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Les blogues, un élément du plan d’ensemble du lefigaro.fr En 2004, dans les mois suivant le rachat du Figaro par le groupe Dassault, le journal

Présentation des hypothèses

1 DISPATCHES FROM ALONG THE COAST :

2.4 Une presse en profonde crise : une seconde percée des blogues (période 2008 à 2014)

2.4.2 Des projets plus ou moins structurés à partir de l’année

2.4.2.1 Les blogues, un élément du plan d’ensemble du lefigaro.fr En 2004, dans les mois suivant le rachat du Figaro par le groupe Dassault, le journal

BARBEAU Jean-Sébastien| Thèse de doctorat | juin 2018

sites d’information français. Les choix opérés pendant plus de dix ans font passer lefigaro.fr d’un « portail » à un « écosystème complet ». La montée en popularité de la marque Le Figaro dans le web tient à la façon dont il diversifie ses contenus dans le pôle journalistique, propose des services généralistes et spécialisés, et segmente le site en de nombreuses rubriques afin de multiplier les portes d’accès au site (Joux, 2017 : 1191). Quant aux blogues, ils s’introduisent dans ce déploiement du site.

Les trois premières années de ce plan, entre 2005 et 2007, sont marquées par la refondation du site et du journal. De nouvelles chartes visuelles sont appliquées pour uniformiser les deux supports. Dans la version en ligne, Le Figaro réalise des alliances avec des partenaires et achète des sites d’information-service ou des services payants pour rehausser son offre : bourse, météo, site de vente privée, etc. Ces opérations financières créent de la valeur à la fois pour les lecteurs, qui sont plus captifs, et pour les annonceurs, qui profitent d’un meilleur ciblage (Joux, 2017 : 127-128).

À l’intérieur du Figaro, les journalistes prennent conscience des transformations du groupe et veulent s’impliquer, car, en définitive, l’avenir de leur emploi est en jeu. Une journaliste d’information, qui travaille sur la question de l’économie numérique, est contrariée par le choix de la rédaction imprimée de ne pas augmenter le nombre de pages sur ce sujet qui est en pleine expansion. Pour pallier ce manque d’espace, elle se tourne vers l’animation d’un blogue. Cette journaliste connaît son fonctionnement, puisqu’elle en anime un sur son temps libre. Lorsqu’elle fait la proposition à la rédaction en chef web, au début de l’année 2007, la journaliste se heurte à un refus. Le rédacteur en chef avance deux raisons. La première est d’ordre conceptuel : il considère que le blogue ne sert qu’à exprimer son opinion. La production d’un blogue placerait alors la journaliste dans une position contradictoire où elle informe dans l’imprimé et commente sur le blogue. La seconde raison est commerciale. La publication

1 JOUX, A. (2017), « Stratégies de marques et stratégies éditoriales du Groupe Figaro. Du portail à l’écosystème intégré par

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d’informations exclusives sur le web nuirait à l’édition papier. À ce moment, le journal privilégie l’imprimé au web et le site est encore perçu comme une façon d’attirer l’internaute vers l’édition papier :

« Vers 2006, j’ai eu envie d’écrire sur le site parce que je pensais qu’il se passait quelque chose. C’est un moment tournant. Dans mon secteur, il y a de plus en plus de choses avec les médias numériques et des services se lancent. Malheureusement, le journal papier ne grossit pas les pages pour ce secteur. En fait, le journal stagne et coupe même des pages. Du coup, j’avais une idée de faire un blogue pour traiter mon sujet, car il n’y avait pas forcément la place dans le papier.

J’ai pitché mon idée de blogue la première fois au rédacteur en chef du web au printemps 2007. La réflexion qu’on m’avait faite, et que je trouvais éloquente, c’était qu’on ne veut pas que les journalistes tiennent des blogues parce que leur job n’est pas de commenter sur l’actualité qu’ils sont supposés rapporter. Donc il y avait cette notion entre ce qui est factuel, soit le site, et ce qui est le commentaire, soit le blogue. Et l’autre question, c’était que de toute façon si on avait des scoops, il ne faut pas les mettre sur le blogue, mais il faut les réserver pour le papier, car la primeur lui revient.

Il y avait donc cette double réticence qui était : d’un côté si vous faites un blogue d’opinion, vous donnez votre avis sur des choses alors que vous êtes censés donner dans le factuel, et l’autre, au cas où vous envisagiez le blogue comme quelque chose de factuel, nous ferions alors concurrence au journal papier. J’ai alors contourné les règles et j’ai créé un second blogue sur une plateforme indépendante que je n’ai pas cherché à promouvoir. Je voulais le faire pour moi. Je chroniquais de petits sujets d’actualité qui étaient dans cette idée pitchés pour affiner mon idée jusqu’au jour où l’on accepterait mon projet » (Journaliste France-9).

