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L’union vue par les socialistes

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 141-146)

Chapitre 6 – L’union en perspective : représentations et intérêts

2) L’union vue par les socialistes

Après l’expérience des années 1970, des tentatives pour s’émanciper de l’union avec le Parti communiste émergent au sein du Parti socialiste, notamment par le biais des accords avec les centristes, et la notion d’alliance apparaît ainsi ajustable aux stratégies électorales de l’organisation partisane620. L’Union de la gauche constitue cependant, comme chez les communistes, une norme incorporée et qui se situe aux fondements de l’identité du parti, à laquelle il est donc difficile d’échapper.

614 Rapport de Robert Hue au Conseil national du 24 février 1994, p. 8, L’Humanité, 25 février 1994, boîte 261

J2/270, archives du PCF, AD Seine-Saint-Denis.

615 Nicolas Bué, Rassembler pour régner. Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane :

l’union de la gauche à Calais (1971-2005), op. cit., p. 248.

616 Rémi Lefebvre, « La construction de l’union de la gauche au niveau municipal. L’institutionnalisation d’une

norme unitaire », in Alain Bergounioux, Danielle Tartakowsky, L’union dans l’unité. Le programme commun de la gauche (1963-1978), op. cit., p. 209-210.

617 Rapport de Robert Hue au Conseil national du 6 avril 1994, p. 38-39, boîte 261 J2/70, archives du PCF, AD

Seine-Saint-Denis.

618 Entretien avec Bernard Vasseur, 6 avril 2018. 619 Ibid.

620 Thierry Barboni, Les changements d’une organisation : le parti socialiste, entre configuration partisane et

– Choisir l’alliance avec les centristes ?

L’alliance avec les centristes a été privilégiée deux fois dans l’histoire des socialistes : après la Seconde Guerre mondiale, avec les alliances de type « troisième force » entre les socialistes et les modérés formées contre les deux autres forces que sont à cette époque le gaullisme et le communisme, et en 1988, avec la tentative d’ouverture.

En effet, après la réélection de François Mitterrand en tant que président de la République le 8 mai 1988, le Parti socialiste, sous l’impulsion de son ancien premier secrétaire, propose de mettre en place une alliance avec les centristes, dans le cadre de la stratégie dite de « l’ouverture621 ». Proposition est également faite aux communistes de participer à ce rassemblement, l’ouverture de gauche faisant ainsi pendant à l’ouverture centriste622, mais le PCF refuse cette configuration. Le Parti socialiste envisage de réserver 20 circonscriptions aux « républicains » (autre nom des centristes), dont François Bayrou et Jean-Pierre Soisson, membres de l’UDF623. L’ouverture, déjà circonscrite au soutien à quelques personnalités et ne correspondant pas à une démarche collective, se réduit encore davantage au fur et à mesure que se rapprochent les élections législatives des 5 et 12 juin 1988. Finalement, l’ouverture aux centristes ne concerne qu’une dizaine de candidats624. Des centristes, appelés « ministres d’ouverture », entrent malgré tout au gouvernement de Michel Rocard, tels que Jean-Pierre Soisson, qui devient ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle. À l’Assemblée nationale, les socialistes sont donc contraints à un jeu de bascule, en fonction des textes de loi, entre les communistes et les centristes. Les ministres d’ouverture ne parviennent cependant pas à former un groupe parlementaire « France unie625 ». Le PS prend donc soin de ne pas prôner l’alliance à gauche et tente de ménager, dans un équilibre délicat, les groupes situés à sa droite et à sa gauche. Mais le PCF dénonce alors avec force, comme nous l’avons souligné, l’alliance du PS avec les forces de droite.

Si l’ouverture proposée par les rocardiens est refusée par la direction de 1981 à 1988626, qui réaffirme au Congrès de Lille de 1987 qu’après la prochaine élection présidentielle il n’y aura « ni dérive centriste, ni résurrection de la troisième force627 », il en va donc différemment

621 Celle-ci est pourtant officiellement refusée par le PS lors du Congrès de Lille en 1987. Voir : Thierry Barboni,

Les changements d’une organisation : le parti socialiste, entre configuration partisane et cartellisation (1971- 2007), op. cit., p. 264.

