable du web français et une figure médiatique1 (Libération, 11/12/20062).

Son modèle d’affaires se précise en même temps qu’il parfait ses images de webentrepreneur et de blogueur. À partir de mars 2004, Le Meur forme une alliance avec le groupe Six Apart3 éditeur des logiciels Movable Type et Typepad. Il devient l’agent commercial exclusif pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Ces deux logiciels de blogues détiennent une position de leader sur ce marché des logiciels payants. Pour Le Meur, ce partenariat est la meilleure solution pour développer les blogues en France, car l’objet est méconnu des élites. Avec la croissance du web à venir, Le Meur croit que le blogue est le meilleur outil de communication. Le modèle économique de Six Apart est basé sur la vente de licences d’exploitation des deux logiciels. Or, la vente de licences de blogues n’est pas simple. Deux mois après la refondation d’U-blog dans une version payante, seuls 129 comptes sont créés. Ce

1 _{En 2004, il créé LeWeb, une série de conférences axée sur le numérique et les blogues.} 2 _{Libération, 11/12/2006, « Blog moteur », ALIX, C., p. 36}

3 _{Brièvement, Six Apart est fondé par un couple de programmeurs en informatique Ben et Mena Trott. Ceux-ci sont déçus de}

Blogger qu’ils jugent incomplet. Ils décident de faire leur propre logiciel afin d’avoir un produit qui sied à leurs besoins. Movable Type est le premier logiciel créé, suivi de TypePad (Rosenberg, 2009 : 309).

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nombre est maigre par rapport aux 21 000 blogues que compte U-blog à la fin de l’ère gratuite (Trédan, 2012 : 231-232). Ainsi, Le Meur sait que peu d’internautes sont prêts à payer une tarification mensuelle (Typepad) ou une licence (Movable Type) lorsqu’il existe de nombreuses solutions gratuites. Pour y arriver, Le Meur vise trois types d’acteurs bien circonscrits : les acteurs économiques, politiques et médiatiques qui, jusqu’alors, étaient absents de la blogosphère. Tous sont séduits par un premier argument : l’élimination des intermédiaires entre l’émetteur et le public cible. L’entrepreneur défend un second argument de vente auprès des médias avec la fidélisation d’une audience. Cet argument touche une corde sensible pour les médias. La solution TypePad séduit un grand nombre de médias dont Le Monde et Libération.

Deux autres acteurs, Philippe Pinault et de Olivier Ricard, font leur arrivée dans les blogues par l’entremise du rachat du site Haut-et-Fort vendu à la fin de l’année 2004. Le service est renommé blogSpirit, pour un lancement commercial le 4 novembre (Libération, 11/12/2004a1). Le modèle d’affaires reprend celui établi par Le Meur : rejoindre les acteurs médiatiques qui ont la possibilité d’aligner des sommes importantes pour acheter des licences d’exploitation. Toutefois, Pinault et Ricard n’obtiennent pas la même popularité étant arrivés après Le Meur dans ce marché. En quête de reconnaissance, ils réalisent des plateformes de blogues pour des sociétés diverses et parfois à perte (Trédan, 2012 : 238).

1.5.4 En conclusion

Les blogues en France sont, d’abord, l’affaire des expatriés. Les Français vivant aux États-Unis sont des observateurs de premier plan des changements technologiques et communicationnels du web états-unien et anglo-saxon. Ils reprennent des formes prisées par les internautes états-uniens et créent des offres à la française comme c-est- tout.com. Le fer de lance de ce mouvement est la radio Skyrock qui lance Skyblogs. La

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présence de ce joueur médiatique transforme la conception du blogue français et met fin aux aventures amateurs, car criblée de dettes et inondée par les adolescents qui s’engagent sur ces petits sites-hébergeurs. La reprise de ces sites est faite par des hommes d’affaires qui veulent amener les blogues à un autre niveau en visant les entreprises dont les médias, et non uniquement les consommateurs, en surfant sur la vague de Skyblogs.