Présentation des hypothèses
1 DISPATCHES FROM ALONG THE COAST :
2.3 Une croissance graduelle du médiablogue (période 2004-2007)
2.3.2.4 La création de plateformes d’hébergements de blogues inspirée de Skyblogs
La popularité des blogues durant la précédente décennie n’est pas réservée qu’au monde journalistique : les blogues connaissent une popularité retentissante dans toute la société et
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l’économie de ce dispositif se révèle florissante1. En France, la radio urbaine Skyrock se
démarque avec sa plateforme Skyblogs : entre 2004 et 2008, le nombre de blogues est multiplié par vingt, passant de 500 000 à 10 millions2.
Bien que les médias d’information ne soient pas intéressés par les contenus de cette plateforme, qui est constituée de journaux personnels et de journaux intimes animés par des adolescents, ils convoitent son succès économique. Olivier Trédan (20123) souligne que l’espace publicitaire sur la page d’accueil de Skyblogs peut être vendu jusqu’à quelques centaines de milliers d’euros pour une seule journée. Au regard de ces chiffres, des titres de presse écrite entrevoient un potentiel de croissance économique pour leur entreprise s’ils développent à leur tour une plateforme d’hébergement de blogues pour les internautes. Ainsi, les médias vont librement s’inspirer de la stratégie de Skyrock à des degrés divers, mais ce ne sont pas toutes les organisations qui créent des plateformes.
Ainsi, Le Monde réserve la création de blogues aux abonnés du site pour des raisons de contrôle de contenu. L’abonnement opère comme une sélection faisant office de barrière afin d’éviter des blogues médiocres et des contenus adolescents. Pour ce faire, il faut être abonné à la version web et opérer une transaction par carte bleue . Or, peu d’adolescents en sont détenteurs4. En plus des abonnés, le journal invite des
personnalités de la société civile et des journalistes indépendants à tenir des blogues. Ces animateurs « invités » sont rémunérés par un échange de revenus publicitaires5. La
plateforme du Monde ne connaît pas une popularité retentissante en termes
1 Pour rappel, au début de l’année 2008, le site spécialisé Technorati dénombre 120 millions de blogues de langue anglaise
(cf. 1.2.3 Les premiers sites-hébergeurs de blogues : à la frontière du journalisme).
2 Pour plus de détails sur la plateforme Skyblogs, nous renvoyons le lecteur au Chapitre 1 (cf. 1.5.2 Les jeunes, Skyblog et
l’impact sur les sites-hébergeurs amateurs).
3 Op. cit., TRÉDAN, O., 2012
4 Cette stratégie d’évincement rappelle le projet Viabloga (cf. 1.5.2 Les jeunes, Skyblogs et l’impact sur les sites-hébergeurs
amateurs).
5 Nous reviendrons, plus loin, sur les blogues invités du Monde (cf. 2.4.2.2 Le Responsable des blogues du Monde : un rôle
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quantitatifs : peu d’abonnés créent des blogues. En 2007, d’après Bénédicte Toullec (2010 : 151), l’on compte seulement 51 blogues d’abonnés.
Pour d’autres titres de presse comme Le Télégramme, Le Parisien, Le Midi Libre, 20 Minutes ou Le Nouvel Observateur, le degré d’ouverture à l’égard des internautes est plus grand. En plus d’inviter des personnalités à écrire sur leur site, ils incitent également les internautes à créer gratuitement leur page. Ainsi, les internautes n’ont pas à être abonnés au site de leur média favori pour tenir un blogue. Les titres reprennent la stratégie de Skyrock afin d’obtenir un maximum d’internautes.
Enfin, les quotidiens nationaux que sont Libération, Le Figaro, Les Échos, L’Équipe et La Croix ne créent pas de plateforme pour les internautes. Les blogues sont uniquement réservés à leurs journalistes et aux personnalités invitées1.
