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PARTIE I LA PARTICIPATION DES ACTEURS SOCIAUX DANS LE DÉBAT

A. Les pratiques antérieures à 2010

2. La période 1974-1981 : ouverture à l’endroit des acteurs sociaux impulsée par le juge

C’est à partir de 1974 que l’implication des acteurs de la société civile dans les débats judiciaires de la Cour suprême a pris son premier essor. Pour appréhender les raisons expliquant ce virage, il faut regarder tant du côté des acteurs sociaux que des juges, puisque,

pour utiliser une image bien connue, la présence citoyenne devant les tribunaux est une danse qui implique nécessairement deux partenaires. Ainsi, pour tenter de dessiner un portrait complet de la situation, il faut d’abord chercher à comprendre pourquoi les acteurs sociaux ont commencé à s’impliquer sur la scène judiciaire et, par la suite, il faut tenter de cerner les raisons ayant poussé la Cour suprême à accueillir favorablement cette manifestation d’intérêt et à leur ouvrir la porte des tribunaux.

Quant au premier angle d’approche, il n’est pas nécessaire d’investiguer très longtemps les raisons ayant motivé les acteurs sociaux à s’impliquer dans les dossiers judiciaires, et ce, tant au point de vue des interventions judiciaires que des demandes au nom de l’intérêt public. En effet, comme nous allons le voir dans les pages qui suivent, la source principale de motivation d’un individu ou d’un groupe pour demander d’intervenir dans un dossier déjà amorcé est celle de la portée sociale des questions soulevées par le litige. La motivation est exactement la même pour les demandes d’intérêt public, avec la différence importante que c’est l’acteur social lui-même qui provoque le litige. Parfois, les deux types de recours s’entremêlent, puisque lorsqu’une demande d’intérêt public est intentée, d’autres acteurs sociaux manifestent leur désir d’intervenir et demandent à se greffer au dossier amorcé par l’autre (soit pour appuyer la demande, la contester ou pour y apporter des nuances).

L’analyse des raisons poussant les juges à accepter ou à refuser qu’un acteur social non directement impliqué dans un litige puisse intégrer un débat judiciaire déjà amorcé (ou instituer son propre recours) s’avère un peu plus compliquée. Cette complexité provient d’abord du fait que les décisions qui disposent des demandes d’interventions ne sont jamais motivées, ce qui nous oblige à examiner les circonstances entourant les litiges, pour tenter de découvrir les motivations des juges. Il s’agit donc, pour les cas impliquant des interventions, d’une évaluation qui est sujette à interprétation. Deuxièmement, quant aux motifs justifiant les juges d’assouplir ou de restreindre les critères relatifs à la qualité pour agir dans l’intérêt public (ceux-là étant, au contraire, très élaborés par les juges), ils doivent également être interprétés, et ce, à travers une série de décisions échelonnées sur une période de temps plus ou moins longue.

C’est ce genre d’exercice que nous allons faire dans la présente section, en divisant notre exposé en deux. Nous allons d’abord parler des arrêts Lavell158 et Morgentaler159, rendus respectivement en 1974 et 1976, lesquels sont aujourd’hui considérés comme les points de départ de l’entrée en scène d’acteurs sociaux à titre d’intervenants dans les débats judiciaires du plus haut tribunal (par. a).160 Nous allons enchaînés avec les décisions rendues par la Cour entre 1975 et 1981 dans les dossiers Thorson161, McNeil162 et Borowski163 qui, pour leur part, sont incontestablement reconnues comme la trilogie d’arrêts ayant fixé les conditions d’ouverture applicables aux demandes d’intérêt public (par. b).

a) Les arrêts Lavell (1974) et Morgentaler (1975)

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les dossiers Lavell et Morgentaler constituent les deux premières causes où la Cour suprême a exprimé sa volonté d’ouvrir les portes des tribunaux aux intervenants sociaux. De nature civile, l’affaire Lavell concernait la validité d’une disposition qui retirait le statut d'indien aux femmes de cette communauté qui se mariaient à un non-indien (alors qu’un homme indien épousant une non-Indienne conservait son statut) et la Cour suprême a accueilli les demandes d’interventions présentées par une quinzaine d’individus et de groupes préoccupés par le droit à l’égalité des femmes.164 De nature criminelle, l’affaire Morgentaler traitait quant à elle de la constitutionnalité d’une

158 Procureur Général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349 (ci-après désigné «l'arrêt Lavell»). 159 Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616 (ci-après désigné «l'arrêt Morgentaler »).

