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L’arrivée des premiers sites-hébergeurs pour les premiers blogueurs…

Présentation des hypothèses

1 DISPATCHES FROM ALONG THE COAST :

1.4. Les blogues au Québec

1.4.2 L’arrivée des premiers sites-hébergeurs pour les premiers blogueurs…

À l’extérieur du monde anglo-saxon, la connaissance des blogues est très limitée en 1999. La première occurrence du blogue dans le monde médiatique francophone survient en juillet, soit trois mois avant le lancement de la page de Dan Gillmor. Dans un texte québécois, le journaliste en nouvelles technologies Nelson Dumais dit visiter des « webbaillards », une traduction personnelle de weblog. Il cite notamment CamWorld qui représente, d’après lui, une excellente porte d’entrée dans cet univers. Il souligne également que « le Québec ne devrait pas être absent encore très longtemps » (Le Soleil, 25/07/19991) de cette forme de contenu en vogue.

Dumais ne saurait mieux dire sur l’arrivée prochaine de ces webbabillards. Quelques jours suivant son article, le premier des deux sites-hébergeurs de blogues québécois, Pssst!, est créé par Clément Laberge et Carl-Frédéric De Celles d’iXmédia2, une société spécialisée en produits interactifs (La Presse, 30/12/20013). Les publications débutent dès la première semaine du mois d’août 1999 pour se terminer au début de l’automne 2003 (Pssst!, 20004, 20035). Pssst! invite les internautes à alimenter un grand

fil de discussion antéchronologique6 de manière collaborative et anonyme pour dénoncer les travers de l’industrie du multimédia québécois (Pssst!, 20107). L’anonymisation est faite sous pseudonyme avec le canevas « nom_numéro » ce qui empêche toute possibilité d’identification (Le Devoir, 24/09/20018). En regardant de près la structuration de Pssst!, on se rend compte que ce site s’inscrit dans la lignée de sites appelés « microblogging » dont Twitter est la forme contemporaine. S’inspirant de la structure de Memepool (un site où les internautes sont invités à proposer des

1 Le Soleil, 25/07/1999, « 20 juillet 1969 », DUMAIS, N., p. B5 2 Pssst! est hébergé sur les serveurs d’iXmedia.

3 La Presse, 30/12/2001, « La certitude d’avoir raison », AMIOT, M.-A., p. A8

4 PSSST! (2000), « Archives », https://web.archive.org/web/20000313003708/http://www.pssst.qc. ca/liste.pl?v=3 5 PSSST! (2003), « Manifeste pssst #3 », https://web.archive.org/web/20031125002856/http://www.pssst.qc.ca/ 6 Des filtres (thématiques, auteurs, dates, etc.) viennent préciser les contenus.

7 PSSST! (2010), « Manifeste pssst #1 : Pourquoi l’anonymat… »,

https://web.archive.org/web/20100317044047/http://pssst.qc.ca/

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hyperliens vers des contenus drôles, obscurs ou étranges), les créateurs de Pssst! demandent aux participants de réaliser les publications de manière la plus directe et la plus courte possible. Les textes sont alors subversifs et grinçants. De plus, le fil de discussion ressemble à un fil d’actualité où l’entrée la plus récente est trouvée au haut de la page pour être vue par les internautes. Pour ces raisons, le site est populaire dans l’industrie du multimédia et dans le monde restreint des médias.

Le second site-hébergeur est monblogue.com, une initiative du pure player Branchez- vous.com en septembre 2002 (La Presse, 25/09/20021). Monblogue.com veut être la

première plateforme de blogues basée sur le commentaire d’actualité, sans toutefois attirer un nombre important d’internautes. Il n’en demeure pas moins que l’hébergeur de blogues ferme ses portes lors de la fin de Branchez-vous.com à l’été 2012. Lors de la relance de Branchez-vous.com, un an plus tard, le service de blogues n’est pas réactivé. Au-delà de ces deux propositions locales de sites-hébergeurs, les internautes québécois n’en connaîtront pas d’autres, coincés dans un étau entre les propositions techniquement plus avancées des sites-hébergeurs états-uniens et français.

