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Les communistes et l’union douloureuse avec le PS

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 136-141)

Chapitre 6 – L’union en perspective : représentations et intérêts

1) Les communistes et l’union douloureuse avec le PS

Pour comprendre les relations entre le PCF et le PS, il est impossible de ne pas revenir plus en détail sur l’Union de la gauche et le « moment Programme commun », expression de l’historien Christophe Batardy590. Nous avons déjà abordé celle-ci dans le prologue mais souhaitons l’analyser de nouveau plus en détail car cette expérience reste omniprésente dans les années 1990, bien que souvent implicite, et surtout considérée de manière négative. Malgré cela, elle reste une référence, dans la mesure où l’union apparaît, malgré son caractère conflictuel, totalement intégrée à la culture politique des communistes.

– Une référence critiquée et négative

Tout d’abord, l’expérience de l’Union de la gauche des années 1970 est pour les communistes des années 1990 une référence majeure mais négative, un contre-modèle, invoqué

589 Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points histoire », 2003 (2e édition ;

1re édition : 1999), p. 7.

590 Christophe Batardy, Le Programme commun de gouvernement. Pour une histoire programmatique du

régulièrement pour souligner que ce n’est plus ce type de démarche de rapprochement qu’il faut mettre en œuvre et qu’il est nécessaire de ne pas le recommencer. Beaucoup de dirigeants et de cadres du PCF la considèrent comme la pire période qu’ait connue leur parti591. En effet, l’Union de la gauche est vue par la majorité des communistes comme la cause de l’affaiblissement de leur parti et de leur influence. Cette analyse est en particulier développée lors du XXVe Congrès de février 1985, qui dresse en quelque sorte un bilan de cette expérience, même si le XXIIIe Congrès en juin 1979 faisait déjà état d’une appréciation assez approfondie – et négative – de la période du Programme commun592.

En effet, en 1985, Georges Marchais commence son rapport introductif nommé « Espoir et combat pour l’avenir » en affirmant que ce congrès marque la fin d’une période : celle de l’idée de Programme commun, de sa conception puis de la victoire d’un gouvernement de gauche, une période qui a donc duré un quart de siècle environ. Il revient sur la chronologie de cette période et explique que la politique du Programme commun a imposé au PCF de « multiples contraintes593 ». Quelles sont-elles ? Tout d’abord, l’Union de la gauche aurait conduit le PCF, selon Georges Marchais, à subordonner la lutte pour le changement à celle de la conclusion d’un accord avec le Parti socialiste, ce qui expliquerait notamment le manque de soutien du PCF vis-à-vis du mouvement de mai 1968. De plus, le Programme commun aurait contraint le PCF à considérer que la question de la nature des solutions à mettre en œuvre pour sortir de la crise était résolue, ce qui s’est traduit, selon le secrétaire général du Parti, par un renoncement à la bataille idéologique et politique. Enfin, cette stratégie d’union aurait favorisé le sentiment selon lequel tout viendrait d’en haut. Georges Marchais explique également que ces égarements ont été renforcés par le contexte institutionnel : la bipolarisation croissante et la présidentialisation ont conduit à désigner François Mitterrand, candidat soutenu par le PCF aux présidentielles de 1965 et de 1974, comme leader naturel de la gauche, et le régime « monarchique » de la Ve République a incité le PCF à privilégier un accord au sommet et a renforcé les habitudes de pensée découlant de ce dernier594.

De ces critiques vont découler une reformulation du concept d’union : celle-ci doit dorénavant être portée par le peuple, le mouvement populaire, et non plus être une affaire de négociations entre états majors. Cette nouvelle union pourrait permettre de changer la politique des socialistes et de les ramener à gauche, en quelque sorte : en effet, pour les communistes, le

591 Christophe Batardy, Le Programme commun de gouvernement. Pour une histoire programmatique du

politique (1972-1977), op. cit., p. 500.

592 L’Humanité, 13 octobre 1980, p. 8, boîte 20070366 art. 15, fonds Charles Fiterman, AN.

593 « Congrès du Parti communiste français de février 1985 », Cahiers du communisme, mars-avril 1985, no 3-4,

p. 25.

seul moyen de faire prévaloir une autre politique, « c’est qu’une majorité de notre peuple s’unisse et agisse pour l’exiger595 ». Elle doit s’accompagner d’un renforcement du Parti communiste, sans lequel l’union ne peut avoir lieu. Cette nouvelle conception est incarnée dans la formule « l’union pour se défendre, l’union pour que ça change596 », que le PCF promeut dans les années 1980. Elle est donc assez vague et ne semble pas fondamentalement résoudre la question des relations avec les autres partis progressistes, pas plus que le Pacte unitaire pour le progrès proposé par Robert Hue en 1994, dont nous avons parlé dans le chapitre 2, et qui se situe dans ce sillage.

