Dans de nombreuses situations, il est tr`es important de pouvoir ´etudier cer-taines propri´et´es de r´egularit´e d’une fonction (ou mˆeme, comme on le verra plus loin, d’une distribution) apr`es l’avoir localis´ee dans une partie de l’espace. En-core faut-il que le processus de localisation ne modifie pas la r´egularit´e de la fonction en question. Pour ce faire, il faut donc disposer de fonctions `a support compact dans un ouvert Ω deRN et valant identiquement 1 sur un compact de Ω.
Voici un premier r´esultat dans ce sens.
Lemme 1.4.1 (Fonctions plateaux) Soient Ω ouvert de RN et K compact inclus dansΩ. Il existe une fonction φde classe C∞ sur RN v´erifiant
0≤φ≤1, supp(φ)compact ⊂Ω, et φ= 1sur un voisinage de K.
D´emonstration. Pour tout x ∈ K, il existe rx > 0 tel que B(x, rx) ⊂ Ω.
Notons alorsχxla fonction de classeC∞surRN d´efinie par χx(y) = 2eH
y−x rx
, y∈RN, o`uH est la fonction d´efinie `a la section 1.2, de sorte que
supp(χx) =B(x, rx), χx>0 surB(x, rx), et χx(x) = 2. D´efinissons alors l’ouvert
Ux={y∈Ω|χx(y)>1}, x∈K .
Evidemment (Ux)x∈K est un recouvrement ouvert de K puisque x ∈ Ux. Il existe doncx1, . . . , xn∈K tels que
K⊂Ux1∪. . .∪Uxn. La fonction
f =
n
X
j=1
χxj v´erifie
f ∈C∞(RN), supp(f)⊂B(x1, rx1)∪. . .∪B(xn, rxn) compact ⊂Ω, et f >1 surV =Ux1∪. . .∪Uxn
qui est un voisinage ouvert deK.
Consid´erons maintenant la fonctionI de la section 1.2 aveca= 0 etb= 1, de sorte que
I∈C∞(R), I0≥0, I R
− = 0, I
[1,∞[= 1. La fonctionφ=I◦f r´epond `a la question.
N.B. Avec le choix deχxfait dans la d´emonstration ci-dessus, Ux=B(x, αrx) o`uα >0 est tel que 2e·e1/(α2−1)= 1. Voici une premi`ere application de ce r´esultat.
Th´eor`eme 1.4.2 (Densit´e deCc∞(Ω) dans Lp(Ω)) SoientΩouvert deRN, p∈[1,∞[ etf ∈Lp(Ω). Pour toutη >0, il existe fη∈Cc∞(Ω) telle que
kf −fηkLp(Ω)< η .
Pour d´emontrer ce r´esultat, on prolongef par 0 en dehors de Ω, puis on ap-plique le Th´eor`eme 1.3.14, ce qui fournit une fonctionG∈Cc∞(RN) approchant le prolongement def dansLp(RN). Toutefois, la fonctionGainsi obtenue n’est en g´en´eral pas `a support dans Ω. L’id´ee consiste `a tronquerGen la multipliant par une fonction de Cc∞(Ω) valant 1 sur un compact de Ω bien choisi, comme dans le Lemme 1.4.1.
D´emonstration.SoitF ∈Lp(RN) d´efinie par
F(x) =f(x) six∈Ω, F(x) = 0 si x /∈Ω. D’apr`es le Th´eor`eme 1.3.14, il existeG∈Cc∞(RN) telle que
kF−GkLp(RN)< 12η . Pour toutn≥1, on consid`ere
Kn ={x∈Ω|dist(x, ∂Ω)≥1/n et|x| ≤n},
qui est compact car ferm´e born´e dansRN. D’apr`es le Lemme 1.4.1, pour tout n≥1, il existeφn∈C∞(RN) telle que
supp(φn)⊂Ω, φn
K
n= 1, 0≤φn≤1. Evidemment
1Kn ≤φn ≤1Ω.
