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3. CADRE THEORIQUE

3.2 L’approche anthropologique du didactique

3.2.4 Les ostensifs et non-ostensifs

La question de la « nature » des objets mathématiques et celle de leur « fonction » dans l’activité mathématique, a conduit à établir une dichotomie fondamentale entre deux types d’objets : une part les objets ostensifs et d’autre part les objets non-ostensifs.

• Les objets ostensifs14 sont tous les « objets » ayant une nature sensible, une certaine matérialité et qui, de ce fait, acquièrent pour le sujet humain une réalité perceptible.

• Les objets non-ostensifs sont les « objets » qui, comme les idées, les intuitions ou les concepts, existent institutionnellement sans pourtant pouvoir être vus, dits, entendus, perçus ou montrés par eux-mêmes : ils ne peuvent qu’être évoqués ou invoqués par la manipulation adéquate de certains objets ostensifs associés.

Par exemple : Ecrire 1 1 0 1 0 1 0 =

∫ ∫ ∫

dydzdx (volume du cube [0,1]3) peut être vu comme une simple manipulation d’objets ostensifs mais, ce calcul ne saurait s’effectuer

14 Du latin ostendere « montrer, présenter avec insistance ».

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intentionnellement sans l’intervention de certains objets non-ostensifs spécifiques, telle la notion d’intégrale triple.

En général, dans toute activité humaine il y a co-activation d’objets ostensifs et d’objets non- ostensifs. (Bosch et Chevallard, 1999, p. 92).

L’ostensivité dont parlent Bosch et Chevallard, réfère plus généralement à l’ensemble des sens, même si, de fait, la vue et l’ouïe jouent un rôle privilégié. Au-delà de la perceptibilité des ostensifs, ce qui les caractérise, est le fait d’être « manipulables » par le sujet humain. Un son peut être fait (et perçu), un graphisme peut être tracé (et lu), un objet matériel quelconque peut être manipulé concrètement de diverses manières. Chevallard utilise le terme de manipulation pour désigner les divers usages possibles des objets ostensifs pour le sujet humain. C’est cette manipulation concrète qui permet de distinguer les objets ostensifs des objets non-ostensifs. Cependant, ces deux types d’objets sont unis par une dialectique qui considère ces derniers comme des émergents de la manipulation des premiers et par conséquent, comme des moyens de guidage et de contrôle de cette manipulation.

Les objets ostensifs constituent donc la partie perceptible de l’activité, ce qui se donne à voir dans la réalisation d’une tâche aussi bien à l’observateur qu’aux acteurs eux-mêmes. Pour Bosch et Chevallard (1999) :

Dans l’analyse du travail mathématique, les éléments ostensifs font partie du réel empirique accessible aux sens. Par contraste, la présence de tel ou tel non-ostensif dans une pratique déterminée, ne peut être qu’induite ou supposée à partir de manipulations d’ostensifs institutionnellement associés. […]

L’intervention des non-ostensifs dans la praxis manipulatrice d’objets ostensifs peut conduire à donner aux non-ostensifs le statut de condition d’une manipulation adéquate des instruments ostensifs. (Op. cité, p. 92-93)

Donc, selon eux, un objet ostensif est avant tout considéré comme un instrument possible de l’activité humaine. C’est-à-dire comme une entité qui permet, en association avec d’autres, de conformer des techniques permettant d’accomplir certaines tâches, de mener à bien un certain travail. Comme l’approche anthropologique décrit le savoir mathématique en termes de praxéologies composées de types de tâches, de techniques (constituant le praxis ou savoir- faire), de technologies et de théories (constituant le logos ou « savoir »), Bosch et Chevallard insistent sur le fait que ces organisations praxéologiques se donnent à voir à travers les ostensifs qui composent les tâches, les techniques, les technologies et théories à travers les différentes façons de les activer. Ce travail avec des ostensifs doit être à la fois, efficace, lisible et intelligible. Tout ceci contribuera à donner aux ostensifs leur valeur instrumentale et sémiotique. Dans ce contexte les auteurs voient, sur le plan du développement des mathématiques,

De nouvelles créations ostensives, de nouvelles façons de manipuler des ostensifs anciens, mais aussi la perte de certaines façons de parler, d’écrire ou d’effectuer certains gestes. Une telle « évolution ostensive » ne se réalise jamais de manière uniforme et universelle mais dépend étroitement des instruments et des conditions écologiques qu’elles sont capables de créer pour faire vivre des praxéologies déterminées. (Bosch & Chevallard, 1999, p. 113)

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Les nouvelles créations ostensives ainsi que les nouvelles façons de manipuler des ostensifs anciens dont parlent Bosch et Chevallard peuvent être regardées, dans le contexte de l’intégration des technologies contemporaines dans l’enseignement des mathématiques. En ce sens, Lagrange (2000), en s’intéressant aux objets nouveaux (que le calcul formel introduit dans la situation d’enseignement et d’apprentissage), s’interroge sur les rapports entre les objets manipulés par le logiciel et les objets ostensifs et non-ostensifs du travail mathématique. La complexité de ces rapports pose la question de la façon dont les étudiants peuvent se les approprier. L’auteur montre alors comment les travaux récents ont intégré une approche cognitive des instruments pour aborder cette question. De plus, il relève l’importance accordée au traitement dans un registre de représentation sémiotique et aux conversions entre registres en situations d’utilisation d’environnement informatique dans des activités mathématiques. Selon lui :

L’approche de Raymond Duval (1996) est notamment une conceptualisation qui met en avant le travail intra et inter-registre dans l’analyse d’activité mathématique. L’étude des contraintes de fonctionnement cognitif liées au traitement dans un registre et aux conversions d’un registre à l’autre en situations d’utilisation [d’environnement informatique] serait d’un grand intérêt. (Op. cité, p. 58)

Comme nous l’avons souligné auparavant, la notion de registre de représentation sémiotique va nous permettre de préciser ce que nous appelons la représentation graphique et analytique d’un solide. Elle va aussi nous permettre de déterminer les outils pour interpréter ces types de représentations (et leur coordination) par rapport aux objets manipulés par le logiciel Maple et ceux manipulés par les étudiants en utilisant ce logiciel. Nous faisons précisément appel à cette approche du fait que, dans l’étude des Intégrales Multiples, quand on fait le calcul des volumes, on travail sur les solides. Ces derniers sont représentables dans plusieurs registres, en particulier les registres graphique et analytique. Du point de vue mathématique, on met bien en évidence que les deux registres vont interagir dans les pratiques institutionnelles sur les calculs des volumes. Et du point de vue didactique, la notion de registre peut rendre compte de cette interaction dans le travail mathématique sur le calcul de volumes par des Intégrales Multiples. Nous nous proposons ainsi de voir de plus près l’approche proposée par Duval. Approche que nous présenterons dans la suite.