Les critiques contre l’Union de la gauche perdurent dans les années 1990 chez les communistes, qui développent une forme d’antisocialisme. En effet, la politiste Janine Mossuz-Lavau montre bien dans son enquête réalisée avant les élections législatives de juin 1997, fondée sur plus de cinquante entretiens semi-directifs, que pour la gauche « communisante », l’hypothèse d’une alliance avec le Parti socialiste et d’un vote en sa faveur reste un problème épineux parce que « les alliances passées ont laissé un gout amer à certains qui envisagent de tenter l’expérience avec la plus grande prudence597 ». Janine Mossuz-Lavau souligne que cette prudence n’est peut-être pas de nature à faire oublier le mécontentement par rapport à la droite, mais elle existe bel et bien. D’autres enquêtes menées en 1998 auprès des adhérents communistes et socialistes rejoignent ces conclusions et montrent que les communistes montrent moins de sympathie pour leurs partenaires de gauche que l’inverse : en effet, 32 % des socialistes attribuent par exemple des notes élevées aux communistes, tandis que seulement 20 % de ces derniers font de même par rapport aux socialistes598. Les auteurs de ces enquêtes en concluent qu’il y a chez les communistes une persistance d’une « culture antisocialiste » liée au fait que le mouvement socialiste est depuis longtemps « l’ennemi héréditaire »599. Les communistes accordent des notes plus élevées au MDC et aux Verts, le PS et le PRG ne venant qu’en troisième et quatrième positions600.

De plus, même pendant les périodes d’union, les relations entre PS et PCF n’ont pas été des plus calmes et les deux partis divergent sur le degré d’approfondissement de l’alliance. Durant l’Union de la gauche, le Parti communiste et le Parti socialiste, en plus du MRG, se sont investis pour promouvoir l’alliance, et tout particulièrement les communistes, qui

595 Rapport de Pierre Blotin, p. 38, Comité central des 30 septembre et 1er octobre 1991, boîte 261 J 2/67,

archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

596 Compte-rendu de décisions, Bureau politique du 14 janvier 1988, p. 3, boîte 261 J 4/45, archives du PCF, AD

Seine-Saint-Denis.

597 Janine Mossuz-Lavau, Que veut la gauche plurielle ?, Paris, Odile Jacob, 1998, p. 74. 598 Daniel Boy et al., C’était la gauche plurielle, op. cit., p. 145.

599 Ibid. 600 Ibid.

abandonnent dès la signature du Programme commun la propagande pour leur propre programme601. Mais comme le souligne le nom de l’ouvrage dirigé par Alain Bergounioux et Danielle Tartakowsky602, si union il y a, la question de l’unité est bien moins évidente. La direction du PS fait en effet tout pour éviter les actions communes car celles-ci risqueraient de créer une confusion quant à la personnalité propre de chacune des organisations603. Chez les communistes, la méfiance envers le Parti socialiste ne disparaît pas, même s’ils restent pourtant bien plus enclins à organiser des actions communes. En vérité, il y a durant le moment du Programme commun une oscillation dans l’attitude du PCF à l’égard des socialistes, qui se poursuit également par la suite604. La direction du PCF promeut tantôt un élan unitaire, qui entraîne une modération des critiques envers les socialistes, comme en 1972 après la signature du Programme commun, tantôt une forte relance des relations conflictuelles, par exemple après les élections législatives partielles d’octobre 1974 à l’issue desquelles le PCF est devancé dans cinq circonscriptions sur six et adopte alors un ton très critique envers son allié, dont il met en doute la fidélité au Programme et la volonté transformatrice605. Après la rupture du Programme commun, la conflictualité prend le dessus jusqu’en 1981. Ainsi, en octobre 1980, Charles Fiterman, dans un rapport présenté devant la Conférence nationale, explique ceci :

« En vérité toute l’expérience historique souligne le caractère instable, hésitant, politicien du Parti socialiste, sa tendance permanente à évacuer le terrain de la mise en cause des positions de la grande bourgeoisie pour verser dans la collaboration avec celle-ci, dans la “gestion loyale” des affaires du capital, dès lors que le mouvement populaire et le PCF en son sein ne sont pas assez forts pour le contraindre à une autre orientation606. »

L’entrée au gouvernement marque le retour d’un discours plus apaisé, puis, après le départ des ministres communistes en juillet 1984, un ton très critique est de nouveau adopté, qui reste en vigueur jusqu’au milieu des années 1990, avant que le rapprochement avec les socialistes et les autres partis progressistes dans le cadre des débats, que nous avons étudiés dans le chapitre 4, apporte quelques nuances.

601 Daniel Boy et al., C’était la gauche plurielle, op. cit., p. 87-88.

602 Alain Bergounioux, Danielle Tartakowsky, L’union sans unité. Le programme commun de la gauche (1963-

1978), op. cit.

603 Christophe Batardy, Le Programme commun de gouvernement. Pour une histoire programmatique du

politique (1972-1978), op. cit., p. 181.

604 Entretien avec Roger Martelli, 10 novembre 2017.

605Christophe Batardy, Le Programme commun de gouvernement. Pour une histoire programmatique du

politique (1972-1978), op. cit., p. 242.

