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La période du règne d’Abou Yaqoub

Chronologie historique et structurations romanesques fragmentaires

I. La construction narrative bakhaïenne

1.2. Les Enfants d’Ayye entre séquences et micro-récits

1.2.6. La période du règne d’Abou Yaqoub

La phase initiale de période du règne d’Abou Yaqoub

L’histoire commence à Wahrân durant la période almohade, sous le règne du Prince Abou Yaqoub. Aldjia qui a dû se remarier continue tout de même d’élever son fils Khallil dont le père n’est autre que le héros de la séquence précédente. Khallil continue à travailler à Mers el-Kébir tout en rêvant de partir à Bejaia pour apprendre le métier de charpentier, car c’est dans cette ville qu’étaient construit les meilleurs bateaux. Cependant, ce rêve en cache un autre plus important que ni Aldjia, ni Khallil n’ont osé aborder. Khallil rêve de découvrir la vérité sur l’identité de son vrai père. Ainsi, le désir de partir n’est autre que l’expression de l’absence paternelle dont il a toujours souffert en silence :

Sur le débarcadère il y avait foule comme chaque soir à la même heure […] Lorsque Aldjia mit au monde son fils, on occultait le père : un secret qui soudait la grande famille des pêcheurs. […] Khallil accepta mal ce mariage. La mort lui avait ravi sa grand-mère, un homme le privait en partie de sa mère ! […] il alla rejoindre les pécheurs pour apprendre le métier. […] Khallil se passionna. […] Il se mit à rêver de bateaux, de vrais

1 BAKHAÏ, Fatéma. Les Enfants d’Ayye. op. cit., p. 286.

[…] dans la rade de Mers el-Kébir […] Aldjia était malade. […] Il est peut-être temps, lui dit-elle avec un sourire qui éclaira son visage émacié que je te parle un peu de ton père…1

La phase événementielle de la période du règne d’Abou Yaqoub

La force transformatrice

Cette séquence compte plusieurs événements perturbateurs. Néanmoins, c’est la révélation de Aldjia sur le père de Khallil qui constitue le réel élément perturbateur, puisqu’elle va encourager son départ pour Bejaia et la recherche du père jamais connu. Ce nœud va perturber le destin de Khallil en le conduisent vers un long périple, et il va bousculer le rythme récit en accélérant la narration. L’on remarquera une forte domination du sommaire et de l’ellipse. Le choix d’une narration résumée parait logique, lorsque l’on sait que le périple signifie un grand voyage, donc une longue expédition aussi bien sur le plan temporel, que sur le plan de la superficie. Ce qui explique l’accélération du récit :

Khallil n’avait jamais osé le lui demander. C’était comme un secret entre elle et lui qui allait enfin être dévoilé. - C’était la guerre, dit-elle, un autre temps plein de confusion. […] Un jour, il est parti sans savoir que tu devrais naître. Il n’est jamais revenu. Peut-être est-il mort, il y a eu tellement de combat ! Il s’appelait Ibrahim Ben Ayyoub. […] Après les funérailles de sa mère, Khallil s’acheta un costume de voyage […] et passa les remparts de Wahrân […] il devait se rendre à Bejaia. C’est là que se trouvaient les chantiers navals les plus réputés du Maghreb. […] Mais avant, Khallil tenait, en souvenir de sa mère et parce qu’il le désirait aussi, à retrouver les traces d’un homme qui ne connaissait pas son existence mais était à l’origine de la sienne : Ibrahim Ben Ayyoub, son père. […] Fès fut son premier espoir. […] Khallil remercia. Le lendemain il prit la route de Marrakech. […] il eut un sourire en pensant à la mosquée El Qarawiyn de Fès et à la Koutoubia de Marrakech…2

La force rééquilibrante

Le nœud ne sera jamais effacé, car l’installation de Khallil à Almeria après un long périple apportera un équilibre rapide. Cet évènement apporte à la fois le retour au calme dans la vie du héros et dans le récit qui se traduit par un ralentissement du

1 BAKHAÏ, Fatéma. Les Enfants d’Ayye. op. cit., p. 287-292.

rythme narratif. Cependant, ce léger ralentissement n’effacera jamais les traces du déséquilibre causé par le nœud : le récit reste toujours dans une narration sommaire et dans l’ellipse. Ce fragile équilibre va être définitivement annihilé par un nouveau nœud, provoqué par le départ d’Ali au Maghreb. Cette action, en même temps qu’elle perturbe la vie du héros, réaccélère la narration :

[…] – Bejaia ! s’exclama l’intendant, mais mon fils c’est à Almeria qu’il faut aller […] c’est là que se trouvent les plus importants chantiers navals de tout l’Occident ! […] Khallil s’installa à El Hawd, […] Khallil entra en apprentissage. Il devaient tout apprendre, jusqu’au tressage des cordages, au calfatage et au carénage avant de prétendre au métier noble de charpentier. Dix années plus tard, il pouvait s’enorgueillir du titre de maître charpenter ! […] Ali lut et relut le livre d’El Idrissi, […] Lorsqu’il estima que sa bourse était suffisamment pleine, que ses lettres de change furent cousues dans un étui en cuir, il embrassa Khallil en pleurs sur le débarcadère et s’embarqua pour la destination la plus proche : Mers el-Kébir. Ali visita le Maghreb du nord au sud, d’est en ouest […] Lorsque, après quatre années de voyages incessants…1

La phase finale de la période du règne d’Abou Yaqoub

Dans cette séquence, le récit n’est pas vraiment clôt, car nous avons une fin ouverte. Cette partie de la séquence constitue beaucoup plus un lien entre deux séquences, qu’elle ne constitue l’aboutissement ou l’échec du projet initial. Il est possible d’avancer l’idée que cette partie, en même temps qu’elle clôt la séquence, annonce le récit de la prochaine. Le décès de Khallil est l’événement qui marque la fin du récit, alors que la lecture des premiers passages du livre que Ali commence à rédiger annonce le début d’une nouvelle séquence :

Khallil n’était plus. Ali en fut bouleversé. Il se promettait de lui raconter tant de choses ! Un matin, c’est en pensant à lui qu’il commença la rédaction de son ouvrage : « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux… Moi, Ali, Ibn Ibrahim, Ibn Khallil El Maghribi, j’ai parcouru, avec la permission de Dieu, le Maghreb jusqu’en ses extrêmes et ceci est le récit de mon voyage…2

1 BAKHAÏ, Fatéma. Les Enfants d’Ayye. op. cit., p. 312-320.