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2. LE SECTEUR ÉDUCATIF SOUS LA GOUVERNANCE MONDIALE

2.4 Les organisations internationales et la production de connaissances en éducation

en termes d’analyse des systèmes éducatifs, car elles assemblent une foule de données et les standardisent en recourant à des indicateurs quantitatifs (Zapp, 2017). À ces résultats, elles proposent des interprétations au regard des résultats issus de la recherche (Samoff, 2012). Ces connaissances sont par la suite appliquées, par le biais de l’aide au développement, mais plus encore, elles sont disséminées à travers des publications et des conférences internationales, et enseignées par la voie de dispositifs multiples (Cammack, 2004 ; Verger et al., 2012 ; Zapp, 2017). Entre autres, maints auteurs (par exemple : Depover et Jonnaert, 2014 ; Mingat et Suchaut, 2000), reconnus en tant que chercheurs scientifiques, mais œuvrant également en tant que consultants internationaux, contribuent à leur diffusion, et de ce fait, à leur légitimité. L’étalonnage (ou le

benchmarking) qui en découle, c’est-à-dire la mise en lumière des “bonnes pratiques” par la

comparaison internationale des systèmes éducatifs (Cros et Bon, 2006), s’effectue alors pour nourrir un « désir accru d’améliorer la compétitivité » (Banque mondiale, 2011, [n.p.]). Au-delà des conditionnalités, qui se veulent coercitives, la diffusion et la valorisation de certaines connaissances se présentent comme un incitatif au changement et à la promotion des “bonnes pratiques”, désormais soutenues par la preuve (Cros et Bon, 2006 ; Steiner-Khamsi, 2007).

Depuis sa création, l’UNESCO encourage la communication transnationale et le partage d’expériences entre les États membres18. Certains remarquent un changement dans son discours

officiel depuis les années 1990, reproduisant de plus en plus celui des organisations économiques internationales et des milieux d’affaires (Bonal et Fontdevila, 2017 ; Jickling, 2005 ; Maurel, 2010). Par contre, de nombreuses publications provenant de chercheurs ou d’experts indépendants éditées par l’UNESCO et ayant des discours parfois très critiques ou divergents du discours officiel de l’organisation apportent également des interprétations aux données éducatives. Ces données sont largement diffusées par le biais de multiples voies (publications, conférences, sites Internet) dont la publicationannuelle du Rapport mondial de suivi sur l’éducation (Steiner-Khamsi, 2007). Par ailleurs, la création du Programme UNITWIN/Chaires UNESCO en 1992 témoigne de l’importance accordée aux connaissances scientifiques pour le projet global de développement, mais également à l’espace laissé aux points de vue divergents19. Sur le plan des organisations

économiques, la Banque mondiale a lancé, en 2011, sa stratégie pour l’éducation, qui « s’inspire des meilleurs travaux de réflexion et connaissances disponibles sur les exemples de succès dans l’éducation » (n.p.). Elle a aussi récemment développé le programme Systems approach for better

education results (SABER) qui réunit toutes les données qualitatives et quantitatives comparatives

disponibles des pays développés et des pays en développement, y compris celles issues de certaines grandes enquêtes internationales20 (Banque mondiale, 2014b ; Zapp, 2017). Quant à l’OCDE, elle

s’inscrivait déjà dans cette tendance avec son Centre pour la recherche et l’innovation en

18 Par exemple, en 1977, l’une des modalités de l’UNESCO pour introduire l’éducation relative à l’environnement dans les systèmes éducatifs a consisté en la collecte, l’analyse et l’échange des informations sur les expériences, les innovations, les résultats de recherche et les méthodes nouvelles (UNESCO, 1977).

19 Il semble que l’attribution des chaires ne s’effectue pas en fonction du partage d’une vision du monde commune, comme en témoigne l’attribution de la UNESCO Chair in Global Learning and Global Citizenship à Carlos Alberto Torres en 2015, auteur critique de la mondialisation et des organisations internationales, critique à laquelle l’UNESCO n’échappe pas.

