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Un parti écartelé

Chapitre 2 – Au PCF : la problématique du renouveau

2) Un parti écartelé

Tout comme au Parti socialiste, la désunion est de mise au sein du Parti communiste français, puisque deux mouvements contradictoires sont à l’œuvre : une partie des militants et des dirigeants, les contestataires, considère qu’il faut aller plus loin dans le renouvellement, tandis qu’une autre partie, que l’on nomme la plupart du temps les orthodoxes, est bien plus réticente concernant les changements qu’il faudrait apporter.

296 XXVIIIe Congrès du PCF, Cahiers du communisme, février-mars 1994, no 130, p. 30. 297 Ibid.

298 Libération, 9 mai 1995, archives en ligne.

– La voie des contestataires

Le PCF connaît à partir de 1984 et jusqu’à la fin des années 1990 de nouvelles dissensions internes fortes, qu’il va tenter longtemps de marginaliser, voire d’expulser. Les contestataires essayent de convaincre les communistes de renouveler véritablement l’organisation, mais également de repenser leur stratégie d’alliance – la conception de l’union par les différents groupes successifs de contestataires variant souvent. Ces groupes surgissent à un moment où le PCF est moins puissant et dans une phase de fort déclin électoral, ce qui diminue les ressources électorales et symboliques. Les contestataires ont donc moins à perdre que leurs prédécesseurs, qui devaient alors renoncer à toutes les gratifications fournies par le parti, telles que des postes à l’intérieur de celui-ci ou des places lors d’élections300. À l’opposé des précédents épisodes de tensions à l’intérieur du PCF, les dissidents vont parvenir à faire entendre leurs voix au Bureau politique et au Comité central. Le PCF ne peut en effet plus exclure ou éliminer ses opposants et les intègre, ce qui les légitime de facto301.

Après les deux mouvements de contestation nés en 1984 et 1988 et évoqués dans le prologue, une troisième vague de contestation émerge en octobre 1989, emmenée par Charles Fiterman et Anicet Le Pors, tous deux anciens ministres communistes. Elle se poursuit jusqu’à la fin des années 1990. Cette nouvelle « tendance » contestataire, même si elle ne se présente pas comme telle, nommée « les refondateurs », se compose d’un réseau d’élus critiques et de plusieurs intellectuels. Ce mouvement d’autonomisation s’étend aussi chez les parlementaires, qui cumulent bien souvent à partir des législatives de 1988 ce mandat avec des positions électives locales. Le groupe parlementaire obtient d’ailleurs la liberté de vote en 1993, sous l’impulsion de sept députés refondateurs302. Outre ce pilier d’élus locaux (maires, députés, conseillers généraux), Roger Martelli distingue un autre pilier qu’il nomme « la mouvance intellectuelle », s’exprimant à partir de 1991 dans une petite revue hebdomadaire, Futurs, dont cet historien devient directeur303.

C’est à l’occasion du Comité central des 12 et 13 octobre 1989 que ces refondateurs s’expriment pour la première fois. Charles Fiterman fait, notamment, devant le parlement du PCF une déclaration dont le titre est « Re-fonder : une identité communiste moderne ». Il y appelle, entre autres, au renouvellement de la pensée économique, à une démocratisation réelle du parti, et au maintien de l’Union de la gauche comme « matrice », dans laquelle « les

300 Marc Lazar, Le communisme, une passion française, op. cit., p. 49.

301 Marc Lazar, Maisons rouges. Les Partis communistes français et italiens de la Libération à nos jours, coll.

« Histoire », Éditions Aubier, 1992, p. 179.

302 Ibid., p. 279.

303 Entretien avec Roger Martelli, 10 novembre 2017. Il dirige ce journal jusqu’en 2000, avant de prendre la

valeurs universelles peuvent trouver une formulation convaincante et efficace »304. Il appelle également « à se montrer disponibles à tout moment pour agir de concert, à tous niveaux, sans aucun a priori, avec tous ceux qui le veulent305 ». Ces déclarations sont considérées comme nulles et non avenues par la direction du Parti. Par la suite, les interventions de Charles Fiterman aux différentes réunions du Comité central du début des années 1990 sont consacrées au développement de ces critiques : il insiste par exemple sur la nécessité de réévaluer le regard des communistes sur l’URSS en expliquant que « la pérestroïka a agi comme un révélateur de l’état réel des sociétés concernées306 ».