622 Le Monde, 17 mai 1988, archives en ligne.

623 Document « Ouverture vers les républicains », non daté, boîte 1988 Bureaux exécutifs dossiers, archives du

PS, FJJ.

624 Le Monde, 26 mai 1988, archives en ligne.

625 Pierre Favier, Michel Martin-Roland, La décennie Mitterrand. 4. Les déchirements, op. cit., p. 362.

626 Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, op. cit.,

p. 344.

après la désignation de Pierre Mauroy comme premier secrétaire en 1988628 et la nomination de Michel Rocard au poste de Premier ministre. Quant à François Mitterrand, il insiste, pendant et après sa réélection, sur sa volonté d’« élargir629 » la majorité présidentielle « à celles et ceux qui voudront la rejoindre, sans qu’il y ait d’obligation ou de reniement pour quiconque…630 » Après deux années de cohabitation durant lesquelles la droite a gouverné le pays, les socialistes de retour au gouvernement doivent trouver un moyen de stabiliser leur majorité et ne peuvent s’appuyer sur les communistes, compte tenu de leur hostilité à la politique menée. L’alliance avec les centristes apparaît donc comme une solution à cette situation. Il n’apparaît donc pas qu’il y ait unanimement « refus des alliances au centre631 » au Parti socialiste, mais plutôt oscillation entre un rapprochement avec le centre et le maintien du rassemblement à gauche, les deux options servant par ailleurs des intérêts électoraux et politiques, qui, dans le cas de l’ouverture, sont privilégiés par rapport à la culture politique. Cette oscillation se poursuit après le début des années 1990, notamment en raison de l’intervention de Michel Rocard. Ce dernier prononce en effet le 17 février 1993, quelques semaines avant les élections législatives, un discours dans lequel il dit aspirer à la mise en œuvre d’un big-bang pour refonder et élargir le Parti socialiste, en rassemblant des communistes réformateurs au centre en passant par les écologistes. Il appelle à la création :

« d’un vaste mouvement, ouvert et moderne, extraverti, riche de sa diversité et même l’encourageant. Un mouvement qui fédère tous ceux qui partagent les mêmes valeurs de solidarité, le même objectif de transformation. […] Il s’étendra à tout ce que l’écologie compte de réformateur, à tout ce que le centrisme compte de fidèle à une tradition sociale, à tout ce que le communisme compte de véritablement rénovateur, et à tout ce que les droits de l’homme comptent aujourd’hui de militants actifs et généreux632 ». Cette perspective ne se concrétise pas car les autres partis progressistes réagissent avec peu d’enthousiasme : par exemple, le Comité directeur du 3 avril 1993 du MRG entérine le refus de la participation au big-bang633 et les Verts réunis en CNIR les 3 et 4 avril 1993 affirment dans une décision collective qu’ils ne « s’inscrivent pas dans une démarche de recomposition de la gauche », ni dans « un quelconque “rassemblement des forces de progrès” qui ne serait pas fondé sur une

L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, op. cit., p. 344.

628 Pierre Mauroy devient premier secrétaire du PS au lendemain du second tour des élections présidentielles de

1988, qui a lieu le 8 mai de cette année. Lionel Jospin a démissionné de son poste car il a été nommé ministre de l’Éducation.

629 Document « Interview accordée par François Mitterrand, président de la République, à TFI – Palais de

l’Élysée, jeudi 14 juillet 1988 », p. 13, boîte 1988 Bureaux exécutifs dossiers, archives du PS, FJJ.

630 Ibid.

631 Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, op. cit.,

p. 342.