Ce n’est que quelques mois plus tard que la rédaction web s’intéresse aux blogues. Alors que l’équipe managériale du web se renouvelle, un premier blogue est lancé au mois de septembre 2007 avec Route 44. De plus, pendant l’installation de ce blogue, le

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journal adopte une nouvelle position concernant l’information sur le web : il considère que le site peut offrir des informations inédites ou exclusives comme le fait Route 44. Ainsi, le blogue n’est plus considéré seulement comme un outil de diffusion d’opinion et ne cannibalise plus le papier. Au début de l’année 2008, notre enquêtée constate que quelques-uns de ses confrères animent des médiablogues et cette situation ravive son projet :

« Quelques mois après mon pitch, il y a eu des changements dans le management et aussi dans l’écosystème des médias. Je ne sais pas ce qui a été le facteur décisif, mais un matin, j’ai vu Bertrand Dicale, le chroniqueur musique, qui avait un blogue et un ou deux éditorialistes qui en avaient aussi. Du coup, je suis retournée voir la rédaction web et j’ai demandé en disant que moi aussi j’en voulais un, car d’autres en font. Ils étaient partants d’avoir un blogue en plus. Bref, c’est un changement de position complet » (Journaliste France-9).

Les blogues deviennent un rouage du développement du site web à compter de l’année 2008. Après le recrutement initial de quelques membres de la rédaction (la correspondante basée à Washington, des éditorialistes et des chronique urs), le journal invite les journalistes d’information ainsi que les autres correspondants à créer leur page. D’ailleurs, Le Figaro désire que les médiablogues aient les sujets les plus variés afin d’attirer un plus large public possible. La chefferie du web est très réceptive à l’idée des blogues : elle accepte tous les projets, mais elle exige que les médiablogues s’inscrivent dans l’actualité pour capter les internautes. Les enquêtés du Figaro, que nous avons rencontrés, soulignent que l’éclectisme des médiablogues est une qualité du site :

« C’est très hétéroclite. Pour Yves Thréard ou Ivan Rioufol, le blogue est un endroit pour publier leurs éditos et leurs opinions. Ils sont hyper polémiques et ils entraînent un certain trafic et un pic d’audience. À côté, vous avez un Georges Malbrunot, qui fait des papiers mi-reportages, mi-analyses sur des sujets et qui sont aussi très particuliers, et qui vont intéresser 400 personnes chaque jour. Enfin, vous avez des blogues aux sujets

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extrêmement précis comme celui de Bertrand Guyard, sur les Échecs, qui décrit les grands matchs en donnant les mouvements sur la grille de jeu » (Journaliste France-11).

La participation de la rédaction est forte, le site compte 17 médiablogues en septembre 2008 et leur nombre passe à 36 au milieu de l’année 2010. D’après les journalistes rencontrés, la chefferie web soutient les journalistes dans l’animation de blogues : la promotion de leur espace est assurée par les secrétaires de rédaction web qui relaient les billets sur la page d’accueil du figaro.fr1.

L’engouement de la chefferie web pour les blogues dure cinq ans. Au début de l’année 2013, Le Figaro adopte la position « web first » qui donne la priorité au site web2. Dorénavant, avec la position web first, la rédaction exige des médiablogueurs qu’ils soumettent leurs sujets de blogues en conférences de rédaction. Tout sujet ayant des informations exclusives est obligatoirement attiré sur le site web par défaut. En somme, cette position web first est un recul pour les animateurs, car la publication de billets est plus rare et mène, en conséquence, à un abandon progressif des médiablogues :

« Au début, quand je suis arrivé, c’était la prime au blogue et c’est devenu la prime aux rubriques avec la nouvelle formule au site en 2013. Quand j’avais des informations ou des analyses exclusives, on me demandait de passer par lefigaro.fr et non plus par le blogue. Maintenant, les blogues sont forcément décalés. Plusieurs de mes collègues ont arrêté de le faire pour ça. Ils ne voyaient plus d’intérêt à écrire sur un espace où l’on écrit rien d’original. Et là, dans les derniers mois [de 2013], on a lancé Figaro Vox, un espace qui centralise toute la production des journalistes à la façon d’un réseau social. Toute notre production est regroupée dans un seul grand fil. Il n’y a plus besoin de publier dans un blogue ou sur le site, car tout se trouve

1 Nous aurons l’occasion de discuter de ce point au Chapitre 6 (cf. 6.2 La mise en ligne : choisir un moment idéal).

2 Au Figaro et dans les autres journaux, les organisations font une distinction entre le site et les blogues, bien que ces derniers

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là. Donc, pour plusieurs de mes collègues, les blogues sont morts de leur belle mort » (Journaliste France-19).

L’abandon progressif des blogues est manifeste : lors du recensement de notre population au 1er avril 2014, nous avons identifié 18 médiablogues actifs, soit moitié moins par rapport à l’année 2010.

2.4.2.2 Le Responsable des blogues du Monde : un rôle éditorial et

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