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Présentation des hypothèses

1.1. Les trois filières fondatrices du blogue

1.1.2 La filière des diaristes

Un second type de What’s New voit le jour au début de l’année 1994 avec le journal personnel2. Ce format s’inscrit en rupture avec les pages existantes de l’époque : le contenu ne concerne plus les activités du web, mais les activités personnelles de l’animateur. Le premier acteur reconnu à faire usage de cette forme est Justin Hall.

1 « Grand blogue dans le ciel entre 1993 et 1996. Puis tout s’est enchaîné. Le Web a explosé  » (traduction personnelle). 2 Le journal personnel est à distinguer du journal intime où le premier indique clairement son aute ur alors que le second est

BARBEAU Jean-Sébastien| Thèse de doctorat | juin 2018

D’après Scott Rosenberg (2008 : 21-22), auteur de l’histoire des blogues aux États- Unis, Hall s’est laissé porter dans le What’s New à la suite de la création d’une page lancée quelques semaines auparavant par un étudiant de l’Université de Pennsylvanie qui documentait ses repas :

« Writing about yourself was not unknown on the Web, even at that point, and neither was cataloguing your offbeat obsessions. Hall says in his early posting he took inspiration from a site crated by a programmer at the University of Pennsylvania, Ranjit Bhatnagar. Beginning in November 1993, “Ranjit’s HTTP playground” provided offbeat links, along with a “lunch server.” Each day, Bhatnagar would carefully record what he’d had for lunch. The page was, of course, in reverse chronological order. Although the “lunch server” was as much a pun as anything else, it foreshadowed a future in which people all manner of quotidian data points1 ».

Hall, un étudiant en journalisme à l’Université Swarthmore, près de Philadelphie,

intitule sa page Justin’s Links from the Underground dans une volonté de personnalisation de son site (New York Times, 19/12/20042). Le jeune homme ne documente pas seulement sa vie personnelle : il soumet aussi aux internautes une collection de liens sur les nouveautés du web et sur ses champs d’intérêt à un moment où les moteurs de recherche n’en sont qu’à leurs balbutiements. Sa page n’est donc pas tout à fait axée sur lui, car il ajoute un volet informationnel qu’il qualifie de « journalistique ». Cependant, ce volet est relégué au second plan, préférant parler de lui. Au travers de ses confidences, Hall cherche à rejoindre les internautes et à se connecter avec eux :

1 « Écrire à propos de soi et cataloguer ses obsessions personnelles ne relevait pas de l’inconnu sur le web à cette époque. Hall

dit que ses premières publications ont pris inspiration d’un si te créé par Ranjit Bhatnagar, un programmeur à l’Université de Pennsylvanie. Commencé en novembre 1993, “Ranjit’s HTTP playground” proposait des liens décalés accompagnés aussi d’un “serveur déjeuner”. Chaque jour, Bhatnagar consignait ce qu’il avait mangé . Cette page était, bien sûr, dans un ordre chronologique inversé. Même si le “serveur déjeuner” était plus un jeu de mots que toute autre chose, cela a présagé le futur dans lequel les gens pourraient tracer leur quotidien  » (traduction personnelle).

2 New York Times, 19/12/2004, « Your blog or mine? », ROSEN, J., http://www.nytimes.com/2004/12/19/magazine/your-blog-

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« Why did I do it? The urge to share of oneself, to join a great global knowledge sharing party. The chance to participate in something cool. A deep geek archivist’s urge to experiment with documenting and archiving personal media and experience. […] It was journalism, but I was mostly reporting on me. In the early days, I wrote about the web, on the web, because few other people were doing so. Once search engines and link directories emerged, I didn’t need to catalog everything online. So I enjoyed having a tool to map my thoughts and experiences, and a chance to connect those thoughts and experiences to the rest of the electrified English- speaking world!1 » (Gillmor, 2004 : 12-132).

Cette cartographie de ses pensées et de ses expériences le conduit à se confier librement. Il partage son enfance difficile et ses expériences vécues comme étudiant en école de journalisme et à l’extérieur de ses cours (Caraher, 20083). Les internautes se

reconnaissent en lui et il devient rapidement une icône du web : il attire quotidiennement 7 000 internautes et double, voire, triple son score quand il raconte ses histoires sexuelles. Un jour de janvier 1995, il attire jusqu’à 27 000 internautes, soit quatre fois son audience habituelle (Columbia Journalism Review, 05/11/20144). Rétrospectivement, Justin Hall détient une double casquette où il est à la fois qualifié de « blogueur » pour la structure technique et la présentation visuelle de sa page (Trédan, 2012 : 89-105) et aussi de « diariste », soit le qualificatif donné aux rédacteurs de journaux personnels ou intimes (Libération, 09/05/19975).

1 « Pourquoi l’ai-je fait ? Cette envie irrésistible de partager sur soi, de se joindre à une grande fête sur le partage de

connaissances. L’envie profonde de la part d’un fan des archives d’expérimenter la documentation et l’archivage de contenu personnel et de partager ses expériences. C’était du journalisme, mais c’était des reportages sur moi. Dans les premiers jours, j’écrivais à propos du web, et sur le web, puisque peu le faisaient. Le jour où les moteurs de recherche et les répertoires d e liens ont émergé, je n’ai plus eu le besoin de cataloguer la Toile. Donc, j’ai adoré avoir un outil pour noter mes pensées et mes expériences et avoir une chance de connecter ces pensées et ces expériences avec le reste du monde anglo -saxon » (traduction personnelle).

2 GILLMOR, D. (2004), We the media: grassroots journalism by the People, for the people , Sebastopol: O’Reilly

3 CARAHER, W. R. (2008), « Blogging Archaeology and the Archaelogy of Blogging – Part 1. The Weblog. History and

Taxonomy », http://www.archaeology.org/online/features/blogs/part1.html

4 Columbia Journalism Review, 05/11/2014, « Is this the Web’s first blog? Justin Hall’s 20 -year-old website shows how

opportunities in online journalism slowly developed. », SILLESEN, L. B.,

http://www.cjr.org/behind_the_news/justin_hall_blog_web.php

5 Libération, 09/05/1997, « Mon cher Web. Des journaux intimes s’exposent sur le réseau des réseaux. Paradoxe? »,

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