632 Discours de Michel Rocard à Montlouis-sur-Loire, p. 8, 17 février 1993, archives en ligne : michelrocard.org. 633 Le Monde, 6 avril 1993, archives en ligne.

reconstruction de la notion de progrès »634. De plus, comme nous l’avons montré dans le chapitre 1, à l’issue des États généraux et du Congrès du Bourget de 1993, c’est finalement l’alliance avec les partis de gauche exclusivement, auxquels sont adjoints les écologistes, qui est privilégiée, parce que les centristes participent, après les élections législatives de 1993, au gouvernement d’Édouard Balladur, mais aussi parce que cela permet de contribuer à la stabilisation de la situation interne et que cela reste, surtout, une norme ancrée.

– L’alliance avec les communistes : une référence là encore très présente et incorporée

En effet, c’est tout d’abord sur l’objectif d’union avec le Parti communiste que le PS se refonde en 1971. La signature du Programme commun avec le PCF a été le premier objectif de François Mitterrand, une fois devenu premier secrétaire du PS. Il concevait cette union avant tout comme un moyen d’arriver au pouvoir, un accord électoral, à la différence d’Alain Savary ou de Guy Mollet, qui songeaient davantage à la réunification635. Il a donc renouvelé l’approche des socialistes vis-à-vis des communistes, en s’éloignant de la mythologie de la réconciliation ou de l’effacement de Tours, qui constituait un objectif lointain de la SFIO au début des années 1960636. L’action de François Mitterrand à la tête du PS permet de rendre en quelque sorte moins passionnel le rapport des socialistes à l’union et à la perspective de réunification qu’elle pourrait dessiner : il contribue ainsi à instaurer le principe d’une « union froide637 », selon la formule d’Alain Bergounioux et Gérard Grunberg.

Toutefois, l’historien Michel Winock souligne que si l’union est inscrite dans la culture politique des socialistes, elle est en tension avec une dimension importante : l’anticommunisme. Si ce terme ne semble plus très valable à partir des années 1980 et surtout 1990, il existe en effet, à l’image des communistes, une « défiance638 » des socialistes envers leurs partenaires, qui traverse les décennies. L’histoire de leurs relations est ainsi principalement caractérisée par une « alternance d’union et de détestation639 » : scission violente en 1920, union dans le cadre du Front populaire, puis juste après la Seconde guerre mondiale avec le Programme commun de la Résistance, hostilité pendant les premiers temps de la guerre froide, puis de nouveau rapprochement en vue de l’Union de la gauche... Cette

634 Compte-rendu du CNIR des 3 et 4 avril 1993, dossier du 22 avril 1993, p. 16, boîte C1 Écologisme 2.5 Vie du

mouvement AG Chambéry – La Villette – Lille CIRE/POL/PERSO/YC/137, fonds Yves Cochet, CIRE.

635 Denis Lefebvre, « Le Parti socialiste à l’heure de l’union de la gauche », in Alain Bergounioux, Danielle

Tartakowsky (dir.), L’union sans unité. Le programme commun de la gauche (1963-1978), op. cit., p. 39.

636 Ibid., p. 35.

637 Alain Bergounioux, Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir, op. cit.,

p. 258 sqq.

638 Michel Winock, « La culture politique des socialistes », in Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en

France, op. cit., p. 221.

culture politique particulière, prise donc entre deux feux, contribue à expliquer que le Parti socialiste ait historiquement des difficultés à envisager, comme le soulignent Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, d’autres formes d’alliances que « des formules politiques d’une portée soit plus étroite – de simples rapprochements tactiques – soit plus large – réunifier le parti de la classe ouvrière640 », du moins jusqu’à la fin des années 1970.

Après la fin de l’Union de la gauche, cette dernière reste aussi chez les socialistes une référence très présente, en partie en raison de la proximité chronologique, plus forte que pour les autres formes d’union qu’ont été le Cartel des gauches641 ou encore le Front populaire, bien que, comme l’explique Michel Winock, « l’image du Front populaire, ce gouvernement des masses, confié à un socialiste pour la première fois, [soit] demeurée forte642 ». Chez les socialistes, l’Union de la gauche apparaît comme une expérience plutôt dépassée que négative : Lionel Jospin affirme déjà en 1993 que les Assises de la transformation sociale ne sont « pas une tentative de reconstitution de l’Union de la gauche 643 ». Au fond, l’Union de la gauche n’est pas réellement critiquée par le PS, non seulement parce qu’elle a été très bénéfique d’un point de vue électoral et qu’elle a notamment « permis la victoire de 1981644 », mais aussi parce qu’elle reste inscrite dans la culture politique des socialistes, en tant qu’acquis du Congrès d’Épinay. Ainsi, le fait que cela soit Lionel Jospin, fortement engagé dans les négociations durant les années 1970 entre le PS et le PCF en vue de la rédaction du Programme commun ou de sa réactualisation645, qui relance l’idée d’une alliance n’est pas un hasard.

