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Les premiers siècles de l’islam au Maghreb

2.5. La période vandale

2.6. Les premiers siècles de l’islam au Maghreb

Chraïbi et Bakhaï mettent en récit les premiers siècles de l’Islam au Maghreb, l’un au Maroc, l’autre en Algérie. L’HISTOIRE que met en récit Chraïbi prend ses

origines du fleuve de l’Oum-er-Bia, c’est de là que tout a commencé. Chraïbi invite le lecteur à voyager à travers l’histoire des Berbères depuis la vie harmonieuse des origines jusqu’aux années quatre-vingts. Chraïbi insiste particulièrement sur deux périodes précises, plutôt deux événements majeurs de l’HISTOIRE : La conquête islamique du Maghreb et la conquête andalouse. Une HISTOIRE passée redevenue vivante à travers le corps et l’âme du personnage Azwaw. Quant à Bakhaï, elle poursuit son voyage dans l’HISTOIRE après l’avoir débuté dans Izuran. Un périple qui raconte l’histoire du peuple Berbère depuis la genèse. Les Enfants d’Ayye n’est donc que la continuité d’un voyage déjà initié, un voyage que l’auteure réalise à travers le corps et l’âme de la tribu, celle à laquelle appartiennent tous les héros du récit bakhaïen. Ainsi, le deuxième volet de la trilogie Izuran et le premier volet de la fresque historique chraïbienne raconte la même époque.

Dans le récit de Chraïbi, comme celui de Bakhaï, l’espace est réel et les personnages sont historiquement authentifiables. Dans le roman chraïbien, il y des dates vérifiables : « Treize siècles auparavant, en l’an 681 de l’ère des Nazaréens, par un lumineux matin de printemps. Debout sur un promontoire qui surplombe la ville d’Azemmour, l’embouchure de l’Oum-er-Bia et l’Océan »1. L’Histoire est ainsi très présente dans les textes de Chraïbi et de Bakhaï. Cependant, elle n’est pas l’objet convoité, car elle est employée comme référent ou par allusion. Chez Chraïbi, deux dates cadres sont mises en relief, la première est au futur, voire le présent si l’on prend en considération le contexte et la deuxième est au passé. En l’occurrence, 1982 « par ce petit matin d’août de l’an de grâce chrétienne mil neuf cent quatre-vingt-deux- »2, le septième siècle «Ce matin de l’an 679,»3 et «l’an 681 de l’ère des Nazaréens»4 délimitent les «Treize siècles»5 que Driss Chraïbi raconte dans le premier volet de sa fresque historique. Une fresque qui se poursuit dans le deuxième volet Naissance à l’aube. Une continuité indiquée dans le roman par une date « un homme qui parcourait paisiblement la terre depuis le dernier quart du VIIe siècle était témoin de l’avènement de l’événement. »6,

1 CHRAÏBI, Driss. La Mère du printemps. op. cit., p. 47.

2 Ibid., p. 15. 3 Ibid., p. 142. 4 Ibid., p. 47. 5 Ibid., 6 Ibid., p. 12.

l’auteur fait allusion à la date où tout a commencé dans La Mère du printemps «VIIe siècle » avec Azwaw qui poursuit son voyage temporel et historique dans ce second volet. De la sorte, ce récit reprend là où s’était arrêté le premier en « l’an de grâce chrétienne sept cent douze »1 où l’on retrouve Azwaw en train de poursuivre son périple, un périple qui prend fin au onzième siècle, en « l’an mil cinquante-cinq »2 plus précisément. Ces dates, non seulement servent de balises pour le lecteur, mais aussi de traces qui permettent l’ancrage dans la réalité. Chraïbi, à travers les pérégrinations d’Azwaw, retrace l’origine de l’affrontement du monde berbère et musulman, et son prolongement à travers le temps jusqu’en « l’an de grâce chrétienne mil neuf cet quatre-vingt-cinq »3.

Chraïbi se réfère à l’Histoire non seulement à travers des dates, mais aussi en évoquant des événements historiquement attestés, notamment ceux qui ont marqué le plus cette époque de l’histoire berbère telle que la lutte menée par la Kahina : « Les langues se déliaient, commentaient les nouvelles du jour, relataient les combats qui faisaient rage au pays, dans les Aurès. Un être de légende avait pris la tête de toutes les tribus, une jeune femme qui avait nom la Kahina. »4, et la conquête des cavaliers d’Allah menée par le général Oqba ibn Nafi :

Le général Oqba ibn Nafi chevauchait à la tête de ces troupes, chevauchait depuis la porte de l’Afrique irrésistiblement, […] Dix mille témoins sous le commandement du général Oqba ibn Nafi. Suivait la train d’équipage : vingt mille chameau, quarante mille outres d’eau […] Oqba ne faisait qu’ouvrir le chemin, sabrant les ténèbres. […] Allah

akbar ! étonnaient les Bédouins d’Oqba, dressés sur leurs étriers.5

Ces passages de la Mère du printemps illustrent cette mise en fiction de la conquête musulmane au Maghreb. Pour ce faire, l’auteur organise son récit en deux chapitres : Le premier nommé « Première marrée » expose la vie des tribus berbères avant l’avènement de l’islam. L’auteur raconte la vie paisible qui caractérisait cette région, une région où se côtoyaient diverses tribus qui, malgré le passage du temps et les

1

CHRAÏBI, Driss. La Mère du printemps. op. cit., p. 13.