160 Bernard M. DICKENS, «A Canadian Development: Non-Party Intervention», (1977) 40 Modern Law Review 666, 674.

161 Thorson c. Attorney General of Canada, [1975] 1 R.C.S. 138 (ci-après désigné «l'arrêt Thorson»). 162 Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265 (ci-après désigné «l'arrêt McNeil»). 163 Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575 (ci-après désigné «l'arrêt Borowski»). 164 Les intervenants ayant été admis à participer sont Rose Wilhelm, Viola Shannacappo, Monica Agnes Turner, University Women’s Club of Toronto, University Women Graduates Limited, The North Toronto Business and Professional Women’s Club, Alberta Committee on Indian Rights for Indian Women, The Indian Association of Alberta, The Union of British Columbia Indian Chiefs, The Manitoba Indian Brotherhood Inc., The Union of New Brunswick Indians, The Indian Brotherhood of the Northwest Territories, The Union of Nova Scotia Indians, The Union of Ontario Indians, The Federation of Saskatchewan Indians, The Indian Association of Quebec, The Yukon Native Brotherhood and The National Indian Brotherhood et Six Nations Band of Indians of the County of Brant.

disposition du Code criminel165 interdisant l’avortement et la Cour suprême a accueilli les demandes d’interventions déposées par des associations se présentant comme des groupes « pro-vie » ou « pro-choix », dépendant de leur position dans le débat.166

Tel qu’exposé plus haut, une analyse de la jurisprudence ne permet pas de comprendre les raisons ayant poussé le plus haut tribunal à accepter la présence de tiers dans les dossiers Lavell et Morgentaler, puisque, premièrement, les arrêts ayant disposé de ces deux affaires au mérite n’en disent rien et que, deuxièmement, les décisions préliminaires ayant accueilli les demandes d’interventions (comme la quasi-totalité des décisions de ce genre) n’ont pas été pas motivées. Malgré cela, dans ce cas précis, une revue des commentaires de l’époque révèle plusieurs indices fiables permettant quand même d’expliquer le changement d’attitude de la Cour suprême à partir de 1974. Ces commentaires démontrent que les motifs probables de l’accueil favorable à la participation citoyenne devant les tribunaux se recoupent autour de deux thèmes principaux, soit l’arrivée de Bora Laskin à la Cour suprême et l’importance des questions soulevées par Lavell et Morgentaler dans la sphère sociale. Voyons ces deux thèmes un à un.

Tour d’abord, de façon unanime, tous les auteurs ayant analysé l’époque concernée s’accordent pour dire que cette première ouverture à l’endroit des acteurs sociaux est directement reliée à l’arrivée du juge Laskin à la Cour suprême, plus particulièrement à partir de sa nomination comme juge en chef en 1974.167 Ce lien apparait d’abord de façon bien concrète puisque dans les deux instances dont nous parlons, les demandes d’interventions ont été accueillies par le juge Laskin lui-même, qui siégeait en chambre. Mais ce rapport entre la participation judiciaire des acteurs sociaux et l’arrivée du juge Laskin au plus haut tribunal

165 S.R.C. 1970, c. 34.

166 Les intervenants autorisés à participer sont L’Association canadienne des libertés civiles, l’Association des médecins du Québec, Front Commun pour le Respect de la vie, Alliance for Life et Foundation for Women in Crisis.

