• Aucun résultat trouvé

Économie et écologie : des terrains d’entente ?

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 115-119)

Chapitre 4 – Échanges : lieux, expressions, discussions

2) Économie et écologie : des terrains d’entente ?

Nous proposons tout d’abord d’étudier de manière approfondie deux thématiques : l’économie, comprise dans un sens assez large, et l’écologie. Elles apparaissent en effet comme deux terrains au sein desquels des différences se jouent, particulièrement entre les partis de gauche traditionnels et les écologistes, mais également des convergences, qui finissent par émerger.

– Économie : le nœud du productivisme

Tout d’abord, concernant l’économie, les divergences les plus fortes semblent se nouer entre d’une part les écologistes, et d’autre part, les socialistes et communistes. Le discours écologiste se concentre avant tout sur le plan environnemental, mais « il met également en exergue les liens entre la destruction du cadre de vie et un système économique tout entier tourné vers le productivisme et la croissance489 ». Ainsi, de manière générale, les Verts sont particulièrement critiques vis-à-vis de la « sacro-sainte croissance490 »et du productivisme. Que signifie cette notion centrale dans la pensée des écologistes ? Un projet de plaquette élaboré par la commission « économie » en 1991 définit le productivisme comme : « la logique économique qui conduit à produire toujours plus en recherchant la productivité maximale sans réduire pour autant le travail, et sans prendre en compte d’autres contraintes comme l’utilisation des ressources naturelles, les effets de la production ou de la consommation sur le milieu ou les incidences sociales des évolutions491 ».

Ce mode de fonctionnement dominant qu’est le productivisme a été, selon eux, aussi bien mis en œuvre par le capitalisme que par le socialisme soviétique. Les écologistes affirment donc vouloir rompre avec le productivisme, en subordonnant les choix économiques aux réalités sociales et environnementales et en faisant prévaloir l’autonomie, la solidarité et la responsabilité écologique globale.

publié chez Grasset en 2002 : il souligne que c’est à l’occasion de ces dîners informels que naissent « les ingrédients » de la nouvelle coalition (p. 44).

489 Sébastien Repaire, « La création des Verts : une intégration idéologique de l’écologie politique ? », Revue

française d'histoire des idées politiques, no 44, 2016/2, p. 118.

490 « Le pouvoir de vivre » (programme des écologistes pour l’élection présidentielle de 1981), numéro spécial

de la revue mensuelle Écologie, p. 141.

491 « Les Verts et l’économie », projet de plaquette, juin 1991, p. 1, boîte B4 Écologisme 2.4 CNIR 1990-1992

CIRE/POL/PERSO/YC/47, fonds Yves Cochet, CIRE. Cette brochure sera par la suite diffusée au sein du Vert contact no 233 (15-21 février 1992). Il s’agit du premier document dans lequel les propositions de la commission

« économie » des Verts sont officialisées. Voir : Vanessa Jérôme, « Les quatre saisons de l’économie verte », Savoir/Agir, no 42, 2017/4, p. 57.

L’analyse des divergences révèle également un certain regard des Verts sur le logiciel économique de la gauche en particulier. Ils expliquent ainsi, dans une brochure de présentation produite à l’occasion des élections législatives de 1986 que « les autres mouvements politiques ne prononcent que trois mots pour vaincre le chômage et relancer l’économie : flexibilité, productivité, croissance492 ». Or, pour les Verts, ces trois paramètres ne permettent pas de créer d’emplois, contrairement à ce qu’affirmeraient les partis de droite et de gauche, qui sont mis sur le même plan. Bien sûr, le format du document appelle ce genre de jugement plutôt raccourci et percutant, mais il est assez révélateur du regard des écologistes sur les autres partis politiques. Pour les Verts, la droite et la gauche sont fondamentalement partisanes du productivisme. C’est aussi de manière stratégique que les écologistes accentuent les divergences entre eux et les deux camps politiques traditionnels, qu’ils homogénéisent.