2 Ibid., p. 150.

3 Ibid., p. 153.

4 Ibid., p. 56.

différentes colonisations, ont su préserver leur héritage culturel. Afin d’illustrer la pérennité des valeurs ancestrales chez les Berbères, Chraïbi convoque plusieurs éléments anthropologiques qui convergent avec ceux de l’Histoire:

Mais jamais aucun Berbère d’aucune tribu n’avait troqués sa peau contre celle de l’étranger. N’avait abandonné, renié la tradition millénaire pour faire siens l’ordre et les valeurs des oppresseurs. Hormis les Afariks. Ils avaient perdu le bien le plus précieux qu’un homme peut avoir en ce monde : les liens qui l’unissaient à sa terre. […] Les partisans de la Kahina les décimaient sans merci, en premier, de préférence aux Arabes qui, eux, ne dénaturaient pas leur race et ne faisaient que leur devoir de conquérants.1

Le second titré « Deuxième marée » est consacré à la conquête de Oqba ibn Nafi. Dans cette séquence du récit, Chraïbi rapporte par la voix du narrateur omniscient la conquête de Oqba Ibn Nafi. Il ajoute un fort référent historique pour donner plus de vraisemblance aux faits racontés dans le récit fictif. Chraïbi recense le nombre d’hommes, de chameau et de chevaux employés dans cet conquête, ainsi que l’état d’esprit du général et de ses hommes : « Sa guerre était celle de la foi. Si selon l’affirmation coranique « tuer un seul être humain, c’est tuer tout le genre humain », il ne donnait la mort à quiconque qu’en face, après lui avoir dépêcher un émissaire… »2

. Ces détails sur la logistique employée pour cette conquête témoigne du travail de documentation et de collecte d’informations entrepris par l’auteur. Une démarche qui s’apparente à celle entreprise généralement par les historiens. Chraïbi insiste par exemple sur les deux années difficiles qui précèdent l’arrivée d’Oqba sur les rives de l’Oum-er-Bia en les décrivant avec détail : « Quand il releva les yeux, il vit Oqba qui regardait en direction du promontoire. - C’est ta maison ? - Oui, et c’est aussi la tienne. Elle t’attend. - Je ne veux pas. […] Tu connais les paroles de l’appel ? - Oui, je m’y suis exercé durant deux ans. »3. Ces passages interfèrent au niveau référentiel avec ceux de l’Histoire :

Okba, conquiert son difficulté de vastes territoires […] monte une grande expédition de 7 000 à 10 000 hommes des tribus d’Arabie. En 670, Okba s’établit à Kairouan […] dès l’année suivante, il lance une offensive en direction du Sud […] Les compagnes se

1 CHRAÏBI, Driss. La Mère du printemps. op. cit., p. 58-59.

2 Ibid., 148.

succèdent dans l’Est […] C’est seulement en 695 que la ville tombe, pour être reprise peu après […] et réoccupé […] par les Arabes trois ans plus tard. […] On est loin de la facilité avec laquelle avaient été occupés et islamisés les pays d’Asie. Le grand problème qui se pose aux généraux qui se succèdent à la tête des Arabes est celui de la résistance des Berbères de l’intérieur, notamment ceux de l’Aurès qui sont sous les ordres d’une femme, la Kahina1

Les passages ci-dessus illustrent la parenté entre les références de l’Histoire et ceux employés par Chraïbi. Cependant, le mode du raconté domine totalement le récit chraïbien, et ces références ne sont utilisées que pour documenter l’histoire et lui offrir un effet de vraisemblance. Néanmoins, la force de ce récit réside dans le travail singulier que fait Chraïbi sur la psychologie des personnages, l’ancrage spatio-temporel, le recours au présent de l’indicatif qui le rend vivant et dynamique et la symbolique offerte aux personnages. Ainsi, les Aït Yafelman représentent toutes les tribus berbères qui ont subi le même sort face aux conquérants.

Chez Bakhaï, par contre, la description et l’ellipse temporelle dominent le récit, car elle parcourt un laps de temps plus long. Chraïbi termine son récit historique avec l’avènement de la dynastie Almoravide tandis que Bakhaï continue son périple jusqu’à la chute de Grenade. Dans le prolongement d’Izuran, l’auteure continue à documenter son récit fictif par des dates et des références historiquement attestés, ainsi que la narration des événements majeurs marquants cette période de l’HISTOIRE. Elle évoque plusieurs événements à commencer par la lutte Berbère contre la conquête de Oqba. Une lutte symbolisée par le conflit régnant entre Doria, garante des valeurs ancestrales et son fils Hassan nouvellement convertis à l’islam. Un conflit qui reflète celui qui régnait entre les tribus ou au sein de la même tribu parfois, par rapport à la nouvelle religion et au nouveau conquérant. Par le biais de ce conflit, Bakhaï fait un clin d’œil à la guerre entre la Kahina et Oqba à travers le personnage Doria, dont le mari et le fils aîné ont accompagné la Kahina dans sa lutte contre Oqba.

Bakhaï ne cesse de faire des allusions à l’Histoire par les liens qu’elle constitue entre les personnages fictifs et les personnages historiques, mais aussi à travers l’onomastique tel que Hassan, le non donné au petit fils de Doria, qui n’est autre que le

1 CLOT, André. L’Espagne musulmane, VIIIe - XVe siècle [1999]. Paris : Perrin, 2004. (Coll. tempus). p. 13-14.

nom du général arabe qui a réussi à allier à sa cause les Berbères : « Hasan, le général arabe, face à la résistance berbère, comprend que la seule voie pour se concilier les Berbères est celle de l’assimilation. »1

. Pour ce faire, elle alterne entre le récit du narrateur omniscient et celui du personnage Lucas, tout en s’appuyant sur le mode du montré, car la narration est faite à travers le regard du personnage et du narrateur omniscient. Les deux narrateurs se déclarent témoins. Cette technique narrative permet de la sorte au lecteur de visualiser les événements rapportés.