167 La date officielle de sa nomination comme juge en chef est le 27 décembre 1973, de telle sorte que dans les faits, il a réellement présidé la Cour à partir de 1974.

apparait aussi quand on prend connaissance de la perception qu’il avait de la Cour avant d’y être nommé. Par exemple, son biographe Philip Girard explique que lorsqu’il était professeur de droit constitutionnel, Laskin ne s’était pas gêné pour reprocher à la Cour suprême de l’époque d’être trop passive et de manquer de créativité.168 Girard note aussi au passage qu’avant d’accéder à la magistrature, Bora Laskin était activement impliqué auprès de l’Association canadienne des libertés civiles, ayant même participé à sa fondation, ce qui en dit beaucoup sur sa perception de l’utilité des groupes civils comme outil de changement.169

D’autres commentaires appuient l’idée que le juge Laskin ait été la bougie d’allumage ayant permis aux acteurs sociaux d’intégrer les dossiers de la Cour suprême. Dans une analyse traitant spécifiquement des arrêts Lavell et Morgentaler, Bernard M. Dickens (qui a côtoyé Laskin lorsqu’ils étaient tous deux professeurs à l’Université de Toronto), nous apprend également qu’à titre de nouveau juge en chef, un de ses objectifs principaux était que la Cour suprême s’affranchisse graduellement du modèle britannique et qu’elle affirme sa propre identité, notamment en adoptant certaines pratiques judiciaires qui fonctionnaient bien aux États-Unis, dont la participation des personnes ou groupes issus de la société civile.170 Pour appuyer ses dires, Dickens fait remarquer que lorsqu’il a été nommé juge à la Cour d’appel de l’Ontario en 1965, Laskin s’était montré particulièrement impressionné par le jugement rendu la même année par la Cour suprême des États-Unis dans la célèbre décision Griswold v. Connecticut171, laquelle avait autorisé de nombreux tiers à présenter leurs points de vue :

168 Voir notamment BoraLASKIN, «The Judicial Process in Common Law Canada», (1959) 37 Can. Bar Rev. 265, dans lequel il s’était montré assez incisif: “A perusal of Canadian law reports not only verifies an absence of creative approach but conveys the impression that most of the opinions reported there are those of English judges applying English law in Canada, rather than those of Canadian judges developing Canadian law to meet Canadians needs with guidance of English precedents.”, cf. p. 268.

169 Philip GIRARD, Bora Laskin: Bringing Law to Life, Toronto, University of Toronto Press, 2005, p. 269-270. 170 B.M. DICKENS, «A Canadian Development: Non-Party Intervention», préc. note 160.

171 381 U.S. 479 (1965); essentiellement, cette cause a reconnu que la constitution américaine protégeait le droit à la vie privée, ce qui a servi de base dans les motifs des arrêts Roe v. Wade 410 U.S. 113 (1973) et Doe v. Bolton 410 U.S. 179 (1973) qui concernaient l’avortement.

«He has noted that the United States Supreme Court is "dealing in the main with constitutional issues, which take it into the very heart of American political, social and economic organization," and that "what influences the style is the greater hospitality that is shown by that Court to extrinsic materials than is the case in either the Supreme Court of Canada or the House of Lords." The Chief Justice has expressed admiration of the United States Supreme Court's willingness to recognize that "society may be brought into the court-room in the issues that are shaped for legal determination" and has affirmed "I do not shrink from describing a court in the Anglo-American-Canadian tradition as a unit of government."»172

En plus de l’enthousiasme du juge Laskin pour l’expérience américaine, le professeur Dickens suggère qu’il a peut-être été influencé par une instance émanant de la Cour d’appel de l’Ontario ayant été entendue peu de temps avant l’affaire Lavell.173 Dans cette affaire, qui concernait la légalité des titres de propriété de larges parties de territoire de cette province, la Cour d’appel avait alors pris sur elle de nommer des amicus curiae pour représenter ceux qui soutenaient ou contestaient la validité des transactions immobilières contestées et, de façon encore plus marquante, elle avait fait publier des avis dans les journaux afin d’offrir aux personnes concernées par ce litige de soumettre leurs représentations.174 Cette offre « publique » de participer au litige avait été accueillie avec enthousiasme par plusieurs personnes, incluant des comités représentant des acheteurs de terrains, des propriétaires fonciers qui faisaient face à des reprises de possession et l’Association du Barreau Canadien, ce qui avait créé un débat judiciaire assez imposant devant la Cour du Banc de la Reine de l’Ontario.175 Sans conclure avec certitude que cette expérience faite par la cour ontarienne a joué un rôle majeur dans le changement d’attitude de la Cour suprême vis-à-vis de la

172 Bernard M. DICKENS, «The Morgentaler Case: Criminal Process and Abortion Law», (1976) 14 Osgoode Hall

L.., 229, 245, qui cite BoraLASKIN, «The Institutional Character of the Judge», (1972) 7 Israel Law Rev. 329.

