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L’impact de la défaite de 1993

Chapitre 1 – Le PS face à la crise partisane

1) L’impact de la défaite de 1993

Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993 approfondissent la crise interne que connaît le Parti socialiste depuis le Congrès de Rennes de 1990. À la veille de ces élections législatives, l’organisation est dirigée par Laurent Fabius, premier secrétaire depuis janvier 1992, ayant ainsi succédé à Pierre Mauroy qui l’a proposé à ce poste sans que soient consultés les militants. En mars 1992, c’est-à-dire un an avant ces élections législatives, ont lieu des

164 Michel Dorby, Sociologie des partis politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris,

élections cantonales et régionales, qui prennent donc valeur de « répétition générale165 ». Or, les socialistes n’y recueillent que 18,3 % des suffrages, en recul de 11 points par rapport à 1986. Laurent Fabius est cependant confirmé à son poste lors du Congrès extraordinaire de Bordeaux de juillet 1992, dont l’un des objectifs principaux est de préparer les élections législatives de 1993. La motion de la direction est ratifiée à plus de 85 % des suffrages exprimés166. En réaction aux déchirements du Congrès de Rennes, les congrès de cette période se caractérisent par un certain unanimisme.

Malgré cette préparation, les élections législatives de 1993 sont, pour reprendre le terme du politiste Gérard Grunberg, un « séisme » pour les socialistes167 : ils n’obtiennent que 18,5 % des voix, contre environ 37,5 % aux dernières élections législatives de 1988, certes organisées dans la foulée de l’élection présidentielle. Le nombre de députés socialistes chute : de 275 socialistes et apparentés, ils passent à 52 socialistes et 5 apparentés, soit un total de 57 députés, ce qui correspond à seulement 10 % des sièges de l’Assemblée nationale. Notons également que le score total de la gauche est très faible : 31,1 %. Ces élections sont donc une large défaite pour le PS même si, comme le souligne Gérard Grunberg, il faut garder à l’esprit que les résultats des années 1980 sont plutôt des exceptions dans la longue histoire de ce parti, qui a toujours fait face à une certaine fragilité électorale168.

De plus, il faut souligner que même si les relations avec le Parti communiste sont « réduites au respect de la discipline républicaine169 », celle-ci a fonctionné correctement dans les deux sens le 28 mars, date du second tour170. Ce phénomène de désistement efficace maintient donc une sorte d’alliance très résiduelle mais indispensable entre communistes et socialistes. En outre, comme l’affirme à juste titre le politiste Pierre Martin, le PS ne parvient pas en 1993 à élargir ses alliances au premier tour au-delà des partenaires habituels que sont le MRG et les Divers gauche171. Le PS soutient en effet en 1993 13 candidats Divers gauche et 30 candidats MRG, parti qui avait exigé d’abord de se voir réserver 90 circonscriptions mais qui accepte finalement un nombre bien moins élevé. De surcroît, le PS ne parvient pas à s’allier avec les écologistes qui, comme nous l’avons dit, refusent toute proposition d’accord. Quant au Mouvement des citoyens tout récemment créé et qui présente quelques candidats, treize

165 Pierre Favier, Michel Martin-Roland, La décennie Mitterrand. Tome 4 : Les déchirements, op. cit., p. 133. 166 Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, op. cit.,

p. 384.

167 Gérard Grunberg, « Que reste-t-il du parti d’Épinay ? », in Philippe Habert et al., Le vote sanction. Les

élections législatives des 21 et 28 mars 1993, op. cit., p. 185-215 .

168 Ibid., p. 186-188. 169 Ibid., p. 197. 170 Ibid.

171Pierre Martin, « La désignation des candidats socialistes : plus de continuité que de changements », in

d’entre eux reçoivent l’investiture PS mais les autres sont tous exclus, malgré une attitude initiale de tolérance de la part de la direction socialiste172.

L’impact de cette défaite est fort, du point de vue psychologique comme pratique, parmi les socialistes, comme le montre la réunion du Comité directeur du 3 avril 1993, organisée quelques jours après le second tour. Laurent Fabius se trouve sur la défensive : il explique ainsi qu’il n’y a pas de « commune mesure entre l’ampleur de notre défaite et le bilan objectif de notre action173 ». Ayant conservé son siège de député, il n’envisage pas, selon la politiste Carole Bachelot, de renoncer à sa fonction et tente de limiter les effets de la discussion qui s’ouvre174. Lionel Jospin annonce son retrait de la vie politique durant cette réunion, tandis que Jean-Pierre Chevènement et des membres de son entourage (Georges Sarre, Jean-Luc Laurent, Didier Mochtane, etc.) annoncent leur départ du parti et démissionnent donc du Comité directeur. Durant toute la réunion, les interventions se multiplient pour tenter de trouver à tout prix une solution à la défaite, tandis que les courants sont souvent incriminés175. Six textes sont déposés dans l’après-midi. Laurent Fabius est contraint, pour rassembler un maximum de voix, d’appeler à voter pour celui de Pierre Mauroy et de Michel Rocard, mais ce dernier se rallie finalement au texte de Dominique Strauss-Kahn, qui obtient la majorité des voix. Michel Rocard est désigné président de la direction provisoire du PS à l’unanimité moins une abstention. Grâce à des jeux d’alliances sur des points de convergence très précis, comme l’organisation d’États généraux refondateurs et des Assises de la transformation sociale, le courant jospiniste représenté par Henri Emmanuelli et la Gauche socialiste soutiennent Michel Rocard, malgré leurs fortes divergences idéologiques, et permettent à ce dernier d’obtenir la majorité176. Carole Bachelot souligne dans sa thèse la dimension émotionnelle et affective très forte de cette journée, vécue par les protagonistes comme un moment décisif177. Ce qui a été souvent désigné par la suite comme un « putsch » contre la direction fabiusienne est rendu acceptable par le fait que l’objectif affiché par la nouvelle direction d’alliance entre les rocardiens, les jospinistes et la Gauche socialiste est avant tout de rendre la parole aux militants et de sortir le parti de cette mauvaise passe. Cependant, les

172Pierre Martin, « La désignation des candidats socialistes : plus de continuité que de changements », in

Philippe Habert et al., Le vote sanction. Les élections législatives des 21 et 28 mars 1993, op. cit., p. 52.

173 Intervention de Laurent Fabius, Comité directeur du 3 avril 1993, p. 5, base de données des organismes

centraux du PS, archives en ligne, FJJ.

174 Carole Bachelot, « Groupons-nous et demain… ». Sociologie des dirigeants du Parti socialiste depuis 1993,

thèse de science politique dirigée par Marc Lazar, IEP de Paris, 2008, p. 112.

175 Pierre Mauroy dit à leur propos : « Ce sont nos divisions, ce sont les courants qui sont en grande partie

responsable de notre situation. » (Comité directeur du 3 avril 1993, p. 24, base de données des organismes centraux du PS, archives en ligne, FJJ)

176 Carole Bachelot, « Groupons-nous et demain… ». Sociologie des dirigeants du Parti socialiste depuis 1993,

op. cit., p. 116-117.

années 1993 et 1994 vont être particulièrement troublées pour les socialistes.