Néanmoins, les écologistes empruntent une partie de leur matrice idéologique à la gauche car ils entendent, de la même manière que les socialistes et les communistes, repenser les rapports entre l’homme et la société. La critique du capitalisme est également présente dans leurs discours, mais elle est liée à celle du productivisme et de la croissance493. Dans son ouvrage sur l’histoire de l’écologie politique, Jean Jacob développe la thèse selon laquelle il y a un vrai rassemblement de l’écologie et du socialisme, dans le cadre d’un discours tiers-mondiste, chez René Dumont, premier candidat écologiste à l’élection présidentielle en 1974, mais aussi chez Dominique Voynet, qui s’inscrit aussi, selon lui, dans cette filiation, de manière plus prononcée qu’Antoine Waechter. Jean Jacob écrit à propos de René Dumont que sa candidature en 1974 « amorce une contestation globale de la société qui vise surtout à la domination de l’économie de profit, l’hégémonie du marché. C’est moins un constat écologique qu’un vif souci de justice sociale qui meut son engagement494 ».

La remise en cause de la croissance n’est cependant pas totalement étrangère aux socialistes, et sa critique chemine au sein du PS depuis les années 1970. Cependant, de manière globale, les socialistes font de la croissance un objectif permettant de réduire le chômage et la remettent peu en cause, tandis que la critique sociale reste privilégiée495. Ainsi, dans le chapitre consacré à l’emploi, le programme des socialistes pour les législatives de 1993

492 « Le choix de la vie : les Verts et leurs propositions politiques », Brochure de présentation des Verts adoptée

lors du CNIR de Choisy-le-Roi le 16 mars 1986, hors boîte, archives des Verts, CIRE.

493 Simon Persico, Un clivage, des enjeux. Une étude comparée de la réaction des grands partis de

gouvernement face à l’écologie, op. cit., p. 66.

494 Jean Jacob, Histoire de l’écologie politique. Comment la gauche a redécouvert la nature, Paris, Albin Michel,

1999, p. 279-293.

495 Timothée Duverger, Le Parti socialiste et l’écologie, 1968-2011, Notes de la Fondation Jean Jaurès, 2012,

prévoit de « favoriser une initiative européenne de croissance, au service de l’emploi496 ». Mais il est également prévu, à l’instar des Verts, d’« encourager le partage du travail », à travers « des négociations d’ensemble visant à une réduction et à un meilleur partage de la durée du travail »497. Cette proposition, qui n’était plus mise en avant depuis la troisième loi Auroux de novembre 1982, refait surface alors que la récession économique s’installe et que le chômage augmente de nouveau498. Nuance cependant importante entre les Verts et les socialistes : les premiers sont pour une diminution des hauts salaires en cas de réduction du temps de travail, alors que les seconds sont défavorables à toute diminution des salaires, en particulier après le Congrès de Liévin en 1994 qui tranche cette question.

En outre, la critique de la croissance et la volonté de diminution des salaires gênent particulièrement le PCF. Georges Marchais explique ainsi lors d’un meeting organisé pour les élections législatives de 1993 :

« La progression des écologistes est elle aussi en un sens, une manifestation de la nécessité de la remise en cause des forces du progrès […]. Cela dit, il faut savoir qu’en matière économique et sociale, les formations écologistes proposent le refus de la croissance, le partage du travail assorti de la diminution des salaires à partir de 8 500 francs par mois […]499. »

Or, le PCF place la croissance comme une des solutions essentielles à la baisse du chômage et à la création d’emplois. Les propositions des écologistes sont donc pour les communistes « porteuses d’austérité et de régression économique500». Ces derniers se prononcent en faveur

d’une réduction du temps de travail mais sans diminution de salaire. Ils affirment en effet que la production n’est pas excessive puisque la France manque par exemple de logements et de services publics. Le programme adopté à l’issue du XVIIIe Congrès de janvier 1994 prévoit ainsi l’instauration des 35 heures sans diminution de salaire, avec comme horizon les 32 heures501.

– Une écologie tardivement prise en compte à gauche

L’écologie est aussi un des points de désaccord entre les Verts et le reste de la gauche. En

496 Document « Le contrat pour la France. 1993-1998 », Bureau exécutif du 2 décembre 1992, archives du PS,

FJJ.

497 Ibid.

498 Patrick Fridenson, Bénédicte Reynaud (dir.), La France et le temps de travail (1814-2004), Paris, Odile

Jacob, 2004, p. 149-150.

499 Discours de Georges Marchais, meeting de Stains, 5 mars 1993, p. 7-8, boîte 305 J 160, fonds Georges

Marchais, AD de Seine-Saint-Denis.

500 Rapport de Georges Marchais, p. 46, Comité central du 11 avril 1992, boîte 305 J 40, fonds Georges

Marchais, AD Seine-Saint-Denis.

effet, ce sujet est évidemment au cœur de l’idéologie des premiers, tandis que les socialistes et les communistes le prennent en compte tardivement et de manière bien plus succincte.

