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3. CADRE THEORIQUE

3.2 L’approche anthropologique du didactique

3.2.3 L’approche praxéologique

Un rapport institutionnel est en particulier, directement lié aux activités qui sont demandées aux étudiants. Il est en quelque sorte caractérisé par les différents types de tâches que les étudiants doivent savoir effectuer et par des raisons qui justifient les recours à ces types de tâches. Le rapport institutionnel à un objet (R(I,O)) est donc décrit par un ensemble de pratiques sociales qui fonctionnent au sein de l’institution en mettant en jeu cet objet de savoir.

Comme le souligne Chevallard, le savoir mathématique en tant que forme particulière de connaissance, est le fruit de l’action humaine institutionnelle : c’est quelque chose qui se produit, s’utilise, s’enseigne, ou plus généralement, se transpose dans des institutions.

Chevallard propose donc la notion d’organisation praxéologique ou praxéologie (comme la notion clé) pour étudier les pratiques institutionnelles relatives à un certain objet de savoir et en particulier les pratiques sociales en mathématiques. Il se propose de distinguer les praxéologies qui peuvent se construire dans une classe où l’on étudie cet objet, d’analyser la

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manière dont peut se construire l’étude de cet objet, et de permettre la description et l’étude des conditions de réalisation. Les praxéologies sont donc décrites en termes de :

1. (Type de) Tâches 2. (Type de) Techniques

3. Technologie et 4. Théorie

T

âche

Le symbole T est adopté pour représenter un type de tâches identifiées dans une praxéologie et contenant au moins un exercice t. Cette notion suppose un objet relativement précis. Monter un escalier par exemple est un type de tâche, mais monter, tout court, n’en est pas un. De même, calculer le volume du solide délimité par les graphiques des fonctions de deux variables, est un type de tâche ; mais calculer, tout court, c’est un genre de tâches qui appelle un déterminatif. Ainsi, la tâche, le type de tâches, le genre de tâches ne sont pas des données de la nature : ce sont des « artefacts », des « œuvres », des construits institutionnels, dont la reconstruction dans telle institution, et par exemple dans telle classe, est un problème à part entière, qui est l’objet même de la didactique.

Technique

Une technique notée τ est une manière de faire ou de réaliser un type de tâche T. Donc, une praxéologie relative à T précise (en principe) une manière d’accomplir, de réaliser les tâches

t∈T, c’est-à-dire, une technique, du grec tekhnê, savoir-faire. A propos d’un type de tâches T

donné, il existe en général une seule technique, ou du moins un petit nombre de techniques institutionnellement reconnues, (à l’exclusion des techniques alternatives possibles qui peuvent exister effectivement, mais dans d’autres institutions) qui permettent de réaliser t∈T.

Technologie

La Technologie notée θ est un discours rationnel (le logos) ayant pour objet premier de justifier « rationnellement » la technique τ tout en nous assurant qu’elle permet bien d’accomplir les tâches de type T, c’est-à-dire de réaliser ce qui est prétendu. Le style de rationalité mis en jeu varie selon l’espace institutionnel, et en une institution donnée, au fil de l’histoire de cette institution.

Une deuxième fonction de la technologie est d’expliquer, de rendre intelligible, d’éclairer la technique. Si la première fonction – justifier la technique – consiste à assurer que la technique donne bien ce qui est prétendu, cette deuxième fonction consiste à exposer pourquoi il en est bien ainsi.

Il est notable que ces deux fonctions (justification et explication) sont inégalement assumées par une technologie donnée. De ce point de vue, en mathématiques, la fonction de la justification l’emporte traditionnellement, par le biais de l’exigence démonstrative, sur la fonction d’explication. Exemple : un étudiant mémorise une certaine technologie (un

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théorème ou une formule), il arrive à résoudre certains types de tâches avec cette technologie, mais il ne sait pas expliquer la raison du résultat trouvé.

Théorie

La Théorie à son tour notée Θ a pour fonction de justifier et de rendre compréhensible une technologie θ.