En plus de l’arrivée de ces sites-hébergeurs québécois, les premiers blogueurs qui font fi des services d’hébergements ou de logiciels de création apparaissent sur la Toile. Le mouvement est initié, pendant l’année 1999, par des Anglo-Montréalais qui sont plus proches culturellement des États-Unis. Les premiers Québécois francophones emboîtent le pas l’année suivante. Les plus bilingues des deux communautés linguistiques iront jusqu’à bloguer dans les deux langues pour bâtir des ponts entre les « deux solitudes2 ». Pour forger une communauté unie, un groupe de cinq blogueurs anglophones de l’île de Montréal vont proposer des cafés-rencontres appelés « Firsts Wednesdays » auxquels les francophones sont invités et même souhaités. La création

1 La Presse, 25/09/2002, « Pour ou contre la légalisation de la marijuana », GUGLIELMINETTI, B., p. B4

2 Cette expression canadienne réfère à l’isolement existant entre les deux communautés linguisti ques fondatrices du pays. Il

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de ces moments de socialisation se fait par le truchement de YULBlog1, l’annuaire des blogues de la métropole et librement inspiré des Get-Together des diaristes. La formule attire et devient une activité pérenne pendant plus d’une décennie, puisque les « Premiers mercredis » se tiendront jusqu’en 2011. Elle est la plus ancienne et la plus longue rencontre de blogueurs en personne sur la planète. Au bout du compte, des journalistes indépendants et des journalistes issus des médias vont se joindre à ces rendez-vous pour fraterniser et pour créer des ponts avec des acteurs qui se disent des journalistes-citoyens (The Blork Blog, 20092 ; YULBlog, 20113).

L’héritage laissé par les pages personnelles au Québec est important, puisque la diffusion de tranches de vies personnelles va se transposer dans les blogues et dans les médiablogues québécois. De plus, les blogueurs d’actualité récupèrent les GT et plusieurs journalistes vont se greffer à ces réunions pour approfondir leurs réseaux. Bref, la socialisation en personne des animateurs est une dimension importante dans le web québécois.

1.4.3 …Suivie par les journalistes technophiles

Les journalistes technologiques sont au cœur de l’arrivée des blogues au Québec et particulièrement deux journalistes de la Société Radio-Canada (SRC), le média public. Le premier est Jean-Hugues Roy, ex-animateur de l’émission Branché, avec son défunt Blogue- Off4. Depuis le retrait des ondes du magazine informatique, en 2000, Roy a intégré le Centre de l’information de Radio-Canada, soit la salle de rédaction des journalistes au siège social de Montréal. À l’hiver 2002, le service public est en proie à un conflit entre les employés et la direction sur le renouvellement des accords de travail. À la suite d’un débrayage de

1 YUL est le code aéroportuaire de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal.

2 THE BLORK BLOG (2009), « History of YULBlog », http://www.blork.org/blorkblog/yulblog/ 3 YULBLOG (2011), « YULBlog », http://yulblog.org

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24 heures des employés, ceux-ci sont placés en lock-out1. Roy désire raconter le conflit d’une façon originale et voit dans le blogue une telle possibilité :

