Calcul des distributions
3.2 Les distributions : d´ efinition, convergence
3.2.1 D´ efinition des distributions
Commen¸cons par d´efinir ce que sont les distributions.
D´efinition 3.2.1 (Notion de distribution) Soient N ≥ 1 entier et Ω un ouvert de RN. Une distribution T sur Ω est une forme R - (ou C-) lin´eaire sur Cc∞(Ω)`a valeurs r´eelles (ou complexes) v´erifiant la propri´et´e de continuit´e suivante :
pour tout compact K ⊂ Ω, il existe CK > 0 et pK ∈ N tels que, pour toute fonction test φ∈Cc∞(Ω)avec supp(φ)⊂K,
|hT, φi| ≤Cmax
|α|≤psup
x∈K
|∂αφ(x)|.
Lorsque pK peut-ˆetre choisi ind´ependemment de K dans la condition de continuit´e ci-dessus, c’est `a dire lorsqu’il existe un entierp∈Ntel quepK≤p pour tout compactK⊂Ω, on dit que T est une distribution d’ordre≤psurΩ.
Dans ce cas, on appelle “ordre de la distribution T” le plus petit entier p positif ou nul tel queT soit une distribution d’ordre≤p.
On note toujoursD0(Ω) l’espace vectoriel (surRouC) des distributions sur Ω (`a valeurs respectivement r´eelles ou complexes ) — et souventD(Ω) =Cc∞(Ω).
Exemple 3.2.2 (Fonctions localement int´egrables) A toute fonctionf de L1loc(Ω), on associe la forme lin´eaire d´efinie par
Tf : φ7→
Z
Ω
f(x)φ(x)dx , pour toute fonction test φ∈Cc∞(Ω).
Observons que, pour tout compactK⊂Ω et pour toute fonctionφ∈C∞(Ω)
`
a support dansK, on a
|hTf, φi| ≤CK sup
x∈K
|φ(x)|, avecCK = Z
K
|f(x)|dx . DoncTf est une distribution d’ordre 0 sur Ω.
Proposition 3.2.3 (Plongement de L1loc(Ω) dans D0(Ω)) L’application lin´ e-aire
L1loc(Ω)3f 7→Tf ∈ D0(Ω) est injective.
Convention.Dor´enavant, nous identifierons donc toute fonctionf localement int´egrable sur Ω avec la distributionTf qu’elle d´efinit sur Ω.
D´emonstration. Supposons que f ∈ L1loc(Ω) appartient au noyau de cette application lin´eaire, c’est `a dire que
Z
Ω
f(x)φ(x)dx= 0 pour toutφ∈Cc∞(Ω).
Etape 1 : Soitx0∈Ω etr >0 tel queB(x0,2r)⊂Ω ; montrons quef = 0 p.p.
surB(x0, r).
En effet, soitF ∈L1(RN) d´efinie par
F(x) =1B(x0,2r)(x)f(x) p.p. enx∈Ω, F(x) = 0 six /∈Ω. Soit d’autre partζ∈C∞(RN) telle que
ζ≥0, supp(ζ)⊂B(0,1), Z
RN
ζ(x)dx= 1.
On sait qu’alors la famille de fonctionsζ d´efinies par ζ(x) = 1
Nζx
, x∈RN, index´ee par∈]0, r[ est une suite r´egularisante.
D’apr`es le Th´eor`eme 1.3.14 a),
ζ? F →F dansL1(RN) lorsque→0.
D’autre part, pour toutx∈B(x0, r), ζ? F(x) =
Z
RN
F(y)ζ(x−y)dy
= Z
B(x0,2r)
f(y)ζ(x−y)dy= Z
Ω
f(y)ζ(x−y)dy= 0
d’apr`es l’hypoth`ese faite surf, car la fonction y 7→ζ(x−y) est de classeC∞
`
a support dansB(x0,2r).
En effet, siζ(x−y)6= 0, c’est que |x−y|< r, or comme|x−x0| ≤ r, il s’ensuit que|y−x0|<2r.
Par cons´equent F = 0 p.p. sur B(x0, r) ; de plus par d´efinition, f =F p.p.
surB(x0,2r). Doncf = 0 p.p. surB(x0, r).