20 Parmi ces grandes épreuves, on retrouve entre autres le Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN (PASEC) pour l’Afrique francophone, le Southern and Eastern Africa Consortium for Monitoring Educational Quality (SACMEQ) pour l’Afrique anglophone, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) pour les pays membres de l’OCDE, PISA pour le développement pour les pays à faible et moyen revenu, le Trends in International Mathematics and Science Study (TIMSS), le Progress in International Reading Literacy Study (PIRLS) développés par le International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IEA) et le Monitoring Learning Achievements (MLA) développé conjointement par l’UNICEF et l’UNESCO.

enseignement (CERI)21 au sein duquel le Programme international pour le suivi des acquis des

élèves (PISA) a été développé dans les années 1990. Cerqua (2015) mentionne que cet outil d’évaluation aurait été « conçu pour développer la recherche sur les facteurs qui influencent l’apprentissage » (p. 180).

Bien que l’OCDE n’agisse pas directement dans les interventions d’aide au développement, elle est plutôt productive dans les analyses et la publication de données éducatives et encadre, avec celles-ci, l’aide au développement provenant des pays membres du CAD (Capron, 2010). Pour rappel, cette aide représentait 61,06 % de l’aide dispensée au secteur éducatif dans la région de l’Afrique subsaharienne en 2015. Enfin, l’échange de connaissances et de “bonnes pratiques” constitue un objectif poursuivi par le Partenariat mondial pour l’éducation (PME, 2017b). Selon son plan stratégique, l’indicateur qui lui est lié renvoie au « nombre de produits du savoir, touchant à l’action des pouvoirs publics ou étant d’ordre technique ou autre » (PME, 2016a, p. 21).

Les enquêtes internationales pour évaluer les systèmes éducatifs alimentent une compétition et accélèrent le phénomène de changements éducatifs (Bulle, 2010 ; Kamens et McNeely, 2009 ; Steiner-Khamsi, 2003). En ce sens, leur caractère régulateur servirait de dispositif de légitimation politique et contribuerait à instaurer une culture d’évaluation (Carvalho, 2012 ; Cussó, 2007). D’après Robertson et Dale (2016), en parlant de PISA, les résultats seraient eux- mêmes considérés comme des explications suffisantes de la situation de l’éducation nationale. Pour ces auteurs, ces résultats permettent de détourner l’attention des causes véritables des problèmes en se concentrant sur leurs conséquences, fabriquées par la réalisation de ce test standardisé. De manière générale, ces évaluations ont toujours été conçues en termes de double bilan par rapport aux pays développés et aux pays en développement. L’avènement du programme SABER de la Banque mondiale atténue cette tendance, et désormais tous les pays peuvent être comparés selon les mêmes indicateurs, cet outil ayant explicitement été conçu pour que les décideurs puissent se comparer aux meilleures pratiques internationales (Banque mondiale,

21 Sa création en 1968 a été financé par les entreprises Ford et Shell, en raison d’un contexte concurrentiel avec l’UNESCO, acteur principal de l’éducation sur la scène internationale (Sigaut, 2011).

2014b). Ce faisant, le risque « de conduire à une imitation non critique de pratiques qui cessent d’être efficaces quand elles sont extraites du milieu où elles sont apparues et se sont épanouies » est décuplé (Cros et Bon, 2006, p. 17-18). Le partage d’informations et d’expériences éducatives entre les pays peut certainement être bénéfique, car cela peut fournir des solutions à des problèmes rencontrés à l’interne ou encore à éclairer des décisions. Par contre, en se concentrant sur les résultats, c’est toute la question des contextes et des processus qui est occultée (Robertson et Dale, 2016), et la manière dont se construisent ces banques de données est problématique, car elle donne de la force aux relations de pouvoir (Samoff et Stromquist, 2001). D’après Nóvoa, Carvalho, et Yanes (2014), « les indicateurs choisis et les classifications qui émergent ne se bornent pas à décrire la “réalité” de chaque pays. Ils construisent des visions du monde (des différents mondes) et définissent des modèles éducatifs qui influencent, inévitablement, les politiques nationales » (p. 127).

Se trouvant au cœur des politiques d’aide au développement, le secteur de l’éducation est grandement mobilisé et il est soumis aux nouvelles modalités qui se sont développées à la suite de l’échec du Consensus de Washington. Le Partenariat mondial pour l’éducation occupe une place importante dans le processus d’élaboration des politiques éducatives des pays en développement, et il contribue à l’application de ces nouvelles modalités dans le secteur éducatif. Dans ce contexte, la compétitivité de l’économie mondiale et l’application des “bonnes pratiques” pour y parvenir constituent les moteurs qui alimentent cette relation établie entre le développement et le secteur de l’éducation.