606 Rapport de Charles Fiterman à la Conférence nationale du PCF du 11 octobre 1980, p. 33, boîte 20070366 art.

– Une référence cependant maintenue et centrale

De fait, ces critiques sont à la mesure de la centralité de la stratégie d’union au sein du Parti communiste, qui est restée d’actualité pendant de nombreuses années. Comme le souligne à juste titre l’historien François Hincker dans un article écrit pour la revue Communisme et paru en 1986, c’est bien l’absence d’autonomie vis-à-vis de l’Union de gauche, polarisant le champ de la gauche dès les années 1960, qui conduit dans les années 1980 la direction communiste à critiquer fortement ce concept. Il faut rappeler que depuis le milieu des années 1930, avec des appellations et des formes différentes, l’union de la gauche est devenue « quasiment consubstantielle au PCF607 ». Celui-ci ne l’a jamais reniée avant 1979, que ce soit au début de la guerre froide, en 1956 quand il donne les pleins pouvoirs au secrétaire général de la SFIO Guy Mollet ou juste après le référendum de 1958, lorsque le secrétaire général du PCF Maurice Thorez appelle à créer les conditions « d’une union autour d’un programme commun de gouvernement608 ». La stratégie de l’union est donc la seule dont dispose le PCF après la fin de la tripartition609 et l’avènement de la bipolarisation, puisqu’il souhaite rester un parti influent et accéder à la direction des affaires du pays. Après la fin de l’Union de la gauche, le PCF ne parvient pas réellement à trouver une autre stratégie, sinon « l’être-là du parti610 », et oscille tantôt entre une opposition forte avec les socialistes et le maintien de l’union sur le terrain. Il tente de théoriser une union de la base et des forces populaires qui parviendrait à peser sur le PS et limiterait l’intervention des états-majors, mais celle-ci ne semble pas apporter, comme nous l’avons dit plus haut, un quelconque débouché sur le plan électoral ou dans le cadre des relations interpartisanes. Elle laisse plutôt voir en creux le désengagement des militants et la désagrégation des réseaux correspondants611 que la solidité de cette nouvelle stratégie.

En fin de compte, comme le souligne le politiste Bernard Pudal, le PCF se trouve, depuis la fin de l’Union de la gauche jusqu’aux années 1990, dans une situation d’« errance stratégique612 ». Exemple de cette errance : au début des années 1980, Georges Marchais engage le parti à la fois dans une politique de « ré-identification révolutionnaire613 », avec pour corollaire un anti-socialisme ravivé, mais accepte aussi, paradoxalement, la participation aux gouvernements Pierre Mauroy de 1981 à 1984. En parallèle, la dénonciation du

607 François Hincker, « France : le PCF divorce de la société », Communisme, no 11-12, 1986, p. 89. 608 Ibid.

609 Terme désignant la situation des partis politiques entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début de la

Ve République qui renvoie aux trois grandes « famillles » de l’époque : le gaullisme, le communisme et le

socialisme allié au centrisme.

610 François Hincker, « France : le PCF divorce de la société », art. cit., p. 96. 611 Dominique Andolfatto, PCF, de la mutation à la liquidation, op. cit., p. 143.

612 Bernard Pudal, Un monde défait. Les communistes français de 1956 à nos jours, op. cit., p. 137-138. 613 Ibid.

Programme commun se perpétue bien après sa disparition, de manière constante : en février 1994, Robert Hue rappelle ainsi que le Programme commun a créé « l’illusion que la victoire électorale des partis de gauche suffisait à garantir le changement […]614 ». Malgré cette errance stratégique, la « norme unitaire615 » persiste, s’est en quelque sorte ancrée dans la culture politique et est devenue nécessaire pour sortir de l’isolement électoral. Le PCF ne parvient pas réellement à s’en défaire, d’autant plus qu’elle a été incorporée au niveau local grâce aux victoires municipales des unions de la gauche616.

Si la démarche d’alliance est donc bien intégrée à la culture politique des communistes, l’éloignement des années 1990 trouve racine dans l’expérience de l’Union de la gauche. À cette conflictualité, le Parti communiste tente de répondre en mettant en avant la diversité de la gauche : comme nous l’avons dit dans l’introduction, c’est sans doute au sein du PCF qu’est née l’expression « gauche plurielle ». Il est en tout cas manifeste qu’il s’agit d’une thématique mise en avant : Robert Hue affirme ainsi lors du Comité national du 6 avril 1994 que « la gauche est pluraliste » et que les communistes « sont attachés à cette diversité »617. À rebours de l’Union de la gauche, perçue comme une « union d’une seule voix618 », les communistes souhaitent, comme le précise l’ancien directeur de cabinet de Robert Hue Bernard Vasseur, que la gauche plurielle soit une « union à plusieurs voix619 », ce qui empêcherait tout risque d’assimilation avec les socialistes, qui développent un rapport à l’union assez proche de celui de leurs anciens partenaires.

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