Dans la même veine, on peut également souligner qu’un document d’archives divulgué en 2003 (une lettre datée du 16 mars 1976) atteste même que le juge Laskin a écrit au juge Byron White de la Cour suprême des États-Unis afin d’obtenir plus d’informations sur la pratique américaine d’accepter presque systématiquement tous les mémoires d’amicus qui lui étaient présentés, cf. Robert J. SHARPE, Kent ROACH, Brian Dickson, A Judge’s

Journey, Toronto, The Osgoode Society, 2003, p. 537.

173 Dans Reference Re Certain Titles to Land in Ontario, (1973) 35 D.L.R. (3d) 10.

174 B. M. DICKENS, «A Canadian Development: Non-Party Intervention», préc. note 160, p. 666 et 673. 175 Id., p. 673.

participation citoyenne, Dickens constate néanmoins que, dans les quelques mois qui ont suivi, le nouveau juge Laskin a également accepté d’élargir le débat dans l’affaire Lavell, ce qui, toujours selon cet auteur, pavait la voie à l’émergence d’une image plus nord-américaine que britannique de la Cour suprême du Canada.176 Le même genre de commentaire fut émis par le professeur Martin L. Friedland pour qualifier l’attitude affichée par le juge en chef Laskin lorsqu’il a permis à des intervenants sociaux d’intervenir dans le dossier Morgentaler :

« The new approach by the Supreme Court of Canada in allowing amicus curia to appear in non-reference cases no doubt reflects Chief Justice Laskin’s view of the proper role of the Supreme Court. As Krislov has stated “the Court’s attitude, practices, and rules regarding the granting of permission to file amicus briefs may indicate the extent to which it desires to engage in quasi-legislative activities and to depart from a role of narrowly resolving adversary disputes.»177

Mais le changement de garde à la tête de la Cour suprême ne saurait être le seul motif expliquant la participation soudaine des acteurs sociaux à titre d’intervenants puisque, comme nous l’avons dit plus haut, cette participation des citoyens dans le débat judiciaire ne peut exister sans que les individus ou groupes décident d’abord de s’impliquer. À ce chapitre, l’une des meilleures explications qui peuvent être données pour justifier la volonté des acteurs sociaux de s’impliquer ne saurait être autre chose que l’intérêt que suscitent les questions en litige à l’intérieur de la sphère sociale.

Sur ce point, on réalise, toujours en consultant les auteurs, que cette explication voulant que la motivation des acteurs sociaux de s’impliquer dans les débats judiciaires tire sa source de l’importance sociale des questions en litige est tout à fait plausible. En effet, en ce qui concerne le dossier Lavell, on constate que cette affaire était alors la plus importante cause

176 Id., p. 666.

177 Martin L. FRIEDLAND, A Century of Criminal Justice: Perspectives on the Development of Canadian Law, Toronto, Carswell, 1984, p. 99, citant Samuel KRISLOV, «The Amicus Curia Brief: From Friendship to

Advocacy», (1963) 72 Yale L. J. 694, 717. Cet extrait de Friedland est cité dans Jillian WELCH, «No Room at the

Top: Interest Group Intervenors and Charter Litigation in the Supreme Court of Canada», (1985) 43 U. Toronto

impliquant le droit des femmes depuis le fameux « Person’s case » décidée quarante-cinq ans plus tôt178, puisque, comme nous l’avons souligné plus haut, elle mettait en cause le droit à l’égalité d’une femme indienne (qui perdait son statut d’indien en se mariant à un non-indien) par rapport à un homme indien (qui ne le perdait pas même s’il mariait une non-indienne). Cette revendication pour le droit des femmes explique donc de façon assez claire la volonté des groupes féministes d’intervenir dans ce débat. En outre, en plus du droit des femmes, l’importance sociale de l’affaire Lavell était encore plus considérable du fait qu’elle soulevait le même genre de question que l’arrêt Drybones rendu par la Cour suprême en 1970179, lequel avait établi que la Déclaration canadienne des droits180 était plus qu’un ensemble de normes interprétatives et qu’elle donnait le pouvoir aux tribunaux d’invalider des dispositions législatives jugées incompatibles. L’affaire Lavell était donc doublement intéressante pour les acteurs sociaux, car elle était susceptible d’apporter des précisions à l’arrêt Drybones, tel que le mentionnait le professeur Henri Brun :

