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L’impact du système institutionnel et l’évolution du contexte électoral

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 123-126)

Chapitre 5 – Des facteurs externes incitatifs

1) L’impact du système institutionnel et l’évolution du contexte électoral

La configuration institutionnelle, c’est-à-dire l’ensemble des règles qui pèsent sur le champ politique français et sur son organisation, constitue donc un paramètre à prendre en compte si l’on veut comprendre les raisons de la formation des coalitions. Un des éléments importants de cette configuration est le mode de scrutin, qui est, comme le souligne la politiste Nonna Mayer, « un enjeu politique fondamental dans une démocratie représentative533 ». Il fait en effet coïncider plus ou moins bien les préférences exprimées par le corps électoral et le

gouvernement élu par ce dernier. Les élections de la Ve République sont la plupart du temps organisées, à partir de 1958, par le biais du mode de scrutin majoritaire à deux tours, grâce auquel sont élus les candidats ayant obtenu le plus de voix. Les élections législatives de 1986, organisées selon un mode de scrutin proportionnel, c’est-à-dire accordant aux diverses listes un nombre de représentants proportionnel au nombre de suffrages obtenus, constituent une des exceptions notables.

À partir des années 1970, sous les effets du mode de scrutin majoritaire, mais aussi de l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct au milieu des années 1960, on assiste à une bipolarisation croissante du champ politique. L’alternance se fait en effet entre deux camps politiques distincts : la gauche parlementaire et la droite parlementaire. Mais si l’on regarde de plus près, on constate davantage une bipolarisation « à étages » qu’une bipolarisation stricte, ou pour reprendre l’expression du politiste Maurice Duverger, une « quadrille bipolaire »534 : le scrutin majoritaire à deux tours renforce la construction de deux camps opposés, gauche et droite, mais aussi de deux pôles à l’intérieur des deux camps. Ainsi, durant les années 1970, ces deux pôles internes sont constitués très nettement par le PCF et le PS d’une part, et le RPR et l’UDF d’autre part. Cette « quadrille bipolaire » perd en stabilité à partir des années 1980 : le PCF s’affaiblit et à la gauche du PS, il existe désormais plusieurs partis de taille variable, tandis que des divisions naissent au sein du RPR, sans toutefois remettre en cause la prééminence de cette organisation au sein de la droite.

De manière générale, les années 1980 changent cependant cette donne : l’émergence du Front national à partir des élections municipales de 1983 bouleverse le bipartisme de droite et affaiblit la bipolarisation globale. Aux élections législatives de 1986 et 1988, le Front national réalise des scores proches des 10 %. De plus, l’affaiblissement continu du PCF place le Parti socialiste dans une situation d’hégémonie incontestable à gauche. Cet affaiblissement est en partie dû au fait que le mode de scrutin affecte le comportement des électeurs : ceux de gauche, sous l’effet du « vote utile », ont en effet tendance à partir de la fin des années 1970 à privilégier à gauche le parti qui présente le plus de chance de l’emporter, d’accéder au pouvoir et de le conserver. Le Parti socialiste apparaît alors comme le parti correspondant le mieux à ces critères. Les scores qu’ils réalisent durant cette décennie sont les plus élevés de son histoire : après 26,1 % à l’élection présidentielle de 1981, il rassemble entre 31 et 38 % des suffrages environ aux élections législatives de 1981, 1986 et 1988, ainsi qu’à la présidentielle

534 Le Monde, 15 mars 1973, cité dans Aldo Di Virgilio et al., « Systèmes électoraux “complexes”, coordination

de 1988. Le poids des socialistes au sein de la gauche est considérable : représentant 46,3 % de la gauche aux élections législatives de 1974, ce chiffre passe à plus de 72 % douze ans plus tard, en 1986535.