Pour toutn≥1, on d´efinitGn=φnG. Par construction deKn, 1Kn(x)↑1Ω(x) pour toutx∈RN quandn→ ∞, de sorte que
φn(x)→1Ω(x) pour toutx∈Ω quandn→ ∞.
CommeG∈Lp(RN) et que
|G(x)−Gn(x)|p(x)≤ |G(x)|p pour toutx∈Ω, on en d´eduit par convergence domin´ee que
kGn−GkpLp(Ω)= Z
Ω
|Gn(x)−G(x)|pdx→0 quandn→ ∞.
Il existe doncn1>1 tel que
kGn1−GkLp(Ω)<12η . Posons alors
fη=Gn1 Ω.
Par construction, la fonctionGn1 ∈C∞(RN) est `a support compact dans Ω, de sorte que fη ∈Cc∞(Ω). De plus, d’apr`es ce qui pr´ec`ede,
kf−fηkLp(Ω)=kF−Gn1kLp(Ω)
≤ kF−GkLp(Ω)+kG−Gn1kLp(Ω)
≤ kF−GkLp(RN)+kG−Gn1kLp(Ω)< η , d’o`u le r´esultat annonc´e.
Un autre probl`eme se posant fr´equemment consiste `a “passer du local au global”, c’est `a dire `a d´eduire certaines propri´et´es de r´egularit´e globale d’une fonction (ou, comme on le verra, d’une distribution) `a partir de propri´et´es locales de cette fonction. Pour ce faire, on se servira de la notion de “partition de l’unit´e”.
Th´eor`eme 1.4.3 (Partitions de l’unit´e) Soient K ⊂ RN compact, et des ouverts deRN not´esΩ1, . . . ,Ωn tels que
K⊂Ω1∪. . .∪Ωn.
Alors il existe des fonctionsφ1, . . . , φn de classe C∞ sur RN telles que 0≤φk ≤1 et supp(φk)compact ⊂Ωk pourk= 1, . . . , n, v´erifiant
n
X
k=1
φk = 1sur un voisinage de K .
D´emonstration.
Etape 1.Montrons qu’il existeK1, . . . , Kn compacts tels que Kj⊂Ωj, j = 1, . . . , n , etK⊂
n
[
j=1
Kj.
En effet, pour tout x ∈ K, il existe k(x) ∈ {1, . . . , n} et rx > 0 tels que la boule ferm´eeB(x, rx)⊂Ωk(x). Evidemment (B(x, rx))x∈Kest un recouvrement ouvert du compactK. Il existe doncx1, . . . , xm∈K tels que
K⊂B(x1, rx1)∪. . .∪B(xm, rxm). Pour toutj= 1, . . . , m, notons
Aj={l= 1, . . . , m|k(xl) =j}, et posons
Kj= [
l∈Aj
B(xl, rxl)⊂Ωj, j= 1, . . . , n .
Etape 2. En appliquant le Lemme 1.4.1, on construit, pour tout j = 1, . . . , n, une fonctionψj∈C∞(RN) telle que
supp(ψj) compact ⊂Ωj, ψj ≥0, ψj= 1 surVj voisinage ouvert de Kj. Alors
n
X
j=1
ψj>0 surV =V1∪. . .∪Vn voisinage ouvert de K.
Toujours d’apr`es le Lemme 1.4.1, soitθ∈C∞(RN) v´erifiant
supp(θ) compact ⊂V , θ= 1 au voisinage deK , et 0≤θ≤1. Ainsi
1−θ+
n
X
k=1
ψk>0 surRN. En effet
1−θ(x) +
n
X
k=1
ψk(x)≥
n
X
k=1
ψk(x)>0 six∈V ,
1−θ(x) +
n
X
k=1
ψk(x)≥1−θ(x) = 1 six /∈V . Posons alors
φj= ψj
1−θ+Pn
k=1ψk , j= 1, . . . , n . Par construction,φj∈C∞(RN) et v´erifie
φj≥0, et supp(φj) compact ⊂Ωj. Enfin, on a
n
X
j=1
φj(x) = 1 en tout point o`uθ(x) = 1 c’est `a dire sur un voisinage deK.