Historiquement, c’est d’abord la question du nucléaire qui sépare la gauche traditionnelle et les écologistes. Ces derniers s’investissent en effet très tôt, dès les années 1970, dans la lutte antinucléaire, qu’ils conçoivent comme « un combat politique les opposant à la technocratie et à l’idéologie productivisme502 ». Quant aux socialistes, si à l’approche des élections présidentielles, comme en 1981, ils se montrent plus favorables à cette opposition503, les deux septennats de François Mitterrand sont marqués globalement par la poursuite du développement du programme nucléaire civil. Les communistes ne remettent pas non plus en cause, tant s’en faut, le programme nucléaire civil français, notamment en raison de la très bonne implantation de la CGT au sein de l’entreprise EDF.

Le contraste entre socialistes et écologistes tend cependant à s’atténuer au fur et à mesure. En effet à partir de la fin des 1980, la notion de développement durable est inscrite dans les textes officiels du Parti socialiste504 et ce dernier, compte tenu des bons résultats des écologistes, « multiplie les propositions à destination de l’électorat vert505 ». Ainsi, la lettre aux Français de François Mitterrand506 rédigée pour l’élection présidentielle de 1988 n’aborde quasiment pas les questions écologiques, le terme « écologie » n’y étant d’ailleurs pas présent, alors que Lionel Jospin y consacre un tiers d’un chapitre en 1995 et affirme explicitement vouloir « mettre en place un plan de reconquête écologique507 ». Enfin, dans sa thèse, le politiste Simon Persico constate que si les propositions concernant l’écologie sont peu nombreuses au sein des programmes socialistes entre 1983 et 1997, le PS est favorable à la plupart des enjeux écologistes dégagés par Simon Persico, comme la protection de l’environnement508. L’adoption de ces positions favorables à l’environnement a cependant un but stratégique : ne pas légitimer le nouveau clivage, entre défenseurs de l’environnement et non-défenseurs, que les Verts et les autres mouvements écologistes tentent d’imposer509.

Par ailleurs, dans la continuité de ce que nous avons évoqué plus haut, les écologistes ou les

502 Alexis Vrignon, Les mouvements écologistes en France (de la fin des années soixante au milieu des années

quatre-vingt), thèse d’histoire sous la direction de Bertrand Joly, université de Nantes, 2014, p. 451 sqq.

503 Timothée Duverger, Le Parti socialiste et l’écologie, 1968-2011, Paris, Notes de la Fondation Jean Jaurès,

2010, p. 43.

504 Ibid., p. 104. 505 Ibid., p. 103. 506 Archives du PS, FJJ.

507 Programme du PS « 1995-2000. Propositions pour la France », p. 26, boîte H2 no 12 Organisation et matériel

de campagne Élection présidentielle de 1995 CIRE/PO/EELV/ELEC/PRESI95, fonds des Verts, CIRE.

508 Simon Persico, Un clivage, des enjeux. Une étude comparée de la réaction des grands partis de

gouvernement face à l’écologie, op. cit., p. 325 sqq.

509 Simon Persico, Un clivage, des enjeux. Une étude comparée de la réaction des grands partis de

partis écologistes sont souvent critiqués par la direction du PCF. Comme le souligne Guillaume Sainteny, selon le PCF, les problèmes environnementaux existent bel et bien mais les solutions des partis écologistes ne sont pas adaptées puisque c’est le capitalisme qui est responsable des problèmes environnementaux. Ces derniers ne peuvent donc se régler qu’en résolvant les problématiques économiques et en pensant la question des rapports capital- travail510. Rares sont donc les communistes qui prennent véritablement en compte les problématiques écologiques. Ce sont en définitive davantage les communistes dissidents, tels que Pierre Juquin, dont la mouvance Nouvelle gauche, issue des comités Juquin, fusionne notamment avec l’Alternative rouge et verte (l’AREV), ou encore Marcel Rigout et Charles Fiterman, qui soutiennent la candidature de Dominique Voynet en 1995, qui jettent le plus de ponts avec les écologistes511. Écologistes et communistes dissidents partagent d’ailleurs des points de vue très proches concernant la question européenne, comme nous l’avons évoqué dans le prologue. Des désaccords forts existent toutefois entre les partis progressistes à propos de cette question, que nous allons examiner.

Dans le document La genèse de la gauche plurielle (1993-1997) (Page 115-119)