Organisation praxéologique

Les quatre notions : type de tâche (T), technique (τ), technologie (θ) et théorie (Θ), décrivent une organisation praxéologique complète [T/τ/θ/Θ] décomposable en deux blocs [T/τ/] et [θ/Θ], constituant respectivement, le savoir-faire [praxe] et le bloc tecnologico-théorique [le logos].

Nous pouvons donc affirmer que produire, enseigner et apprendre des mathématiques sont des actions humaines qui peuvent se décrire selon le modèle praxéologique. Dans ce sens on pourra alors dire que l’organisation praxéologique relative aux activités mathématiques est une organisation mathématique. Selon (Matheron, 2000) :

Cette organisation permet d’étudier une même notion mathématique désignée du même nom, mais prise à l’intérieur d’organisations mathématiques de natures différentes car, déployées au sein d’institutions différentes. Ce dernier point relève ainsi de la prise en compte de l’aspect écologique relatif à un objet, c’est-à-dire du questionnement du réel existant ou n’existant pas à propos de cet objet dans une institution où vit une organisation mathématique donnée. Cette dimension écologique permet de poser des questions telles que pour un objet identifié dans les programmes comme étant à enseigner, quels type de tâches, accomplies avec quelles techniques, disponibles ou pas, enseigner et être en droit d’exiger des élèves ? Quelle organisation mathématique et, par conséquent, quelle progression mettre en place ? (Op. cité, p. 52).

Donc analyser la vie d’un objet mathématique dans une institution, comprendre sa signification pour cette institution, c’est identifier l’organisation mathématique qui met cet objet en jeu. Dans ce paradigme, nous nous proposons d’étudier l’organisation mathématique relative au calcul de volumes. Ce calcul est un des objets centraux du calcul des Intégrales Multiples (soit double, soit triple) dans plusieurs institutions de l’enseignement supérieur. La notion d’organisation praxéologique et la notion du rapport institutionnel nous donnent, à partir d’une étude écologique des manuels et des programmes, les outils pour rechercher les réponses aux questions qui se posent dans ce cadre. Il nous semble important d’analyser les programmes et les manuels de l’institution nous concernant car elle permet d’accéder à l’aspect officiel de l’objet d’enseignement.

Selon Bessot (1994), il existe, dans les manuels, des indicateurs linguistiques découpant le texte du savoir enseigné. Un savoir (en particulier mathématique) doit être regardé comme un objet susceptible de se transformer sous la contrainte d’autres objets avec lesquels il interagit. L’étude d’un objet de savoir ne peut donc être conduite de manière isolée. Chevallard (1994) théorise ce phénomène dans ce qu’il dénomme écologie des savoirs, basée sur les notions d’habitat et de niche.

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Dans cette approche, l’habitat est défini comme le lieu de vie et l’environnement conceptuel d’un objet de savoir. Il s’agit, pour l’essentiel, des objets avec lesquels il interagit mais aussi des situations d’enseignements dans lesquelles apparaissent des manipulations et des expériences auxquelles on a recours. La niche écologique décrit, quant à elle, la place fonctionnelle occupée par l’objet de savoir dans le système ou praxéologie des objets avec lequel il interagit.

Cette idée d’interrelation des objets de savoir est mise en évidence par Bosch et Chevallard (1999) quand ils soulignent :

L’approche anthropologique modélise le savoir mathématique en termes d’objets et d’interrelations entre eux. De cette vision volontairement unitaire de l’univers mathématique où « tout est objet » a surgi le questionnement sur la « nature » des objets mathématiques appelés normalement « concepts » ou « notions »… Cette question renvoie au problème de la description des pratiques institutionnelles où l’objet est engagé, problème auquel il faut répondre en termes d’organisation praxéologique. (Op. cité, p. 87)

Comme nous l’avons déjà présenté plus haut, dans cette organisation, on se pose des questions sur les types de tâches et les techniques qui composent les praxéologies institutionnelles (où est censé intervenir l’objet étudié) et sur les éléments technologiques et théoriques décrivant et justifiant ces pratiques. Dans ce contexte et pour revenir aux notions fondamentales de l’approche anthropologique, Bosch et Chevallard soutiennent l’idée que dans cette organisation, la mise en œuvre d’une technique pour réaliser un type de tâche se traduit par une manipulation des objets ostensifs réglée par des non-ostensifs.