Pour la préparation du XXVIIe Congrès qui se déroule en décembre 1990, est publié dans L’Humanité du 8 octobre 1990 un texte de Charles Fiterman intitulé « Communisme d’un nouveau temps »307, qui reprend l’essentiel de ses propositions : approfondissement du regard critique vis-à-vis de l’URSS, acceptation du pluralisme au sein du Parti, promotion d’une nouvelle « entente démocratique des forces du travail et de la création308 »… Concernant cette dernière proposition, il s’agit d’élargir le champ des forces sociales défendues par le Parti communiste : plus seulement les ouvriers, mais aussi les employés, les techniciens, les cadres. Par ailleurs, Charles Fiterman est, comme nous l’avons dit, en accord avec une stratégie privilégiant une recherche de l’union. Il ajoute cependant : « Cela implique-t-il de renoncer à toute critique du Parti socialiste ? Non. Mais la critique doit participer à l’effort de construction. Encore faut-il qu’elle soit perçue comme telle, qu’elle fasse avancer l’union de la gauche […]309. » Il dénonce donc le fait que la critique virulente mise en place par le PCF contre le PS soit un obstacle à l’union.

Charles Fiterman va ensuite plus loin dans sa critique du fonctionnement du PCF lors du Comité central des 7 et 8 avril 1993. Il diffuse durant ce comité un document dans lequel il appelle à la convocation « d’ici à la fin de l’année d’Assises communistes en vue de la création d’un nouveau parti de la transformation sociale310 », un peu à l’instar des États généraux du Parti socialiste qui ont lieu début juillet 1993. Sept personnes votent pour cette mesure : Charles Fiterman lui-même, Jean-Michel Catala, Guy Hermier, Jack Ralite, Lucien Sève et Marcel Trignon. Le 9 juin 1993 est rendue publique une déclaration qui insiste sur les

304 Le Monde, 19 octobre 1989, page inconnue, Comité central des 12 et 13 octobre 1989, boîte 261 J 2/65,

archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

305 Contribution de Charles Fiterman, p. 7, boîte 20070366, art. 10, fonds Charles Fiterman, AN.

306 Intervention de Charles Fiterman, Comité central du 12 février 1990, p. 8, boîte 20070366, fonds Charles

Fiterman, AN.

307 Boîte 20070366, art. 9, fonds Charles Fiterman, AN. 308 Ibid.

309 L’Humanité, 15 mai 1990, p. 14, boîte 261 J 2/66, archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

310 Document « Proposition au Comité central du PCF des 7 et 8 avril 1993 », boîte 261 J 2/69, archives du PCF,

grandes transformations à l’œuvre et sur les exigences que cela crée : il est question de construire une force nouvelle de la transformation sociale répondant aux attentes de ceux qui veulent dépasser la domination du capital. Il est par ailleurs considéré comme nécessaire de travailler à « l’entente démocratique de tous les partisans du changement » pour donner corps à « un large rassemblement pluraliste des forces du travail et de la création »311. On retrouve donc ici l’idée de rassemblement de toutes les catégories sociales jugées victimes du capitalisme, dont l’alliance entre les différents partis serait un miroir. Il n’est cependant pas précisé quels partis peuvent l’intégrer312. On peut également constater que parmi les signataires, les élus locaux, qui ont acquis un pouvoir plus important dans les années 1980, compte tenu du double déclin militant et électoral du Parti313, sont nombreux. Citons par exemple le député-maire de Saint-Denis Patrick Braouezec, le député-maire de Gennevilliers Jacques Brunges ou encore le premier édile d’Échirolles dans l’Isère, Gilbert Biessy, où il est également élu député en 1993. Ils s’émancipent donc davantage du parti et peuvent plus facilement adopter un discours critique.