Etape 2 : Soit maintenant, pour tout entiern≥1, l’ensemble Kn={x∈Ω| |x| ≤net dist(x, ∂Ω)≥1/n}, qui est compact (car ferm´e born´e) dans Ω. Evidemment
Kn⊂ [
x∈Kn
B(x,2n1 )
de sorte que, par compacit´e deKn, il existe un nombre fini de points x1, . . . , xk deKn tels que
Kn⊂B(x1,2n1 )∪. . .∪B(xk,2n1 ).
Or d’apr`es l’´etape 1,f = 0 p.p. surB(xj,2n1) pourj= 1, . . . , k, ce qui implique quef = 0 p.p. surKn.
Comme Ω est la r´eunion d´enombrable des Kn pour n ∈ N∗ et que f = 0 p.p. surKn, l’ensemble
{x∈Ω|f(x)6= 0}= [
n≥1
{x∈Kn|f(x)6= 0}
est de mesure nulle comme r´eunion d´enombrable d’ensembles de mesure nulle.
Autrement dit,f = 0 p.p. sur Ω comme annonc´e.
Mais il existe aussi des distributions qui ne sont pas de la forme Tf avec f ∈L1loc. En voici plusieurs exemples.
Exemple 3.2.4 (Masse de Dirac) A tout point x0 ∈ Ω ouvert de RN, on associe la forme lin´eaire d´efinie par
hδx0, φi=φ(x0), pour toute fonction test φ∈Cc∞(Ω).
Evidemment, pour tout compact K ⊂Ω et toute fonction testφ∈C∞(Ω)
`
a support dansK, on a
|hδx0, φi| ≤sup
x∈K
|φ(x)|. Doncδx0 est une distribution d’ordre 0 sur Ω.
Exemple 3.2.5 (Distributions de simple couche) Soit Σ hypersurface de RN de classe C∞; on suppose donn´e en outre un champ ν de vecteurs uni-taires normaux1 `a Σ — c’est `a dire qu’en tout point x ∈ Σ, le vecteur ν(x) est orthogonal dansRN `a l’espace tangentTxΣ. Evidemment, ce champ de vec-teurs unitaires normaux `a Σ d´efinit une orientation continue de Σ, au sens de la D´efinition 9.10 du cours de C. Viterbo : une base (ξ1, . . . , ξN−1) de TxΣ sera dite positivement orient´ee si(ν(x), ξ1, . . . , ξN−1)est une base positivement orient´ee deRN.
Soitω, une (N−1)-forme surΣ; la forme lin´eaire Cc∞(RN)3φ7→
Z
Σ
φω
est une distribution d’ordre 0 sur RN, appel´ee “distribution de simple couche port´ee par Σ”. (L’int´egrale d´efinissant cette forme lin´eaire est l’int´egrale de la (N−1)-forme φω sur la vari´et´e Σ orient´ee par la donn´ee du champ unitaire normalν : cf. cours de C. Viterbo, D´efinition 9.12.)
Exemple 3.2.6 (Mesure de surface) Sous les mˆemes hypoth`eses que dans l’exemple pr´ec´edent, il existe une(N−1)-forme particuli`erement importante sur l’hypersurfaceΣ, que nous rencontrerons fr´equemment par la suite : il s’agit de la notion de “mesure de surface” — ou d’aire, si l’on pr´ef`ere cette terminologie
— surΣ.
On appelle “´el´ement de surface surΣorient´ee par le champ unitaire normal ν” la (N−1)-forme2 donn´ee par la formule3
dσ=ιν(dx1∧. . .∧dxN) Σ.
1C’est ´evidemment le cas lorsque Σ est donn´ee par une ´equationC1, c’est `a dire lorsque Σ ={x∈RN|F(x) = 0}
o`uF∈C1(RN) et∇F(x)6= 0 pour toutx∈Σ. Dans ce cas, on peut en effet choisir ν(x) =± ∇F(x)
|∇F(x)|, x∈Σ.
2On prendra bien garde au fait que la (N−1)-formedσn’est pas exacte : il ne s’agit pas de la diff´erentielle ext´erieure d’une (N−2)-formeσ. Malgr´e cet inconv´enient ´evident, la notation dσ(oudS) est consacr´ee par l’usage dans ce contexte, et nous nous y sommes conform´es.