« Le plus souvent, dans un blogue, les textes sont courts et horodatés. Ils sont faits de parcelles d’information brute, d’hyperliens, d’impressions sur le vif. Ils combinent la rapidité et l’instantanéité d’Internet avec l’introspection du bon vieux journal personnel. Aux États-Unis, où la mode a été lancée, tout le monde et sa mère a entrepris de bloguer. Plusieurs journalistes s’y sont mis et leurs sites donnent une très intéressante vision des coulisses des médias. Et c’était là mon idée de départ. Dès que le conflit a semblé inévitable, j’ai mis en ligne le site pour en décrire les tripes au jour le jour. Les premiers textes étaient très personnels et racontaient la tension extrême au [Centre de l’information] » (Le Trente, 20022). Le choix du blogue pour raconter le conflit syndical est inédit. Sur la page, hébergée sur Blogger, Roy donne un angle journalistique à ses textes. Pendant les deux mois du différend, il réalise des portraits d’employés, raconte la vie de gréviste et il reçoit aussi, de manière anonyme, des informations des deux groupes en négociations (Les chroniques de Cybérie, 20023). Le choix d’étudier cette page et de l’inclure dans les premiers blogues journalistiques professionnels est contestable : le Blogue-off est littéralement hébergé et produit à l’extérieur du lieu de travail. Par contre, nous avons décidé de mettre en lumière ce blogue, et de fait, de l’inclure dans notre recension, par la démarche journalistique très marquée de Jean- Hughes Roy. En effet, il alimente cet espace avec les codes et les normes de sa profession. Cette volonté de faire son travail est également mentionnée dans les interviews qu’il accorde (Les chroniques de Cybérie, 2002).

Le second blogue à émaner d’un journaliste du service public est celui de Jocelyn Desjardins avec sa page d’information lecourrier.info en 2003. Le journaliste lance son blogue après avoir reçu des réprimandes sévères de sa hiérarchie concernant la qualité de son de travail :

1 Au Canada, l’employeur peut empêcher ses employés d’accéder au lieu de travail dans le but de tourner la négociation à son

avantage. C’est une forme de grève inversée.

2 Le Trente (2002), « Blogue à part », ROY, J.-H., vol. 26, no 6, https://www.fpjq.org/blogue-a-part/

3 LES CHRONIQUES DE CYBERIE (2002), « Chronique du 28 mai 2002 », CLOUTIER, J.-P.,

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« L’idée est née après une réunion où l’on avait remis en question mes compétences. Je vivais une crise et j’avais besoin de me replacer journalistiquement, de me prouver à moi- même que j’étais encore capable » (Le Trente, 20041). Il considère que lancer un site

d’information par ses propres moyens, en parallèle, à son travail de journaliste à Radio- Canada, l’aidera à retrouver une certaine confiance dans son travail. Or, cette double activité ne dure que quelques mois, puisque le journaliste est congédié pour faute grave : il a mis sur son blogue un extrait sonore inutilisé d’un entretien pour un reportage à Radio-Canada. Selon les Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, l’utilisation d’équipement à des fins personnelles est interdite. Le Syndicat des communications de Radio-Canada le défend et considère que le motif du renvoi est fallacieux, mais il n’arrive pas à inverser la décision. Desjardins, quelques semaines plus tard, ferme son blogue et abandonne le journalisme. Le licenciement fait grand bruit dans la communauté journalistique qui se plaint du traitement envers le journaliste, notamment, parce que plusieurs journalistes ont des sites web personnels. Cependant, Desjardins est l’un des rares à tenir un blogue d’information (Le Trente, 2004). À la suite de cet événement, et comme nous allons le voir dans le prochain chapitre, les journalistes québécois se concentreront davantage à tenir un blogue sur le site de leur média. D’ailleurs, les organisations médiatiques feront des offres aux journalistes pour bloguer sur leur site.

1.4.4 En conclusion

L’arrivée des blogues au Québec suit un parcours similaire à celui observé aux États-Unis. Cependant, un courant dominant émerge avec celui du journal personnel. Il suit la popularité de cette forme rédactionnelle hors-ligne. La récupération journalistique québécoise vient après l’impulsion de la popularité des blogues aux États-Unis. Les proximités géographiques et culturelles incitent les journalistes québécois à expérimenter tôt le dispositif. Cependant, les journalistes pratiquent le blogue de façon indépendante par rapport à leur organisation médiatique contrairement à ce qui est observé aux États-Unis.

1 Le Trente (2004), « Bloguer : sport extrême médiatique? », PROULX, S., vol. 28, no 7, https://www.fpjq.org/blogues-et-

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