Les appels à la refondation se multiplient au cours de l’année 1993, en vue du prochain congrès qui aura lieu en janvier 1994. Ainsi, à l’occasion du Comité central des 28, 29 et 30 septembre 1993, les refondateurs diffusent un texte intitulé « Exigence pour les temps nouveaux314 », signé par Jean-Michel Catala, Roland Favaro, Charles Fiterman, Guy Hermier, Roger Martelli, Jack Ralite et Lucien Sève. Les refondateurs n’y remettent pas seulement en cause le fonctionnement du parti et les stratégies privilégiées mais également ce qui fonde la matrice idéologique communiste. Ainsi, ils écrivent que les communistes doivent « bannir les visions trop simplistes de l’affrontement des classes qui ont conduit trop souvent à l’opposition manichéenne des camps315 ». Ils expliquent également qu’il faut « identifier les forces sociales essentielles dans les formes contemporaines du travail, comme dans tous espaces de l’existence sociale. Cela exige d’aller au-delà des vieilles conceptions de la classe ouvrière, des collectifs et de l’individu, du productif et de l’improductif […]316 ». Ils réitèrent leur appel à « une convergence nouvelle des forces du progressisme » qui irait au-delà de « l’accord électoraliste »317, et plus pragmatiquement, à la constitution d’une liste commune pour tous les opposants à la logique libérale de Maastricht en vue des élections européennes

311 Document « Déclaration du 9 juin 1993 », boîte 305 J 313, fonds Georges Marchais, AD Seine-Saint-Denis. 312 Ibid.

313 Julian Mischi, « La rétraction du communisme local autour de ses élus », in Emmanuel Bellanger, Julian

Mischi (dir.), Les territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Paris, Armand Colin, 2013, p. 272.

314 Document « Exigence pour les temps nouveaux », 28 septembre 1993, boîte 261 J 2/69, archives du PCF, AD

Seine-Saint-Denis.

315 Ibid., p. 2. 316 Ibid., p. 3. 317 Ibid.

de 1994, à la désignation d’un candidat de rassemblement pour les présidentielles de 1995 et enfin à l’élargissement de la gestion pluraliste des localités en vue des élections municipales prévues la même année. Il est enfin encore une fois question des Assises communistes et des changements que doit accepter absolument le parti dans son rôle, son fonctionnement et sa structure. Un autre texte de même nature est publié dans L’Humanité un mois plus tard, notamment pour critiquer la nouvelle version des statuts, jugée peu à même de remettre en cause le centralisme démocratique318.

Les refondateurs mènent donc en quelque sorte une action de pression auprès de la direction, et tentent, par le biais de nombreux textes, d’infléchir la ligne du PCF. Mais faute de succès en interne, ils déploient aussi des stratégies à l’extérieur du PCF : Charles Fiterman fonde en effet l’organisation Refondations en 1991, qui ne se veut « ni club de pensée, ni parti politique », mais un lieu de rencontre entre les gens pour bâtir une « alternative à gauche »319. Dans ce contexte, le XXVIIIe Congrès en janvier 1994 se tient dans un « climat d’inquiétude et de désarroi320 », pour reprendre les mots des historiens Stéphane Courtois et Marc Lazar. Charles Fiterman ne fait pas partie du nouveau bureau même si deux contestataires, Guy Hermier et Philippe Herzog321, y sont maintenus. Les refondateurs, avec à leur tête Guy Hermier, poursuivent leur action intérieure322. Le parti est déchiré entre deux pôles : un pôle contestataire, plus parisien et intellectuel, dont nous avons longuement parlé et un pôle orthodoxe, structuré autour des provinciaux quadragénaires, des membres de l’appareil, de la CGT et de la JC323.

– Les orthodoxes : une frange opposée au renouvellement

En effet, si certaines personnes dénoncent l’insuffisante évolution du parti, d’autres au contraire s’opposent à des transformations qui menaceraient son identité. Or, avec le départ des reconstructeurs du PCF à l’automne 1991, ainsi que celui des refondateurs au fur et à mesure des années 1990 (Charles Fiterman en 1994 notamment324), le poids relatif de ces « orthodoxes » tend à s’affirmer325. Plusieurs éléments illustrent cette opposition.

Ainsi, à l’occasion du XXVIIIe Congrès en janvier 1994, la fédération du Pas-de-Calais

318 Le Monde, 30 octobre 1993, archives en ligne.

319 Libération, 7 juin 1991, boîte 20070366 art. 10, fonds Charles Fiterman, AN.

320 Stéphane Courtois, Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, op. cit., p. 431. 321 Voir la biographie en annexe no 1.