1.5 Appendice : In´ egalit´ es de H¨ older et de Min-kowski
Th´eor`eme 1.5.1 (In´egalit´e de H¨older) Soient X ⊂ RN mesurable, ainsi que deux r´eelsp, q∈[1,∞] tels que
1 p+1
q = 1, avec la convention1/∞= 0.
Soient f ∈Lp(X)etg∈Lq(X). Alors le produit f g∈L1(X)et on a Rappelons la notion de borne sup´erieure essentielle : pour toute fonctionh mesurable deX dans [0,+∞],
h(x) ; la borne inf´erieure au membre de droite de l’´egalit´e ci-dessus est bien atteinte, puisque
h−1(]M,+∞]) = [
n≥1
h−1(]M +n1,+∞])
et que le membre de droite est un ensemble de mesure nulle comme r´eunion d´enombrable d’ensembles de mesure nulle.
NotantN l’ensemble de mesure nulle
N =h−1(]M,+∞]), la d´efinition mˆeme deM = supessx∈Xh(x) entraˆıne que
M = sup
x∈X\N
h(x).
D’autre part, si A⊂X est un ensemble de mesure nulle, alors supess existe un ensemble de mesure nulleN tel que
kgkL∞(RN)= sup
Supposons maintenant que p, q∈]1,∞[.
alors l’une des deux fonctionsf ougest nulle p.p. sur X, de sorte que Z
X
|f(x)g(x)|dx= 0.
L’in´egalit´e de H¨older est donc trivialement v´erifi´ee dans ce cas.
On supposera donc que Int´egrant les deux membres de cette in´egalit´e surX, on aboutit `a
Z
par d´efinition des fonctionsF et G. On en d´eduit le r´esultat annonc´e puisque Z
L’in´egalit´e de H¨older se g´en´eralise ´evidemment au produit d’un nombre quel-conque de fonctions.
Corollaire 1.5.2 (In´egalit´e de H¨older pour un produit de n fonctions)
D´emonstration.Appliquer l’in´egalit´e de H¨older du Th´eor`eme 1.5.1 en posant f =f1 et g=f2. . . fn, puis proc´eder par r´ecurrence surn.
Voici une premi`ere application tr`es importante de l’in´egalit´e de H¨older — qui n’est rien d’autre que l’in´egalit´e triangulaire dansLp(X).
Th´eor`eme 1.5.3 (In´egalit´e de Minkowski) SoientX ⊂RN mesurable, ainsi quep∈[1,∞[. Alors, pour tousf, g∈Lp(X), on a D´emonstration.Le casp= 1 est trivial.
Pour 1< p <∞, ´ecrivons que
De mˆeme En additionnant membre `a membre ces deux in´egalit´es, on trouve que
Z l’in´egalit´e annonc´ee est ´evidemment vraie.
Sinon, on divise chaque membre de l’in´egalit´e ci-dessus par Z
X
|f(x) +g(x)|pdx 1−1/p
6= 0 ce qui donne l’in´egalit´e annonc´ee.
Passons enfin au casp=∞: il existeAetB⊂RN de mesure nulle tels que
Rappelons enfin que, pour tout X ⊂ RN mesurable et toute fonction f mesurable surX, on note
kfkLp(X) =
1.6 Exercices
Exercice 1.
D´emontrer les formules du binˆome, du multinˆome et de Leibnitz.
Exercice 2.
Montrer que la fonctionχd´efinie surRN par χ(x) =e−
|x|2
1−|x|2 si|x|<1, χ(x) = 0 si |x| ≥1 est de classeC∞ surRN.