Cette variation dans l’ouverture aux internautes fait dire à Bénédicte Toullec (2010 : 150-151) que
« la co-présence visible de ces deux catégories de locuteurs [journalistes et internautes] dans un même espace ne doit toutefois pas masquer les autres éléments du dispositif dont l’importance, notamment d’un point de vue technique et économique, peut avoir un impact tout aussi majeur sur la situation et les développements potentiels de ces blogs, comme en témoigne par exemple les différents degrés d’ouverture au public en fonction des médias étudiés. La présence de blogs dans différents titres de presse ne recouvre pas la même réalité. Ainsi, dans les cas étudiés, certains médias (Le Monde.fr) vont limiter la possibilité de créer un blog à leur lectorat alors que d’autres vont l’étendre à tout public (20Minutes.fr). L’intérêt de cet objet s’explique également par la relative autonomie du blog ainsi créée, par l’enchâssement de
1 Il en va de même dans les médias québécois. Seul Branchez-Vous! offre aux internautes la création et l’h ébergement de
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plusieurs éléments, et par la co-participation de différents usagers. Il réside aussi dans la capacité à pouvoir saisir ce que les acteurs en présence peuvent mobiliser en termes de ressources, ainsi que leurs modalités d’action, et les phases d’ajustement pouvant exister entre les usagers et l’objet. De plus, dans la sphère médiatico- journalistique, les blogs apparaissent parmi les dispositifs les plus récemment développés. »
2.3.3 En conclusion
Malgré les critiques formulées par des journalistes et par des observateurs des médias, les médiablogues s’installent sur les sites d’information. En effet, le nombre de pages augmente de façon substantielle entre les années 2004 à 2007.
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Tableau 1 – Évolution des médiablogues actifs dans la presse quotidienne nationale
française et québécoise entre le 1er novembre 2003 et le 31 décembre 2007
Titre de presse 1er novembre 2003 31décembre 2007
Le Monde 2 médiablogues Un minimum de
7 médiablogues1
Libération 1 médiablogue 15 médiablogues
Le Figaro 0 médiablogue 1 médiablogue
Les Échos 0 médiablogue 0 médiablogue
L’Équipe 0 médiablogue 0 médiablogue
La Croix 0 médiablogue 3 médiablogues
Total France 3 médiablogues Un minimum de
26 médiablogues2
La Presse 1 médiablogue 12 médiablogues
Le Journal de Montréal 1 médiablogue 4 médiablogues
Le Soleil 0 médiablogue 1 médiablogue
Le Journal de Québec 0 médiablogue 0 médiablogue
Le Devoir 3 médiablogues 4 médiablogues
Total Québec 5 médiablogues 21 médiablogues
Total cumulé 8 médiablogues Un minimum de
47 médiablogues3
Source : auteur4
Au terme de l’année 2007, seuls Les Échos, L’Équipe et Le Journal de Québec n’ont pas encore de blogues sur leur site. Dans le cas des deux quotidiens français, la phase d’observation se poursuit et l’arrivée des blogues est une question de temps comme nous l’avons souligné avec Les Échos. Pour Le Journal de Québec, l’absence de blogues est expliquée par le déclenchement d’un lock-out en avril 2007 qui perdure jusqu’en août 2008, ce qui en fait le conflit le plus long dans le monde médiatique
1 Les outils d’archives sur le web, comme la Wayback Machine ou archive.is, n’ont pu entièrement capturer le site du quotidien
Le Monde pour des raisons de droits d’auteurs. Le résultat que nous proposons pour ce site est un minimum de médiablogues confirmés. Notre approximation se répercute alors le total français et le total cumulé.
2 Ibid. 3 Ibid.
4 À l’Annexe 5 (p. 559), nous avons réalisé un tableau synthèse de l’évolution du nombre de médiablogues dans les deux pays
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québécois à ce moment1. Les tensions existantes dans le média avant le conflit de travail et le déclenchement du lock-out freinent tout projet sur le numérique.
Dans les deux pays, des caractéristiques communes sont à relever tant dans la pratique du blogue par les journalistes que dans l’adoption de l’outil de production par les organisations. Les animateurs partagent, de manière générale, trois traits : ils emploient la première personne, ils écrivent de courts billets et ils ont recourt à l’opinion. Du côté des journaux, ils ont le même objectif de monétiser les blogues, mais ils privilégient des méthodes différentes. Le Québec opte pour une convergence en m obilisant les lecteurs et les internautes vers les blogues par l’entremise des publicités hors-ligne et en ligne. En France, les médias reprennent le modèle Skyblogs et ouvrent des plateformes aux internautes pour qu’ils produisent des blogues. Dans le cas du Monde, le résultat est décevant, car il n’attire qu’une poignée d’internautes. Plus largement, les médias peinent à générer des revenus sur le web : ceux-ci représentent toujours environ 5 % des revenus totaux des entreprises de presse (Pew Research Center, 20072).