322 Dominique Andolfatto, PCF, de la mutation à la liquidation, op. cit., p. 136.

323 Stéphane Courtois, Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, op. cit., p. 431. 324 Il adhère en 1998 au Parti socialiste.

rejette, selon Le Monde, la version provisoire du manifeste proposée par la direction et les statuts modifiés par crainte des concessions faites aux refondateurs. Ils redoutent en effet l’abandon du centralisme démocratique, qui disparaît finalement bel et bien des statuts326. De plus, en novembre 1993, les 127 signataires d’un tout autre manifeste intitulé « Pour la continuité et le renouveau révolutionnaire du PCF » font parvenir aux participants du XXVIIIe Congrès une lettre dénonçant « l’abandon du Parti fondé à Tours en 1920 » ainsi que de toute « alternative révolutionnaire »327. Ces 127 orthodoxes affirment qu’un « seuil est franchi », que la « direction du Parti » s’attaque à la notion de Parti révolutionnaire, à son identité, à son histoire et à ses traditions internationalistes328 et appellent à diffuser le plus largement possible le manifeste afin d’empêcher « la liquidation du Parti communiste »329. Autre exemple : un militant communiste, membre de la cellule du PCF du 20e arrondissement de Paris, écrit à son secrétaire de section fin juin 1993 pour affirmer son « désaccord profond avec l’abandon du centralisme démocratique330 ». Ce principe apparaît en effet comme un dernier rempart avant « le reniement complet de ce qui fait l’originalité et la force d’un authentique parti communiste331 ». Enfin, ce militant affirme se « battre […] à l’intérieur du parti depuis 1976 pour résister à ce glissement réformiste332 ». En 1996, se développe également la « tendance » Gauche communiste, qui se structure dans le contexte du XIXe Congrès sous la houlette d’un adjoint au maire d’Aubervilliers nommé Jean-Jacques Karman333.

Soulignons toutefois que les orthodoxes sont minoritaires puisque « seuls 18 % des adhérents affirment que l’évolution a été négative » et « seuls 13 % soutiennent » que le parti « n’a plus d’identité et n’est plus révolutionnaire », selon une enquête réalisée en 1998 auprès des adhérents communistes334. En outre, les orthodoxes disposent de moins de postes de responsabilité que les refondateurs et sont donc moins visibles. Enfin, cette voie conservatrice n’empêche pas la poursuite d’un certain unanimisme. Ainsi, les résultats en conférences de section des votes pour le manifeste proposé par la direction et le programme dans le cadre du

326 Le Monde, 18 janvier 1994, page inconnue, boîte 305 J 22-23, fonds Georges Marchais, archives du PCF, AD

Seine-Saint-Denis.

327 Document « Lettre à nos camarades du Parti à l’occasion du XXVIIIe Congrès », 22 novembre 1993, boîte

305 J 22-23, fonds Georges Marchais, archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

328 Ibid.

329 Document « Lettre à nos camarades du Parti à l’occasion du XXVIIIe Congrès », 22 novembre 1993, boîte

305 J 22-23, fonds Georges Marchais, archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

330 Lettre de Gérard Malervanczgh à Pierre Mansat, 25 juin 1993, boîte 305 J 276, fonds Georges Marchais,

archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

331 Ibid. 332 Ibid.

333 Dominique Andolfatto, « Le parti de Robert Hue. Chronique du PCF 1994-2001 », Communisme, no 67-68,

2001, p. 224.

XVIIIe Congrès, qui a lieu du 25 au 29 janvier 1994, se traduisent par une quasi-unanimité : 91,1 % de votes favorables pour le manifeste (3,8 % de votes contre) et 94,4 % de votes favorables pour le programme (1,8 % de votes défavorables)335. L’interprétation de ce genre de résultats doit être prudente : la discipline partisane et la pratique du centralisme démocratique, abandonné lors de ce congrès, ont un impact important sur les délégués et les dissuadent de toute expression d’une éventuelle opposition. Mais on peut penser que ces votes sont aussi, malgré tout, l’expression d’un choix : la direction du Parti est encore largement soutenue par la base militante.

La direction, prise donc en quelque sorte entre deux feux, est au fur et à mesure contrainte de mettre en œuvre quelques transformations, dont l’abandon du centralisme démocratique est un bon exemple, pour apaiser les critiques des refondateurs et afficher l’apparence d’un renouvellement modernisateur. Elle ne peut cependant aller trop loin, principalement pour ne pas renoncer à l’identité du Parti et trop mécontenter la frange plus radicale du PCF, même après l’accession de Robert Hue au poste de secrétaire national, qui tente de faire se transformer le parti.