De plus, comme le souligne Nonna Mayer, « en France la logique du scrutin majoritaire à deux tours incite à faire des alliances électorales, à se répartir les circonscriptions au premier tour et à passer des accords de désistement pour le second tour […]536 ». La proportion de sièges allouée à chaque parti dépend donc de sa capacité à nouer des alliances au second tour, en particulier pour les élections législatives, tandis que les élections présidentielles incitent moins aux accords, excepté en 1965 et 1974 où François Mitterrand est l’unique candidat de la gauche537. Cette logique, qui s’impose à partir de 1962, incite à la formation de regroupements à vocation majoritaire, que ce soit dans le camp gaulliste d’alors ou dans l’opposition avec la formation de l’Union de la gauche. Le premier désistement républicain à gauche s’effectue en 1947 mais, comme l’explique Christophe Batardy, ce sont bien les législatives de 1962 et les élections présidentielles de 1965, durant lesquelles François Mitterrand est le candidat unique de la gauche, qui participent véritablement à la création d’un « réflexe électoral538 » pour un second tour chez un électeur socialiste ou communiste. Ce réflexe est donc signe d’un sentiment d’appartenance à une même famille politique, la gauche. Il est cependant à noter que socialistes et communistes n’ont jamais, à l’occasion des scrutins législatifs par exemple, négocié autre chose que des accords de désistement au second tour. Aucun accord de répartition des circonscriptions n’a jamais été signé, même avant 1962. Dans ce sillage, l’Union de la gauche est plus une union programmatique qu’électorale : les deux seuls types d’élections concernés par une alliance électorale sont les présidentielles, en 1965 et 1974 uniquement, et les municipales, à partir de 1977.

À partir du début des années 1980, l’hégémonie électorale amène de nombreux socialistes à considérer l’union non plus comme une association de partis égaux mais comme un rassemblement autour du Parti socialiste, qui jouerait le rôle de pôle. Le Parti socialiste est vu comme le parti du rassemblement à gauche. La presse socialiste se fait l’écho de ce changement d’attitude et explique ainsi, à la fin de l’année 1989, que « tout le monde s’accorde pour faire du PS le parti du rassemblement à gauche. […] La question n’est plus de

535 Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’Ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, op. cit.,

p. 394.

536 Nonna Mayer, Sociologie des comportements politiques, op. cit., p. 149.

537 Aldo Di Virgilio et al., « Systèmes électoraux “complexes”, coordination préélectorale complexe. Une

comparaison France-Italie », art. cit., p. 354.

538 Christophe Batardy, Le Programme commun de gouvernement. Pour une histoire programmatique du

nouer des alliances mais plutôt de créer un pôle de rassemblement539 ». Cette conception va conduire dans les années 1990 à une oscillation entre une volonté d’union sans hégémonie et une coalition dans laquelle le Parti socialiste serait clairement le centre et l’élément dominant. Cette oscillation s’explique en grande partie par le fait que, durant le second mandat de François Mitterrand de 1988 à 1995, la situation d’hégémonie socialiste apparaît moins évidente et les scores électoraux du PS connaissent une forte baisse, comme cela a déjà été évoqué dans le chapitre 1 : près de 35 % au premier tour des élections législatives de 1988, 24 % aux élections européennes de 1989, à peine 21 % aux élections régionales de 1992, moins de 20 % aux élections législatives de 1993, environ 14 % aux élections européennes de 1994. S’il faut comparer avec prudence ces différents types d’élections dont les modes de scrutin diffèrent, on ne peut que constater un étiolement de l’assise électorale des socialistes, qui n’a finalement duré que le temps d’un long premier septennat. Si les résultats se situent aux alentours des 30 % durant la première grande moitié des années 1980, ils descendent par la suite plutôt autour de 20 %, ce qui ne suffit plus pour constituer une majorité absolue à l’Assemblée nationale, seulement obtenue en 1981, ni même dans des assemblées plus locales, comme celles régionales. Ce déclin, et en particulier le score aux élections législatives de 1993, oblige donc les socialistes à repenser leur stratégie d’alliance. Les élus socialistes, fragilisés par les mauvais résultats, dénoncent de plus en plus l’incapacité du parti à mettre au point cette stratégie, permettant d’assurer une stabilité politique et électorale. Ainsi, Bernard Poignant, député du Finistère battu en 1993, affirme à la suite de ces élections législatives : « Alors que ce soit PS-CDS, PS-PC ou autonomie par la majorité absolue, on n’a eu aucun des trois et on a navigué avec ça pendant cinq ans. On a eu tout faux540. » Au milieu des années 1990, il faut donc pour les socialistes trouver un moyen de reconstruire la force électorale perdue, ce que peut leur apporter peut-être la dynamique de mobilisation hors élections qui se développe.

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 123-126)