Exercice 3.
a) Soit f ∈ C∞(R) telle que f(0) = 0. Montrer que la fonction x7→ f(x)x se prolonge en une fonction de classeC∞ surR.
b) Soit n≥1 entier. Donner une condition n´ecessaire et suffisante portant sur f ∈C∞(R) pour que la fonctionx7→f(x)xn se prolonge en une fonction de classe C∞ surR.
Exercice 4.
Soient f ∈Lp(RN) et g ∈ Lq(RN) avecp, q ∈[1,∞] tels que 1p +1q = 1.
Montrer que f ? g est uniform´ement continue et born´ee sur RN. (On pourra utiliser le fait que Cc(RN) est dense dans Lp(RN) pourp∈ [1,∞[, et qu’une fonction continue sur un compact est uniform´ement continue.)
Exercice 5.
SoitA⊂RN mesurable et de mesure de Lebesgue|A|>0. Montrer que A−A={x−y|x, y∈A}
est un voisinage de 0.
(Indication :on pourra consid´erer la fonctionf ?f˜, o`ufest la fonction indicatrice deAet ˜f(x) =f(−x).)
Exercice 6.
Soit (an)n≥0 une suite quelconque de nombres r´eels, et soitχ, une fonction de classeC∞surRtelle que
χ
[−1,1]= 1, supp(χ)⊂[−2,2].
a) Montrer qu’il existe une suite (n)n≥0 de r´eels positifs tendant vers 0 telle que la s´erie
f(x) =X
n≥0
an
xn n!χ
x n
d´efinisse une fonctionf de classeC∞surR.
b) En d´eduire le
Th´eor`eme de Borel.Pour toute suite (an)n≥0de nombres r´eels, il existe une fonctionf ∈C∞(R) telle que
f(n)(0) =an, pour toutn∈N.
Exercice 7.
Soient Ω ouvert deRN etKcompact deRN inclus dans Ω. On notera dans la suite de cet exerciceF =RN \Ω.
a) On note
dist(K, F) = inf{|x−y| |x∈K et y∈F}. Montrer que dist(K, F)>0.
b) Montrer que la borne inf´erieure du a) est atteinte, c’est `a dire qu’il existe x∈K ety∈F tels que dist(K, F) =|x−y|.
c) Dans la suite de cet exercice, on notera η= dist(K, F). Pour tout >0, on pose
K={x∈RN| dist(x, K)≤}.
Montrer que, pour tout ∈]0, η[, l’ensemble K est un compact de RN inclus dans Ω.
d) Soitχ∈C∞(RN) telle que
0≤χ≤1, supp(χ)⊂B(0,1), Z
RN
χ(x)dx= 1. Pour tout >0, on poseχ(x) =−Nχ(x/), et, pour toutx∈RN,
f(x) = Z
K
χ(x−y)dy . Montrer quef∈C∞(RN) v´erifie
supp(f)⊂K2, 0≤f≤1, f
K = 1,
et enfin que, pour tout multi-indiceα∈NN, la famille de nombres r´eels |α| sup
x∈RN
|∂αf(x)|
reste born´ee lorsque →0.
En d´eduire une autre preuve du Lemme 1.4.1.
Chapitre 2
E.D.P. d’ordre un
Les ´equations aux d´eriv´ees partielles constituent le champ d’application le plus important de la th´eorie des distributions. Elles en ont d’ailleurs ´et´e, histo-riquement, la motivation premi`ere.
La th´eorie des ´equations aux d´eriv´ees partielles d’ordre un se ram`ene, dans une certaine mesure, `a celle des syst`emes d’´equations diff´erentielles ordinaires.
C’est donc par l’´etude de ces ´equations que nous commencerons, et nous verrons sur plusieurs exemples qu’il est naturel d’avoir `a consid´erer des solutions d’´equations aux d´eriv´ees partielles qui ne soient pas forc´ement diff´erentiables.
Cette constatation fait sentir la n´ecessit´e de g´en´eraliser les notions usuelles du calcul diff´erentiel.