Il est cependant évident aux yeux des socialistes qu’après le départ des communistes du gouvernement en juillet 1984, la période de l’Union de la gauche à l’échelle nationale est révolue. Le changement majeur qu’apportent les années 1980 réside dans la conception de la place du PS dans les alliances, qui subsistent à l’échelle locale. Celui-ci n’est plus désormais un partenaire plus faible ou d’influence égale par rapport au Parti communiste, mais un parti

640 Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir (1905-

2005), op. cit., p. 326, cité dans Carole Bachelot, « Revisiter les causalités de l’évolution », in Yohann Aucante, Alexandre Dézé (dir.), Le système des partis dans les démocraties occidentales. Le modèle du parti-cartel en question., op. cit., p. 405.

641 Frédéric Monier, « Cartel des gauches et gouvernements radicaux (1924-1926 et 1932-1934) », in Gilles

Candar, Jean-Jacques Becker (dir.), Histoire des gauches en France. Tome 2 – XXe siècle : à l’épreuve de

l’histoire, op. cit., p. 227-237.

642 Michel Winock, « La culture politique des socialistes », in Serge Berstein (dir.), Les cultures politiques en

France, op. cit., p. 216-217.

643 Intervention de Lionel Jospin, Compte-rendu du Bureau national du 1er décembre 1993, p. 2, boîte no 276

Coordination Bureaux exécutifs 6 janvier 1993 – 22 décembre 1993, archives du PS, FJJ.

644 Intervention de Louis Mermaz, Congrès de Toulouse des 11, 12 et 13 octobre 1985, p. 87, base de données

des organismes centraux du PS, archives en ligne, FJJ.

645 Le centre d’archives socialistes de la Fondation Jean Jaurès dispose ainsi des dossiers de Lionel Jospin sur les

clairement dominant dans l’espace de la gauche. Le maintien de la logique d’union avec le PCF aux élections municipales correspond ainsi à une stratégie protectrice de la part du PS, qui ne veut pas que se ménage « un espace politique et revendicatif646 ». L’union permet donc de continuer, en quelque sorte, à contenir les votes en faveur du Parti communiste et maintenir la position hégémonique du PS.

La culture politique renvoie aussi à la question de l’image auprès du peuple de gauche, car il devient nécessaire d’apparaître, dans les années 1970 comme dans les années 1990, le plus unitaire possible : Lionel Jospin affirme ainsi en septembre 1996 qu’il faut que les socialistes gardent « le talisman de l’unité647 », sans pour autant reproduire l’histoire de façon mécanique. Le PS cherche donc à afficher « sa volonté unitaire648 », qui lui avait déjà bénéficié pendant la période du Programme commun. Cela ne l’empêche cependant pas de produire des critiques très fermes à l’égard du PCF, aggravant ainsi la conflictualité des relations partisanes, en particulier entre 1989 et 1991, au moment de la dislocation de l’URSS. Ainsi, dans un éditorial d’un numéro de Vendredi, Pierre Mauroy, alors premier secrétaire, juge le PCF « enfermé dans des certitudes d’un autre âge » et en train de « tourner en rond comme une boussole sans repère »649. La chute de l’URSS semble par ailleurs, aux yeux des socialistes, confirmer la non-pertinence de la stratégie des communistes et de la radicalité de leur doctrine. Les relations entre les deux partis sont donc conflictuelles mais très prégnantes, à l’inverse de celles nouées avec les écologistes.

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 141-146)