3Rappelons qu’´etant donn´ee unek-formeαsur une vari´et´eM et un champ de vecteursX
On appelle alors “mesure de surface sur Σ” la distribution de simple couche
Plus g´en´eralement, ´etant donn´ee une hypersurface orient´ee ΣdeRN munie de son ´el´ement de volume dσ, et f ∈ C(Σ), on appelle “distribution de simple couche de densit´ef port´ee parΣ” la forme lin´eaire
Cc∞(RN)3φ7→
Z
Σ
φf dσ .
Voici maintenant des exemples de distributions d’ordre strictement positif.
Exemple 3.2.7 A tout pointx0∈R, on associe la forme lin´eaire d´efinie par hδx(m)0 , φi= (−1)mφ(m)(x0), pour toute fonction test φ∈Cc∞(R). A nouveau, pour tout compactK ⊂Ret toute fonction testφ∈C∞(R) `a support dans K, on a
|hδ(m)x0 , φi| ≤ sup
x∈K
|φ(m)(x)|, et on v´erifie que δx(m)0 est une distribution d’ordremsurR.
Exemple 3.2.8 (Valeur principale de 1/x) La fonction x 7→1/x n’est pas localement int´egrable sur R. Mais on d´efinit la distribution “valeur principale”
de1/xpar la formule
L’id´ee motivant la notion de valeur principale — due `a Cauchy — est la sui-vante : la troncature sym´etrique dans l’int´egrale consiste `a y retirer un terme du type
et `a consid´erer que le premier terme au membre de droite est nul car la fonction 1/xest impaire. Evidemment le calcul ci-dessus est purement formel puisque ni x7→φ(x)/x, nix7→1/xne sont int´egrables sur [−, ].
surM, on noteιXαle produit int´erieur deαparX, qui est la (k−1)-forme d´efinie par ιXα(x)(ξ1, . . . , ξk−1) =α(x)(X(x), ξ1, . . . , ξk−1),
pour toutx∈Met tout (k−1)-uplet de vecteursξ1, . . . , ξk−1 tangents `aMenx. Voir cours de C. Viterbo, Proposition 10.15.
Pour toutR >1 et toute fonction testφ∈C∞(R) `a support dans [−R, R],
Alors, d’apr`es le th´eor`eme des accroissements finis,
A partir de l`a, on montre sans difficult´e que vpx1 est une distribution d’ordre 1 surR.
Revenons sur ce que nous avons appel´e la “propri´et´e de continuit´e” des distributions. Pour pouvoir en parler pr´ecis´ement, il faudrait commencer par d´efinir la topologie de l’espaceCc∞(Ω). Il s’agit l`a d’une question assez d´elicate sur le plan technique et qui d´epasse le cadre de notre cours.
En revanche il est tr`es facile de raisonner avec des suites convergentes de fonctions test.
D´efinition 3.2.9 (Convergence des suites de fonctions test) SoientΩun ouvert de RN, une suite (φn)n≥1 d’´el´ements de Cc∞(Ω), et une fonction test
Cette notion de convergence, qui est tr`es forte — en particulier du fait que tous les termes de la suite (φn)n≥1doivent ˆetre `a supportdans le mˆeme compact K — est bien adapt´ee `a la propri´et´e de continuit´e des distributions, comme le montre l’´enonc´e suivant.
Proposition 3.2.10 (Continuit´e s´equentielle des distributions) SoientΩ ouvert de RN et T ∈ D0(Ω). Alors, pour toute suite (φn)n≥1 de fonctions test appartenant `aCc∞(Ω) et telle que
φn→φdansCc∞(Ω) lorsquen→ ∞, on a
hT, φni → hT, φilorsquen→ ∞.
D´emonstration. Puisque φn → φ dans Cc∞(Ω) lorsque n → ∞, il existe un compactK⊂Ω contenant supp(φn) pour toutn≥1, ainsi que supp(φ).
Au compactKainsi d´efini, la propri´et´e de continuit´e des distributions associe un entierpK ≥0 et une constanteCK>0 telle que
|hT, ψi| ≤CK max
|α|≤pK
sup
x∈K
|∂αψ(x)|
pour toute fonction testψ∈C∞(Ω) `a support dansK.
Appliquons cela `a la fonction testψ=φn−φ:
|hT, φni − hT, φi| ≤CK max
|α|≤pK
sup
x∈K
|∂αφn(x)−∂αφ(x)|. Le membre de droite de cette in´egalit´e converge vers 0 puisque
∂αφn→∂αφuniform´ement surK lorsquen→ ∞.
On en conclut que
hT, φni → hT, φilorsquen→ ∞.