« Le présent arrêt [l’arrêt Lavell] a été attendu avec impatience, comme le fut l’arrêt Drybones en 1970. (…) [T]tous sentaient, pour quelques raisons difficiles à identifier, que le droit n’était pas définitivement réglé sur la question. L’arrêt Drybones s’était probablement écarté un peu trop brusquement de certains dogmes. Tous savaient, en tous cas, que la percée opérée par l’arrêt Drybones dans le sens du contrôle judiciaire de la législation pouvait être battue en brèche par une suite d’interprétations restrictives données aux dispositions de fond de la Déclaration. (…). Tel qu’il a été finalement rendu, l’arrêt [Lavell] prend toutefois une importance presqu’aussi grande que celle de l’arrêt Drybones, l’arrêt du siècle. »181

178 Dans cette affaire, la Cour suprême avait statué que la définition de « personne » à l’article 24 de l’Acte de

l’Amérique du Nord Britannique incluait les femmes, cf. Reference re meaning of the word "Persons" in s. 24 of British North America Act [1928] R.C.S. 276.

179 R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282.

180 Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, appendice 3.

181 Henri BRUN, « La décision dans Lavell ou les bonds de la Cour suprême », (1973) 14 C. de D. 541, 542. Pour donner un autre exemple d’implication citoyenne survenu quelques années seulement avant l’affaire Lavell, mentionnons le dépôt du Livre blanc de 1969 (officiellement connu sous le nom « La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969 », http://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1100100010189/1100100010191), qui avait tenté d’abolir purement et simplement la Loi sur les indiens et des traités relatifs aux droits ancestraux, ce qui avait soulevé la colère des autochtones et suscité leur mobilisation, cf. Livre Blanc de 1969, http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/livre-blanc-de-1969/.

Quant à l’affaire Morgentaler, il n’est pas nécessaire d’élaborer très longtemps pour saisir que les questions soulevées suscitaient également beaucoup d’intérêt dans la société civile. À ce compte, l’extrait suivant, écrit encore une fois par le professeur Dickens, est éloquent :

«An investigation of the sequence of events that posterity will know collectively as The Morgentaler Case furnishes materials for a critical course of studies in the Canadian criminal process from initial charge, through denial of parole, to conduct of a re-trial, and perhaps even for a case-study in the dynamics of law-reform. Reaction to the Morgentaler episode is neither uniform nor complete, but when the social history of modern times comes to be written, the name of Dr. Henry Morgentaler may appear as the name not just of a person or of a judgment, but of a development in social attitude. It may identify the moment when a woman's obligation to continue an unwanted pregnancy ceased to be merely her misfortune, and became recognized as an injustice.»182

b) La trilogie Thorson (1975), McNeil (1976) et Borowski (1981)

Le 22 janvier 1974, la Cour suprême du Canada, encore une fois sous la plume du juge Bora Laskin, ouvrait pour la première fois la porte à l’implication des acteurs sociaux à titre de demandeurs agissant au nom de l’intérêt public, dans une cause qui est encore très souvent citée de nos jours, l’arrêt Thorson.183 Selon le biographe Philip Girard, cet arrêt revêtait un caractère symbolique puissant, du fait qu’il était le premier jugement prononcé par la Cour depuis la nomination de Bora Laskin comme juge en chef et qu’il transmettait un message d’espoir au citoyen ordinaire voulant accéder au processus judiciaire :

«One writer has called the Thorson decision “the first clearly declared, and one of the most pronounced, law reform decisions rendered by the Supreme

182 B.M. DICKENS, «The Morgentaler Case: Criminal Process and Abortion Law», préc.note 172, p. 229.

183 Thorson, préc. note 161. À noter que cet arrêt a été publié dans le recueil de la Cour datant de 1975 mais qu’il a bien été rendu en janvier 1974.

Court of Canada”. Delivered on the opening day of the first term of Laskin's chief justiceship, the timing could not have been more perfect. Under Laskin's guidance, the Court seemed to reach out to Canadians, to promise